Qu’elles soient dites douces, naturelles, traditionnelles, ces pratiques sont devenues un fait de société. Elles sont dites médecines « alternatives » et « complémentaires » (selon la dénomination anglaise CAM pour Complementary and Alternative Medicine) lorsqu’elles sont associées à la médecine conventionnelle. Pour le National Center for Complementary and Alternative Medicine (NCCAM, une agence de l’Institut National de Santé aux USA), la médecine complémentaire et alternative est définie par défaut [1] comme « groupe de divers systèmes médicaux, de santé et de produits qui ne sont pas actuellement considérés comme appartenant à la médecine conventionnelle ». La NCCAM en décrit 5 grands types :

– les médecines globales occidentales, comme l’homéopathie ou la naturopathie, ou orientales, comme la médecine traditionnelle chinoise ou ayurvédique indienne ;

– les médecines corps-esprit comme la méditation, la prière, la guérison mentale ou celles utilisant les médiations artistiques ;

– les pratiques fondées sur la biologie comme les suppléments diététiques ou certaines plantes ;

– les pratiques de manipulation ou fondées sur le corps incluant la chiropraxie, l’ostéopathie et les massages ;

– les médecines énergétiques, incluant le Qi Gong, le Reiki et autres formes de touchés thérapeutiques (apposition des mains) et les thérapies des champs électromagnétiques.

Depuis 2002, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a mis en place une stratégie pour « promouvoir une médecine traditionnelle sûre, efficace et abordable » [2]. Auparavant, dès 1983, les anglais du Research Council for Complementary Medicine (RCCM) avaient initié cette démarche [3]. Puis, en 1991, les autorités américaines du National Institute of health (NIH) ont dédié l’une de leurs agences, le NCCAM, à la recherche et l’évaluation rigoureuse de ces pratiques [4]. L’Agency for Healthcare Research and Quality américaine (AHRQ), vient de compléter à cette mission d’évaluation [5]. Son rapport s’est appuyé sur une revue particulièrement solide et indépendante des 813 études réalisées. Les pratiques des méditations mantra (incantation), mindfulness (pleine conscience), Yoga, Taï chi et Qi Gong ont été passées au crible. Les études concernaient en majorité l’hypertension artérielle, les maladies cardiovasculaires et les addictions. Les auteurs ont décrit avec précision leur méthode d’analyse. Ils ont mis en oeuvre une stratégie pour étudier la validité interne des publications et lutter contre les différents biais, notamment de publications (doublons de publication et littérature grise).

Médecine alternative ou complémentaire, par exemple associée aux thérapies cognitives (MBSR : Mindfulness-based-stress-reduction ; MBCT : Mindfulness-based-cognitive-therapy), la pratique de la méditation en santé est la mode actuelle1. La médiane des publications se situe en 2001, ce qui témoigne de sa nouveauté. Pour celle d’inspiration bouddhiste, la personnalité charismatique du Dalaï Lama a favorisé son implantation, d’autres sont issues des traditions hindoues ou chinoises. Ses promoteurs lui prêtent des vertus globales ou holistiques guérissant le corps, l’âme et l’esprit. Certains lui accordent un intérêt majeur dans le cadre des neurosciences. Lorsqu’elle est prescrite par des médecins, les séances de méditation sont conduites par des instructeurs en MBCT, qui peuvent être des médecins, des psychologues, des infirmiers ou des coachs.

Sans ambiguïté, les conclusions de l’AHRQ remettent en question la place et la qualité des publications de ce type d’intervention. Beaucoup d’incertitudes les entourent. Ainsi, la recherche scientifique ne semble pas avoir de perspective théorique commune et cohérente. Les études sont caractérisées par une mauvaise qualité méthodologique. Les effets physiologiques et neuropsychologiques de la méditation ont été évalués dans 312 études. Les conclusions ne sont que des hypothèses fragiles. Pour les effets cliniques, les faits scientifiques probants sont absents. Il n’y a aucune démonstration d’effets. Tant chez les patients atteints de cancers que chez les autres, elle ne démontre pas son ambition à réduire le stress, l’anxiété, la dépression ou la pression artérielle. La recherche future, si elle se justifie, devra être plus rigoureuse tant dans la conception, l’exécution que dans l’analyse des résultats. Ces conclusions de l’AHRQ confortent celles de plusieurs autres revues systématiques récentes [6-8]. Cependant, le guide de pratique clinique du National Institute for Clinical Excellence (NICE) [9] sur la dépression fait exception. Le NICE recommande le MBCT avec un grade B dans la prévention de rechutes dépressives. En fait, le niveau de preuves de cette recommandation est erroné. Il est fondé sur une erreur d’addition des résultats de deux petites études de qualité médiocre réalisées par la même équipe. Cette erreur est passée entre les mailles des relecteurs2.

Quels sont les risques de ces pratiques ? Peu étudiés, ils sont mal connus. Ils ne faisaient pas partie des objectifs du rapport de l’AHRQ. Pour autant, des cas d’exacerbation de dépression, d’apparition de dépersonnalisation, de tentatives de suicide ou d’épisodes schizophréniques ont été décrits avec toutes ces pratiques [10, 11]. Il n’existe pas, à notre connaissance, de stratégie de recherche sur le rapport bénéfice/risque de ces pratiques. Tant pour les professionnels de santé, que pour les décideurs ou pour les patients, l’obligation primum non nocere s’accommode mal de cette absence de données de vigilance. En France, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes)3 émet régulièrement des avis sur ces CAM. Ces avis traduisent l’inquiétude des patients et de la société.

Dilhuydy [12] souligne la nécessité d’améliorer la communication médecin-patient sur le thème des CAM. Il conseille de sortir du déni et du mépris envers elles, qui est une forme de déconsidération du patient. Ainsi, selon quelques travaux, la meilleure attitude à adopter pour les médecins serait d’être bien informés sur ces traitements, d’analyser les raisons pour lesquelles un patient s’y intéresse, de donner des informations précises aux patients et à leur famille, de susciter des questions à ce sujet, de discuter des aspects positifs et négatifs de ces traitements, de leurs effets indésirables comme des bénéfices escomptés, d’assurer un suivi régulier à propos de ces questions. Cette attitude est l’information loyale que nous devons à nos patients. Le rapport de l’AHRQ nous indique qu’il n’y a pour l’heure pas d’argument pour conseiller ces pratiques méditatives pour les soins : le bénéfice n’est pas démontré et le risque n’a pas été étudié.

Conflits d’intérêts financiers : néant

Références
What is CAM ? Sur http://nccam.nih.gov/health/whatiscam/pdf/D347.pdf
Médecine traditionnelle. Mai 2003. Sur http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs134/fr/
Research council for complementary medicine. Sur http://www.rccm.org.uk/static/List_of_staff.aspx
Missions du NCCAM sur http://nccam.nih.gov/about/ataglance/index.htm
Agency for Healthcare Research and Quality. Meditation practices for health : state of the research. June 2007. Sur http://www.ahrq.gov/downloads/pub/evidence/pdf/meditation/medit.pdf
Canter P, Ernst E. Insufficient evidence to conclude whether or not Transcendental Meditation decreases blood pressure : results of a systematic review of randomized clinical trials. J Hypertens. 2004;22(11):2049-54.
Smith JE, Richardson J, Hoffman C, Pilkington K Mindfulness-Based Stress Reduction as supportive therapy in cancer care : systematic review. J Adv Nurs. 2005;52(3):315-27.
Krisanaprakornkit T, Krisanaprakornkit W, Piyavhatkul N, Laopaiboon M. Meditation therapy for anxiety disorders. Cochrane Database Syst Rev. 2006 Jan 25;(1):CD004998.
Management of depression in primary and secondary care, National Clinical Practice Guideline. National Institute for health and Clinical Excellence (NICE). Sur http://www.nice.org.uk/download.aspx?o=86351
Ernst E, Pittler MH, Wider B ; The desktop Guide to Complementary and Alternative Medicine. An evidence-based approach. Snd edition. Mosby Elsevier. 2006 (pp 110, 113, 336-339 et 360).
Kuijpers JH, Van Der Heijden FMMA, Tuinier S, Verhoeven WMA. Meditation-Induced Psychosis Psychopathology. 2007;4(6):461-4.
Dilhuydy JM. L’attrait pour les médecines complémentaires et alternatives en cancérologie : une réalité que les médecins ne peuvent ni ignorer, ni réfuter. Bull Cancer. 2003;90(7):623-8.
Notes :
Le rapport estime que 10 millions de praticiens exercent cette médecine aux USA.
Dans l’appendice 19 B, les deux sous-groupes des études sur le MBCT de Teasdale et al. ne sont pas de 94 et 124, mais de 150 et 50 et de 10 sans sous-groupe connu. Les auteurs des études sur le MBCT ont fourni au NICE leur deuxième étude avant sa publication. Ces erreurs d’allocations et de traitements n’ont pas été identifiées.
Le ministère de la santé est représenté dans cette Mission placée auprès du premier ministre. Les rapports sont disponibles à l’adresse suivante : http://www.miviludes.gouv.fr/

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Médecine. Volume 3, Numéro 8, 340-1, Octobre 2007, Editorial

DOI : 10.1684/med.2007.0184

Auteur(s) : Philippe Nicot, Alain Braillon, Panazol .