La protection des mineurs face à l’emprise sectaire d’une part et "l’enjeu de sécurité" posé par les risques sectaires d’autre part figurent parmi les thèmes prioritairement abordés par le rapport de la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), rendu public aujourd’hui mercredi 26 avril 2006 (L’AEF du 19/04/2006, 64309). Jean-Michel Roulet est président de la Mission depuis le 1er octobre 2005 (L’AEF du 30/08/2005, 55459). Il répond aux questions de L’AEF.

L’AEF: Quelles seront les priorités de votre présidence?

Jean-Michel Roulet: Appliquer rigoureusement les missions dévolues à la MIVILUDES par son décret fondateur, missions relatives à la prévention et à la coordination des services, en vue notamment de sanctionner les dérives. Il s’agit à la fois de prendre en compte les victimes et d’analyser les dommages. Ce qui fait la légitimité de l’action de l’État, c’est d’assurer la sûreté et la sécurité de nos concitoyens, dans le cadre du pacte républicain. C’est de lutter contre ceux, experts en manipulation mentale, qui portent atteinte à la liberté de conscience, de religion…, et dont l’action consiste à séduire pour détruire et reconstruire, dans un but d’enrichissement personnel, d’exercice d’un pouvoir physique, mental ou sexuel. Les priorités de la MIVILUDES vont vers les personnes les plus faibles: enfants, personnes en souffrance…, et vers les sources d’argent pour les sectes: entreprises, tissu économique…

L’AEF: Vous n’êtes pas favorable à l’établissement de "listes" ou de "cartes d’implantation"…

Jean-Michel Roulet: Le Premier ministre l’a expressément proscrit. Certes, la liste des sectes annexée au rapport parlementaire de la commission d’enquête sur les sectes du 22 décembre 1995 avait l’avantage de présenter une photographie intéressante à l’époque et a permis de donner un grand coup de pied dans la fourmilière. Mais des listes ou des cartes ne seront jamais à jour. Les noms, l’implantation des mouvements changent très vite.

L’AEF: "La protection des mineurs face à l’emprise sectaire" est l’un des sujets "particulièrement préoccupants ces derniers temps", écrivez-vous dans votre rapport 2005. Pourquoi?

Jean-Michel Roulet: Les enfants et les jeunes sont-ils plus exposés aux risques sectaires aujourd’hui qu’il y a 8 ou 10 ans? Je le crois. Pour schématiser, les sectes ont d’abord visé les parents pour toucher les enfants. Aujourd’hui, les enfants constituent en tant que tels une cible pour certains mouvements et sont une "clef d’accès" vers les parents. Cette tendance, qui s’accélère depuis quelques années, s’appuie sur l’évolution de notre société: davantage de familles monoparentales, parents qui travaillent tous les deux, disparition du personnel de maison, temps libre des jeunes accru, reprise de la natalité… L’offre et les supports en direction des jeunes sont multiples, c’est inquiétant. Bien loin aujourd’hui des supports de type "militaire", les mouvements sectaires se sont engouffrés dans le créneau de la demande d’épanouissement personnel et proposent des activités philosophiques, des activités physiques pouvant déboucher sur l’ésotérisme, ou des activités musicales quand par exemple certaines tendances "gothique" ou "métal" peuvent, dans un environnement favorable, déboucher sur le néo-nazisme. Nombre de familles sont touchées, parfois sans le savoir.

L’AEF: Dans quels domaines les mouvements sectaires sont-ils particulièrement actifs? Quel regard portez-vous sur l’action du ministère de l’Éducation nationale et sur celui de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative?

Jean-Michel Roulet: Le ministère de l’Éducation nationale et celui de Jeunesse, des Sports et de la Vie associative sont très actifs, en particulier dans la formation des cadres administratifs, des contrôles des établissements pour le premier, et dans le contrôle des centres de loisirs et de vacances pour le second. Il reste cependant certains problèmes. Le créneau du soutien scolaire semble être une des nouvelles pistes de la scientologie, qui propose des activités artistiques, ou des conférences philosophiques, par exemple données par la Nouvelle Acropole, avec tractage aux alentours de lycées, et stands dans l’enceinte des universités. Dans ce marché libre et concurrentiel, les seuls contrôles qui puissent être exercés sont ceux d’ "hygiène et sécurité" et les organismes qui le souhaitent peuvent obtenir un agrément de l’Éducation nationale.

Le péri-scolaire est aussi très prisé par les mouvements sectaires, alors que l’Éducation nationale ne dispose que de peu de moyens de contrôle. Dans le domaine des centres de loisirs, seuls les organisateurs accueillant entre 8 et 300 mineurs pendant plus de 15 jours au cours d’une même année sont obligés de se déclarer auprès de Jeunesse et Sports. Quant au contrôle des séjours de vacances pour les mineurs, il ne peut s’exercer à l’étranger et seuls les lieux d’accueil avec hébergement de 12 mineurs au plus et durant plus de 5 nuits sont soumis à déclaration. Les cours par correspondance constituent un marché ouvert et juteux dans lequel s’engouffrent les parents d’élèves inquiets du sort de leurs enfants. Mais il n’y a aucune garantie en dehors du CNED, ni aucun agrément. Citons également le problème des "écoles de fait", la dangerosité de l’utilisation d’internet sans suivi parental, et le problème certes plus marginal du coaching sportif des enfants qui s’appuie sur le désir d’accomplissement des adultes à travers leurs enfants.

L’AEF: Que pensez-vous de l’action des cellules départementales de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires?

Jean-Michel Roulet: Elle est variable, mais il est vrai que les mouvements sectaires sont inégalement présents sur le territoire. J’ai relancé les cellules de vigilance. 32 cellules existaient l’an dernier, je souhaite qu’à la fin de cette année il y en ait une dans chaque département et qu’elles se réunissent au moins une fois par an. Car la coordination des services déconcentrés et décentralisés est fondamentale en matière de vigilance et de lutte contre les sectes.

L’AEF: La MIVILUDES s’alarme aussi du risque de dérive sectaire dans les entreprises…

Jean-Michel Roulet: Là encore les mouvements sectaires répondent à une forte demande sociale de perfectionnement professionnel et personnel, alors que de plus en plus de gens sont menacés de perdre leur emploi. Plusieurs grandes entreprises, ayant fait l’objet de tentatives d’approche par de grandes organisations sectaires multinationales, nous ont demandé conseil en 2005. Au-delà de leur volonté d’emprise sur leurs adeptes, des organisations sectaires ayant une vision très globale de leur avenir s’intéressent de plus en plus aux enjeux économiques internationaux, et cherchent à s’introduire au cœur des entreprises les plus performantes ou les plus sensibles. C’est la première fois que la MIVILUDES y consacre un chapitre entier de son rapport.

Quant aux petites entreprises, elles sont plus vulnérables. Elles n’ont généralement pas les moyens de recruter des professionnels, un ancien officier, un ancien de la DST… Elles peuvent être aussi faussement rassurées par des organismes de formation – en fait des mouvements sectaires – présentant comme clients réguliers de grandes entreprises à forte image, avec lesquelles ils n’ont en réalité été en contact qu’une seule fois.

L’AEF: Quels sont les domaines privilégiés des sectes dans l’entreprise?

Jean-Michel Roulet: Les domaines porteurs sont la formation professionnelle, de manière accrue depuis la mise en œuvre de la loi du 4 mai 2004 sur la formation tout au long de la vie, le coaching, les services externalisés, en particulier les SSII (sociétés de services en ingénierie informatique), mais aussi le développement personnel, la reconversion professionnelle, le management des équipes… Les tromperies sont multiples. Par exemple, les mouvements sectaires actifs dans la formation professionnelle présentent le récépissé de déclaration d’activité comme un label de qualité, alors que de tels labels ou homologations n’existent pas. Ils peuvent aussi proposer aux stagiaires des cours complémentaires payants le samedi et le dimanche, et leur proposer de devenir eux-mêmes formateurs.

L’entreprise doit être vigilante à un éventuel changement de comportement des stagiaires sortant de ces cours complémentaires, on bascule très vite… Parfois, les pratiques de formation ne répondent ni de près ni de loin au métier de l’entreprise: je pense à une grande entreprise publique dont la DRH, membre d’une secte, avait fait appel à un prestataire de formation, qui faisaient mettre les stagiaires dos à dos, une orange coincée entre eux, et danser de manière à ne pas faire tomber l’orange… Avec les SSII, on est à la limite des techniques d’espionnage économique. Avides d’argent, ces dernières cherchent à monnayer les informations secrètes sur l’entreprise cliente, à s’en servir pour signer de nouveaux contrats, ou à les vendre au plus offrant.

L’AEF: Que propose la MIVILUDES contre l’emprise sectaire dans les entreprises?

Jean-Michel Roulet: Le rapport propose des pistes méthodologiques, par exemple pour définir des critères d’appréciation du risque. En lançant ainsi "la balle", nous espérons que beaucoup de choses remonteront. Nous devons mieux comprendre le phénomène, son ampleur, ses manifestations, les conséquences à long terme pour les entreprises et le tissu économique.

Lire aussi:
– "Le danger sectaire s’accroît dans le périscolaire et le loisir", selon une journée d’études "sectes et enfance" (L’AEF du 05/04/2006, 63790)
– Les mouvements sectaires se diversifient notamment vers le coaching et la formation, selon le nouveau président de la Miviludes (L’AEF du 10/10/2005, 56905)