La Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) a rendu public son rapport 2004 qui inquiète à juste titre les militants anti-sectes. Le gouvernement choisit à travers ce rapport de mettre en avant le phénomène satano-gothique. Nous sommes bien placés pour savoir que le satanisme représente un véritable danger puisque nous lui avons consacré un ouvrage fin 2004 (satanisme et vampirisme, le livre noir, Editions Golias). Le satano-gothisme n’est cependant pas le seul danger et sans doute pas davantage le principal. Je crains que le gouvernement n’ait choisi de parler du satano-gothisme pour nous faire oublier qu’il a capitulé face aux grandes sectes américaines sous la pression notamment des Etats-Unis. L’objectif de l’ancienne Mission Interministérielle de Lutte contre les Sectes (MILS) dirigée par Alain Vivien était (à tort ou à raison) d’avancer vers la dissolution de la scientologie. Est-ce toujours l’objectif ? On peut en douter à voir de quelle manière le rapport fait son possible pour ignorer cette secte. Cette capitulation honteuse de la France dans la lutte anti-sectes vient confirmer les craintes antérieures. Monsieur Raffarin ne se félicitait-il pas dans une lettre au Président de la MIVILUDES que les pouvoirs publics aient cessé de stigmatiser certaines sectes (lettre n° 04647 du 1er avril 2004)

Il est à craindre que les jeunes gothiques ne fassent aujourd’hui les frais de cette démission politique non assumée : le gouvernement n’ose pas dire à l’opinion publique ni aux parlementaires unanimes pour poursuivre la lutte anti-sectes que l’heure n’est plus à défendre nos valeurs face à ces groupes. De la même façon que le gouvernement américain a totalement baissé la garde depuis le 11 septembre face aux mouvements néo-nazis et aux diverses « églises » qui propagent la haine raciale, le gouvernement français a choisi également de regarder ailleurs que du côté des grandes sectes. Ce revirement de la politique française anti-sectes est dangereux car il conduit à sous-estimer gravement le danger sectaire (ce qui lui vaut la colère des associations anti-sectes) et débouche sur une lecture complètement erronée du phénomène sectaire qui ne peut que nous désarmer.

Les satanistes ne sont pas un cancer sur un corps sain mais les métastases d’une société malade. Notre bonne société a pour ainsi dire les satanistes qu’elle mérite ou mieux encore qu’elle enfante. Pourquoi est-il de bon ton de porter un tee-shirt à l’effigie Marylin Manson et non plus du Che ? Le danger ne tient pas dans le caractère outrancier des propos ou des tenues des jeunes gothiques mais dans le rapprochement entre les partisans de la « Jihad 666 » (« guerre sainte satanique ») et ceux de la « Jihad 88 » (« guerre sainte néo-nazie » : le « h » de Heil Hitler est la 8e lettre de l’alphabet). Le succès sur Internet, sur les objets scolaires de nos enfants ou lors de profanations du mot d’ordre « Rahowa » (« guerre sainte raciale ») ou de la signature « 14 mots » (qui signifie « nous devons assurer l’existence de notre race et un futur aux enfants blancs » ) mérite beaucoup plus de vigilance que la confusion trop facile entre satanisme folklorique, gothisme et satano-nazisme. Méfions nous de ne pas trop fantasmer sur les propres fantasmes de ces néo-nazis d’un nouveau genre. On peut rire de ce que le Temple de Set (fondé par Michaël Aquino, alors lieutenant-colonel de l’armée américaine spécialiste de la guerre psychologique et toujours auteur de travaux qui font autorité) organise des pèlerinages au Château du Wewelsburg, ce haut lieu du nazisme où les dignitaires SS organisaient des rituels noirs mais son idéologie anti-égalitaire et anti-humaniste progresse. On peut s’amuser de ce que l’ensemble de la mouvance joue Himmler contre Hitler mais les thèses extrémistes pro-américaines progressent avec des slogans simples « Heil Satan ! Heil Amerika ! ». L’Ordre des Neuf Angles peut également amuser la galerie avec son fameux « Guide du sacrifice humain » mais il organise de véritables « messes noires » en l’honneur de Mein Kampf. La sympathique Eglise de Satan ne joue pas seulement à nous faire peur lorsqu’elle diffuse son programme politique « pentagonal » qui revendique, entre autres choses, la fin de l’égalité, le rétablissement de la peine de mort, le renforcement de l’appareil répressif, la fin des aides sociales, des discriminations positives en faveur des plus forts, la sélection génétique des meilleurs, etc. Cette vision du monde se retrouve au sein des organisations françaises comme l’Ordre Guillaume et la Fédération sataniste de France qui propose par exemple le retour au système des corporations. Prenons garde car si un lycéen ne peut plus défendre impunément des thèses néo-nazies, il lui suffit de prendre le masque du satanisme pour pouvoir propager la haine des faibles et le culte des forts. Faut-il s’étonner que les mouvances sataniques cèdent ainsi avec facilité aux vieux démons lorsqu’on sait comment notre bonne société s’accommode très bien d’une violation de ses valeurs ? Sait-on assez que la Bible satanique (vendue à six millions d’exemplaires) écrite par Anton LaVey, est simplement un plagiat des œuvres de la philosophe-romancière Ayn Rand bien connue pour être la « gourelle » de la contre-révolution conservatrice qui balaie depuis plus de vingt ans le monde ? Cessons de diaboliser les jeunes gothiques et osons leur dire franchement que s’ils veulent vraiment mépriser le faible, il n’est pas besoin de rentrer dans une secte, notre bonne société fait cela très bien.

Paul Ariès