Médicaments psychotropes – Présentation de l’étude des experts
TRAVAUX DE L’ OFFICE PARLEMENTAIRE D’EVALUATION DES POLITIQUES DE SANTE – Jeudi 15 juin 2006

30 juin 2006

par OEPS – OFFICE PARLEMENTAIRE D’EVALUATION DES POLITIQUES DE SANTE

Source : Sénat français

  Présidence de M. Nicolas About, président –

Santé – Médicaments psychotropes – Présentation de l’étude des experts

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a observé que la réunion de l’Opeps se tient en cette première Journée mondiale de la maltraitance des adultes âgés, celle-ci pouvant précisément prendre la forme de prescriptions abusives de médicaments psychotropes, notamment dans les établissements d’hébergement, problème sur lequel le rapport d’étude apporte des éléments de réflexion intéressants.

M. Bernard Bégaud, président de l’Université de Bordeaux 2, ayant souligné que le choix de l’Opeps d’étudier l’usage des médicaments psychotropes était d’autant plus opportun que notre pays souffre d’une carence en travaux de synthèse sur le sujet, hormis certains rapports déjà anciens, a indiqué que l’étude est structurée autour des six questions figurant au cahier des charges de l’Opeps (caractéristiques de la consommation de psychotropes, facteurs explicatifs de la surconsommation, respect des recommandations de bonnes pratiques, efficacité des politiques publiques, dépendance, alternatives thérapeutiques) et présente un septième chapitre regroupant les recommandations formulées par le groupe de travail, ainsi qu’une synthèse générale.

Il a également précisé qu’outre Mme Hélène Verdoux et lui-même, tous deux membres de l’unité INSERM 657 de recherche en santé publique et professeurs à l’université de Bordeaux 2, en charge de la coordination et de la rédaction de l’étude, celle-ci a reçu les contributions de nombreux experts de disciplines diverses – épidémiologie, psychiatrie, sociologie, notamment.

M. Bernard Bégaud a ensuite présenté les conclusions de l’étude, en soulignant tout d’abord que les Français consomment trop de psychotropes et y recourent deux fois plus fréquemment que la moyenne des pays européens, beaucoup plus souvent qu’en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Au sein de la population française, un adulte sur quatre fait usage d’au moins un psychotrope au cours de l’année et la propension à y recourir augmente avec l’âge, particulièrement chez les femmes. En revanche, la France se situe dans la moyenne des autres pays européens pour la consommation de psychotropes par les enfants et les adolescents, voire parfois en deçà pour certains traitements, tel que celui de la Ritaline.

Il n’y a pas de cause unique au phénomène de banalisation de la consommation de psychotropes en France, celle-ci résultant de l’influence de plusieurs facteurs dont les effets se conjuguent, dans un contexte caractérisé par l’éclatement des responsabilités en matière de politique du médicament. Comme pour l’ensemble de la consommation médicamenteuse, la régulation de l’usage des psychotropes souffre de la juxtaposition de structures et d’agences dont les missions n’ont été ni clarifiées ni coordonnées, pour un résultat qui n’est pas à la hauteur des moyens investis. Par ailleurs, les enquêtes épidémiologiques ont permis de constater que les troubles psychiatriques sont plus nombreux que dans les autres pays, en contradiction avec l’image d’une France où il fait bon vivre. En revanche, l’étude a totalement infirmé l’idée que le recours aux psychotropes pourrait correspondre en partie à une médicalisation de la crise sociale.

Parmi les facteurs favorisant la consommation des médicaments figurent le paiement à l’acte de la consultation médicale ainsi que l’insuffisance de la formation initiale et continue des professions de santé dans le domaine de la prescription, plusieurs rapports européens ayant établi que le nombre d’heures de formation consacrées à cette matière est, en France, cinq à six fois inférieur à ce qu’il est dans les pays de l’Europe du Nord.

S’agissant des prescriptions de médicaments psychotropes, l’étude montre que les recommandations de bonnes pratiques sont peu respectées, notamment pour les durées de traitement : celles-ci sont longues quand elles devraient être courtes (supérieures à six mois pour plus de trois quarts des usagers d’anxiolytiques, alors que la durée recommandée maximale est de trois mois), et courtes quand elles devraient être longues (inférieures à un mois pour au moins une personne sur quatre traitée par antidépresseur, alors que ce traitement doit être poursuivi au moins six mois après la rémission de l’épisode dépressif). Les indications des traitements sont également peu respectées : la moitié des personnes consommant des antidépresseurs et plus des deux tiers de celles consommant des anxiolytiques et hypnotiques ne présentent pas de trouble psychiatrique relevant d’une indication reconnue ; inversement, moins d’une personne sur trois souffrant de dépression bénéficie d’un traitement approprié. Le niveau élevé de la consommation française n’implique donc pas une meilleure couverture des besoins sanitaires et n’exclut pas un mauvais usage de ces médicaments.

En ce qui concerne l’efficacité des actions engagées par les pouvoirs publics et l’assurance maladie pour lutter contre les prescriptions inadaptées, la carence la plus flagrante concerne la quasi-absence d’évaluation de l’impact des mesures et recommandations et de l’utilisation des financements publics.

S’agissant des alternatives thérapeutiques, parmi lesquelles figurent les psychothérapies, on observe, d’une manière générale, un faible recours à ces traitements, alors que la réponse à la souffrance psychique ne peut se limiter au médicament. Néanmoins, la saturation du réseau des psychiatres, en France, fait qu’on ne peut pas recommander une extension des prises en charge par psychothérapie sans aborder la question des moyens, et donc celle du statut des psychothérapeutes non médecins.

L’homéopathie et la phytothérapie constituent une autre alternative thérapeutique à la prescription de médicaments psychotropes « allopathiques ». Si elles ne sont pas adaptées aux pathologies psychiatriques lourdes, elles peuvent convenir pour certaines plaintes, notamment les syndromes anxieux, affectant en particulier le sommeil. Mais les récentes décisions de déremboursement concernant certaines spécialités pharmaceutiques à base de plantes ont porté préjudice à ces médicaments, au risque de reporter la consommation vers des psychotropes, remboursés mais parfois mal tolérés.

Une meilleure application des règles élémentaires d’hygiène de vie doit être également considérée comme une véritable alternative thérapeutique à la prescription de psychotropes, notamment pour les plaintes concernant le sommeil en l’absence de trouble psychiatrique avéré. Ainsi, certaines personnes en viennent à prendre des psychotropes pour trouver le sommeil sans avoir pensé à abandonner leur habitude de boire du café après dix-sept heures, alors que le métabolisme de la caféine varie en fonction de l’âge.

Enfin, dépendance et sevrage sont trop souvent confondus : en termes de santé publique, le problème majeur soulevé par les psychotropes n’est pas celui de la dépendance, celle-ci ne concernant qu’une très faible minorité d’usagers ayant un usage abusif, toxicomaniaque, des psychotropes, mais celui de la prévention et du traitement d’un syndrome de sevrage chez les personnes ayant un usage prolongé de psychotropes. L’interruption brutale du traitement chronique par psychotropes – notamment les anxiolytiques et hypnotiques – pouvant entraîner des symptômes de sevrage, il est indispensable que les prescripteurs soient mieux informés pour les prévenir en évitant l’usage prolongé de psychotropes et les gérer, notamment par la diminution progressive des posologies.

Puis M. Bernard Bégaud a présenté les recommandations du groupe de travail. Elles concernent tout d’abord la promotion d’études sur l’épidémiologie des troubles psychiatriques et sur les médicaments psychotropes, non seulement par un soutien financier et récurrent (notamment par des bourses doctorales et post-doctorales), mais également par un accès plus aisé aux bases de données de l’assurance maladie : 83 % des remboursements sont actuellement inaccessibles aux investigations statistiques, contrairement aux pratiques en vigueur dans tous les autres pays développés.

La deuxième recommandation concerne la réduction des prescriptions inappropriées par un meilleur respect des recommandations de bonnes pratiques, étant précisé que la notion de prescription inappropriée a été considérée dans l’étude sous l’angle de l’excès comme du défaut de prescription. Dans ce domaine, la formation initiale et continue du personnel médical doit être développée indépendamment des stratégies commerciales des laboratoires pharmaceutiques, la coordination et la validation des enseignements obligatoires pouvant être confiées aux universités et l’amélioration de la diffusion des recommandations de bonnes pratiques pouvant être placée sous la responsabilité d’un organisme unique, qui pourrait être la Haute autorité de santé (HAS).

Sur le plan institutionnel, le cadre juridique existe et suffit – on peut notamment citer le plan Santé mentale 2005-2008, en cours de mise en place – mais une troisième recommandation concerne l’amélioration de la coordination des autorités sanitaires et des agences existantes, ainsi qu’une évaluation des politiques publiques et des moyens mis en oeuvre par les organismes publics existants pour réguler et rationaliser l’usage des médicaments psychotropes.

Les autres recommandations proposent un meilleur accès aux alternatives thérapeutiques (il faut notamment évaluer l’impact du déremboursement de certaines spécialités pharmaceutiques sur le report des prescriptions vers les médicaments psychotropes), le développement de l’information des prescripteurs concernant les méthodes de sevrage et d’aides à l’arrêt des traitements et la mise en oeuvre de campagnes d’information concernant les médicaments psychotropes et les règles d’hygiène de vie.

M. Philippe Clery-Melin, membre du conseil d’experts, a souligné l’exhaustivité de l’étude et indiqué qu’un bilan de la mise en oeuvre du plan de santé mentale vient d’être réalisé par le ministre de la santé, M. Xavier Bertrand, dont les données pourraient être intégrées à l’étude. Il a ensuite souligné que, lorsque l’on parle de l’usage des médicaments psychotropes, il faut bien distinguer ce qui relève de vraies pathologies psychiatriques et ce qui résulte de la quête de certains individus en mal d’identité au sein d’une société dépressive où le recours aux psychotropes est favorisé par un accès aisé aux médicaments. Par ailleurs, il convient d’aborder la question des alternatives psychothérapeutiques avec beaucoup de prudence : l’accès aux psychothérapies peut faire l’objet d’une prescription par les médecins généralistes, dès lors qu’ils en connaissent les indications et les limites, ce qui impose que leur formation soit améliorée car ils sont à l’origine d’une part importante des prescriptions de psychotropes. De plus, les psychothérapies doivent faire l’objet d’une évaluation externe, la Haute autorité de santé étant l’organisme approprié pour diffuser les recommandations de bonnes pratiques dans ce domaine. Un décret est actuellement en préparation dans ce sens. En fait, les associations représentatives des différents courants psychanalytiques sont aujourd’hui plus ouvertes à l’idée d’une évaluation de leurs pratiques, dès lors toutefois que les référentiels d’évaluation ne leur sont pas imposés.

M. Bernard Bégaud a précisé qu’en France, huit prescriptions sur dix émanent de médecins généralistes et que ces derniers sont plus enclins à prescrire à leurs patients un traitement médicamenteux qu’une psychothérapie pour laquelle ils ne sont pas compétents. Bien que les problèmes liés à la souffrance psychique représentent une part très importante de la clientèle des médecins généralistes, la formation en psychothérapie est insuffisante au sein du cursus médical, et il est difficile d’imposer un stage en psychiatrie à tous les étudiants, pour des raisons pratiques liées au nombre de places disponibles.

M. Philippe Clery-Melin a ajouté que les passerelles entre la médecine générale et les médecins psychiatres fonctionnent mal, une enquête ayant montré que 15 % seulement des patients souffrant de troubles psychiatriques avérés ont été adressés à un médecin psychiatre.

Mme Blum-Boisgard, membre du conseil d’experts, a indiqué que les syndicats de médecins généralistes s’étaient opposés au projet d’imposer l’avis préalable d’un médecin psychiatre pour la reconnaissance d’une affection psychiatrique de longue durée.

M. Pascal Astagneau, membre du conseil d’experts, a estimé que si l’on veut diminuer le recours aux psychotropes, il faut faciliter l’orientation de certains patients vers les psychothérapeutes plutôt que vers les psychiatres, les premiers étant suffisamment nombreux et formés.

M. Philippe Clery-Melin a indiqué que le nombre de psychothérapeutes non médecins-psychiatres et non psychologues est évalué à 36 000, alors qu’en France, seules les formations de médecins psychiatres et de psychologues prévoient des enseignements garantissant la capacité à assurer des psychothérapies. Un statut de psychothérapeute, parallèle à ces formations, risquerait de servir de paravent à des personnes incompétentes, voire à des sectes. L’enjeu principal est en fait le remboursement des psychothérapies effectuées par des psychologues. Par exemple, la Mutuelle générale de l’Education nationale (MGEN) assure depuis une dizaine d’années un remboursement pouvant aller jusqu’à 150 séances de psychothérapie, subordonné à une évaluation régulière, par un psychiatre, de l’état d’avancement du traitement. Un système similaire avait été mis en place dès les années trente à Chicago pour les psychanalystes : avant d’entreprendre une psychanalyse, les patients étaient soumis à une dizaine de séances de psychothérapie afin de justifier l’indication. Dans le contexte médico-légal actuel, alors qu’il faudrait réserver les consultations psychiatriques aux seuls patients souffrant des pathologies les plus lourdes, le seul moyen d’obtenir un remboursement est d’aller consulter un médecin-psychiatre, lequel pratique des psychothérapies qui pourraient être dispensées par des psychologues, mais alors sans remboursement.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a souligné l’intérêt des psychothérapies comme alternative à la prescription de psychotropes et, dans cet esprit, a estimé qu’il faut réfléchir à la possibilité d’établir des passerelles entre les professionnels de santé. Elle a également souligné que l’étude apporte des éléments importants sur l’usage des psychotropes par les personnes âgées, qui pourraient servir de base à l’élaboration de recommandations destinées notamment aux établissements d’hébergement des personnes âgées.

M. Philippe Clery-Melin a ajouté que, parallèlement au problème de surconsommation de psychotropes chez les personnes âgées, la prévalence et le diagnostic de la dépression au sein de cette population sont en voie de devenir un problème de santé publique, comme en témoigne l’augmentation inquiétante du nombre des suicides parmi les sujets âgés, en raison du retard de diagnostic des dépressions. Pour ces personnes, la surconsommation des psychotropes peut masquer des symptômes d’origine dépressive et l’on peut dire qu’aujourd’hui deux patients sur trois ne bénéficient pas des traitements adéquats.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a insisté sur la nécessité de trouver une solution au problème de l’accès aux informations détenues par les établissements hospitaliers, afin d’éviter le blocage actuel des études épidémiologiques, notamment sur certaines tranches d’âge et certaines populations précises.

M. Nicolas About, sénateur, président, a indiqué qu’il conviendra de définir précisément l’objet des études nécessaires.

M. Bernard Bégaud est revenu sur la question du financement des recherches, pour souligner que les axes d’études dans le domaine de l’épidémiologie des maladies mentales et de la pharmaco-épidémiologie devraient être repris dans les grands programmes de recherche – programme hospitalier de recherche clinique et programme de l’Agence nationale pour la recherche. Par ailleurs, si la surconsommation française est prouvée, il faut savoir qu’inversement, il y a beaucoup plus de patients qui ne sont pas traités malgré une souffrance psychique avérée. Il ne faut d’ailleurs pas y voir une source d’économies car une personne qui, par exemple, arrête son traitement antidépresseur au bout d’un mois, prend une décision contre-productive, génératrice de coûts et de souffrances supplémentaires.

L’équipe scientifique a également étudié les effets indésirables potentiels des consommations excessives de psychotropes, particulièrement sur les sujets âgés, chez qui elles peuvent entraîner chutes, fractures, troubles cognitifs et risques de démence. En revanche, pour l’un des effets indésirables les plus polémiques, celui du suicide chez les jeunes patients traités par antidépresseurs, Mme Verdoux a fait une analyse de sensibilité au travers de la littérature scientifique, montrant que même en se plaçant dans les hypothèses les plus défavorables, le rapport bénéfice/risque reste très favorable au traitement. Les antidépresseurs ont en effet pour propriété intrinsèque de désinhiber les sujets, y compris dans leurs tendances éventuellement suicidaires, mais comme ils soignent les dépressions qui sont un facteur bien plus important de suicide, il convient de traiter dans tous les cas. La crainte du suicide ne doit donc jamais empêcher le recours aux antidépresseurs.

OEPS – OFFICE PARLEMENTAIRE D’EVALUATION DES POLITIQUES DE SANTE