Ça commence pourtant de façon bien anodine et ronflante, un peu comme la suite d’un film de Roland Emmerich, une sorte de Independance Day ou de Jour d’après qui aurait mal fini : la Terre est devenue inhabitable, irrespirable ! Mille ans après son évacuation, un vaisseau spatial s’y crashe bêtement. Seuls survivants : un père, son fils et un monstre du type Ursa, immonde bête aveugle qui repère ses proies au pif, en flairant la peur. Une seule parade : se rendre indétectable en n’ayant plus peur. Papa y arrive, bien sûr (c’est Will Smith), et son fiston, Kai, évidemment pas (c’est pourtant Jaden Smith, mini star comme toute progéniture de célébrité). Sans surprise, il reviendra à l’ado d’affronter la Terre, ses dangers et l’Ursa en planque, pendant que le père expert, retenu dans la soucoupe volante en miettes par une fracture des deux jambes, dirigera sur écran tactile les opérations visant à retrouver une balise de secours, unique espoir de sauvetage…

Après tout, pourquoi pas ? Les conventions et les idées loufoques font partie du plaisir qu’on peut trouver dans les films de science-fiction. Le problème, c’est que jamais After Earth n’arrive à en être un. Tout y figé par le regard du réalisateur le plus monolithique de Hollywood, M. Night Shyamalan. Qui filme les vaisseaux spatiaux et n’importe quoi d’autre comme le champ de maïs dans Signes (2002). Lentement, fixement, laissant monter une atmosphère, une étrangeté. Sans jamais sembler comprendre, ici, qu’on est déjà supposé être dans une autre dimension, sur une planète réinventée, dans du bizarre ! Appliqué à la fantaisie futuriste, le tempo Shyamalan a un effet terriblement plombant. Sa signature étouffe le cinéma à grand spectacle et ne reflète plus que sa propre prétention, qui a toujours été ahurissante. Dans un champ de maïs ou dans n’importe quoi d’autre, il y a un mystère dont on peut attendre la révélation, nous serine Shyamalan de film en film, se posant en intercesseur entre nous, simples humains, et un sixième ou septième sens. Ce côté prêchi-prêcha de son cinéma semblait avoir du goût pour certains, comme un coulis cérébral sur une part de flan. Mais c’était surtout risible. Avec After Earth, ça l’est beaucoup moins. Car cette fois, il y a du sens, malheureusement.

Tout confirme, en effet, les liens entre le film et l’Eglise de Scientologie, via un de ses serviteurs, Will Smith, non seulement ici acteur mais aussi, plus important, auteur du scénario. La situation qu’il développe autour d’un rapport père-fils oppose, en fait, très clairement un homme fort et un homme faible (quel que soit âge). Autrement dit, dans le langage de la scientologie, un homme qui a maîtrisé ses peurs, ses émotions, ses traumatismes passés et peut assurer sa survie (dans un monde hostile, quel qu’il soit). Face à un homme qui manque d’assurance, victime de ses émotions indésirables, pas au clair avec son mental ni ses souvenirs douloureux, ce qui entraîne une conduite irrationnelle et, bien sûr, un problème de survie (grande obsession des scientologues). Tout ce bla-bla, qui décrit très précisément After Earth, on le trouve sur le site français de la Dianétique, la bible laissée par le pape de la scientologie, Ron Hubbard, par ailleurs écrivain de science-fiction. On y voit aussi le fameux volcan qui sert de symbole à la secte, et de principal décor dans After Earth. A force de vouloir faire des films gonflés de messages ésotériques, Shyamalan s’est donc fait récupérer par des plus malins que lui. Se mettant au service d’une vision fondamentalement antipathique de l’Homme, dont le seul salut serait de mettre le genou à terre (comme le père le répète à son fils), de s’agenouiller donc devant le savoir d’une figure de maître, de suivre ses ordres, d’appliquer sa loi. Seule chose rassurante : tout ça a abouti à un film idiot.

source : TELERAMA.fr du 7juin 2013 par Fédéric Strauss.