Les épidémies sont choses terribles. Et notre époque a les siennes qui nous laissent trop souvent aussi démunis que les pestes, grippes ou choléras du passé. Les efforts que nous faisons pour lutter contre elles sont souvent dérisoires. Parfois ils sont tragiques. Des populations entières souffrent. On annonce des milliers, des centaines de milliers de morts. On sait que la souffrance des mourants est multipliée par celle des survivants, par la douleur et l’angoisse des familles, des proches, et de nous tous, amis, connus et inconnus, dans la simple solidarité des hommes et des femmes.. Et nous avons bien conscience que nous devons tout faire pour lutter contre ces fléaux. Et nous avons bien conscience que nous ne faisons pas tout. Et il faut tout faire, bien sûr, du raisonnable, en gardant raison. Il faut tout faire, sans pourtant ajouter un mal à un mal.

Les Rois soignaient les écrouelles : par simple imposition des mains, ils guérissaient les malades. Ce pouvoir, ils le devaient à la sainteté de leur charge : le roi, c’est Dieu sur terre. Et lorsqu’un malade ne guérissait pas, c’est qu’il ne méritait pas de guérir.
Le roi se mêlait ainsi au peuple souffrant, partageait sa douleur, allégeait sa peine, guérissait les malades méritants.

Cet heureux temps n’est plus. Enfin, nous faisons effort pour que cet heureux temps ne soit plus, et ça n’est pas si facile.

Nous avons appris, malheureux que nous sommes, qu’on n’apprend rien tout seul, que seul, on n’a aucun pouvoir, qu’un savoir, comme un pouvoir, qui ne se construisent pas de l’effort collectif et raisonnable des hommes et des femmes est toujours abusif, toujours dangereux, toujours porteur de malheur et de mort.

Nous avons appris -mais c’est si difficile à comprendre- qu’aucune Providence ne nous a jamais donné -et ne nous donnera jamais- aucun homme ni aucune femme pour nous sauver et nous guérir.

Nous l’avons appris… nous ne l’avons toujours pas compris. Qu’un homme ou une femme se lève pour nous parler de miracle, qu’il soit économique, politique, amoureux ou sanitaire et aussitôt, nous oublions qu’il n’existe pas d’ homme ni de femme providentiels, nous sautons là-dedans à pieds joints. Que voulez-vous, nos illusions sont toujours à la mesure de notre malheur et de notre impuissance !

Nos sociétés de malheur sont ainsi des sociétés d’illusionnistes. Que ces illusionnistes soient ou non sincères n’est pas la question. La question la voici :

Soigner les gens est un métier, comme installer un circuit électrique, ou un chauffage au gaz, fabriquer ou réparer une voiture. Vous pouvez contester la qualité des médecins et de la médecine, ou l’honnêteté des constructeurs, des électriciens gaziers ou des plombiers, vous pouvez bricoler votre installation électrique, vous n’avez ni le droit ni le pouvoir de changer les normes NF de votre propre et seule initiative sans en discuter avec personne. Vous n’avez pas le droit -pas le droit- de faire croire à quiconque que vous avez ce pouvoir.

Soigner les gens est un métier. Comme construire une maison, poser des carrelages. C’est un métier : pas un don. Aucun dieu ne nous pousse dans le dos pour nous donner le pouvoir de guérir nos semblables. Soigner les gens est un métier et comme tous les métiers, il s’apprend : c’est la longue pratique des milliers de générations qui nous ont précédés. C’est le tâtonnement des chercheurs. Vous n’avez pas le droit -pas le droit- de décider par vous-même que vous avez ce pouvoir de soigner.

Soigner les gens est un métier. Préparer des médecines est un métier. Naturellement, la médecine n’est pas assez bien organisée, enseignée, développée, exercée, répartie. Naturellement, les grands laboratoires pharmaceutiques soumettent la santé à leurs profits immédiats. Naturellement. Comme les grands constructeurs de voitures, de maisons, de routes, ou d’aliments soumettent notre vie à leurs profits. Naturellement. Et nous devons nous opposer à cet abus de pouvoir. Mais s’opposer à ce pouvoir abusif, c’est affaire d’effort collectif : construit par la raison dans le débat. Pas par l’illumination individuelle. Pas en remplaçant le pouvoir -privé- de l’argent par celui -tout aussi privé- de l’illusion.

Rael, Raspoutine, le christ de Montfavet n’ont pas eu besoin du pauvre savoir des hommes pour savoir tout ce qu’il y avait à savoir. Et chacun d’eux a toujours fait état de témoignages en sa faveur. Rael, Raspoutine, le Christ de Montfavet et tous ceux qui prétendent détenir plus de savoirs et de pouvoirs que leurs semblables sans avoir eu l’humilité d’apprendre, sans avoir pris la précaution de tester et faire tester, sans accepter l’analyse des communautés de savoir, de savants, d’experts, ceux là, oui, sont des malhonnêtes et ils mettent les autres en danger, jusque dans leur vie.

Quelqu’un disait que le XXIème siècle serait religieux ou ne serait pas… Paroles ambiguës. Ce siècle ne sera peut-être pas religieux, mais voici qu’il devient sectaire : exalté, irrationnel, exclusif, excluant. Et voici que les comportements sectaires affectent des zones idéologiques que l’on croyait encore appuyées sur la raison. Et ça aussi, c’est une peste, pas moins effrayante et dangereuse que l’autre.

Raphaël MONTICELLI