Une affaire judiciaire plutôt instructive
Abordons de suite ce qui représente le coeur de notre affaire et qui fournit le point de départ et le stimulus psychologique de ce livre. Vers la fin de l’année 1999, je reçu dans mon studio de Fidenza, en province de Parme, la visite d’un certain maréchal du NAS [1] et de deux de ses collègues. Après s’être présenté, le maréchal commença aussitôt à entamer une sorte d’interrogatoire au ton presque inquisitorial sur le métier que j’exerçais, les livres que le lisais et écrivais, en prononçant parfois quelques « questions-pièges » du genre : « je vois dans votre bibliothèque des livres de psychologie analytique : alors vous pratiquez la psychologie ? Vous êtes psychologue n’est-ce pas ? » Ma bibliothèque, dont j’avoue être assez fier, contient en effet des livres de tout genre : littérature, mythologie, histoire, linguistique, anthropologie, philosophie, psychologie, psychanalyse, physique et même de chimie. Ceci ne permet pourtant pas d’en déduire que j’exerce la profession de chimiste ! L’attitude du maréchal me sembla tellement prévenue qu’il me fut aussitôt clair que celui-ci n’était pas venu pour accomplir une simple visite de contrôle, pour vérifier comment était réellement la situation dans mon studio, mais pour tenter de créer la panique et d’interrompre mon activité sur le champs. Je lui demandais naturellement le motif de sa visite, mais pour toute réponse je dû me contenter de la phrase suivante, quelque peu énigmatique : « nous conduisons une enquête ; nous ne pouvons rien vous dire de plus pour le moment ! » J’expliquais que je n’étais ni psychologue, ni psychothérapeute, mais que j’exerçais simplement (pour ainsi dire) l’activité de psychanalyste, comme il était possible de le constater en contrôlant mes cartes de visite, mes factures et mes publications. Sur sa demande, j’expliquais également en quoi consistait mon travail, comment se déroulaient les séances et quelles étaient les principales différences entre la psychanalyse et la psychothérapie. Je fis noter par exemple que l’analyste ne reçois pas de « patient », mais des « analysants » et je lui fournissais aussi le nominatif, l’adresse et le numéro de téléphone de l’association psychanalytique à laquelle je m’étais formé à l’analyse pour qu’il puisse éventuellement poursuivre son enquête ailleurs et comprendre que, bien que ne possédant pas de diplôme, j’avais affronté un parcours de formation spécifique et je n’étais donc pas un « analyste sauvage ». J’emploie ici l’adjectif « sauvage » comme synonyme de « improvisé », bien que Freud l’employa surtout pour désigner, non un manque de formation, mais une manière non correcte, trop rapide et superficielle, de distribuer les interprétations en analyse [2].
Après deux mois environ, j’étais invité à me rendre au siège du NAS à Parme, où le même maréchal me confessa « de ne rien piger » à ces arguments analytiques, mais que selon les informations qu’il avait désormais en main il résultait que j’exerçais la profession de psychanalyste illégalement. Le motif en était que je n’étais pas diplômé et je ne disposais pas non plus d’une spécialisation habilitante à l’exercice de la profession de psychothérapeute. Sa sûreté toute apparente, qui était en flagrante contradiction avec sa précédente confession, m’intrigua. Je lui demandais où il avait trouvé ces informations et s’il avait bien contacté l’association psychanalytique que je lui avais signalé. Il me répondit qu’il avait retenu suffisant l’avis du président de l’Ordre des Psychologues de l’Emilie-Romagne, c’est à dire l’institution régionale qui auparavant avait signalé à son groupe la présumée irrégularité de ma part ! Notre maréchal venait de ce pas, en toute tranquillité, de renverser le fameux dicton de la sagesse populaire : « deux avis valent mieux qu’un ».
Successivement, tous mes analysants furent interrogés au siège du maréchal, y compris une amie qui s’était trouvée par hasard dans mon studio pendant une seconde visite improvisée du NAS et qui, malgré ses protestations, avait été considérée sur le même plan que mes clients. À ce point de l’affaire, pour une procédure juridiquement correcte, le NAS aurait dû avertir mon avocat ou ma personne avant de pointer pour la deuxième fois dans mon studio. Au contraire, non seulement nous n’en fûmes d’aucune manière avertis, mais le maréchal m’ordonna d’enlever mes cartes de visite affichées sur ma boîte aux lettres et sur la porte d’entrée de mon studio. En cette même occasion le maréchal, toujours accompagné de deux collègues, exprima quelques paroles de fausse stupeur en constatant que sa cible, nonobstant les résultats de l’« enquête » et en barbe à son attitude intimidatrice, était restée en toute cohérence à sa propre place. Il est probable que par son comportement il chercha, à travers une forme rudimentaire de communication non verbale, de m’effrayer ultérieurement. Selon lui, j’aurais certainement mieux fait de déserter mon studio et de me cacher comme un truand démasqué en proie à la peur et à la honte. Il est certes tranquillisant de suivre ses propres préjugés et de connaître dès le départ le but à atteindre. La même attitude rendrait impossible tout pas en avant d’un point de vue analytique. Une écoute débarrassée de préjugé est en premier lieu ce que l’analysant cherche auprès d’un analyste. Et c’est aussi la condition pour que les deux puissent réellement progresser dans leur enquête psychologique. Ce n’est pourtant pas ce que font les psychologues et les psychothérapeutes quand ils utilisent des tests et des protocoles d’intervention et quand ils se réfèrent aux catégories du DSM [3]. J’entend dire par là que si les symptômes psychiques, comme découvre la psychanalyse quotidiennement depuis plus d’un siècle, dénotent une structure de langage, alors ils doivent être interprétés dans leur qualité de signifiants et considérés avant tout pour ce qu’ils ont à dire sur le sujet. Ce qui a effectivement effet thérapeutique durable et vrai réside finalement dans la compréhension de ce que les symptômes ont à dire, non pas dans leur élimination pure et simple. Les méthodes psychiatriques et psychothérapeutiques se limitent souvent, chacune à leurs façons, à bâillonner l’âme. Autre façon de nier l’inconscient dans l’ère de la technique et de la mode des fast solution.
Pour retourner à notre maréchal (ne ressemblant pas du tout au cliché de fonctionnaire plutôt conflictuel et donc profondément humain en vogue dans les séries télévisées italiennes), c’est comme si, une fois la pratique acheminée, il était forcément nécessaire de démontrer de ne pas s’être déplacé en vain. Un tel comportement implique une conception erronée et dangereuse du travail d’enquête judiciaire. En effet, le fait de trouver l’enquêté en règle avec la Loi devrait être considéré un résultat aussi valable et appréciable que le contraire. Dans les deux cas la justice réalise sa fonction naturelle. Autrement, ce serait comme si un agent de la route ou un policier devait nécessairement faire une contravention à un automobiliste en règle avec le code de la route pour le simple motif qu’il a été contrôlé ! Pourtant, il me semble qu’en bien des cas et des domaines, une certaine « manie des résultats » pullulant depuis des années déjà dans nos pays occidentaux puisse aboutir à de telles situations paradoxales. Je crains toutefois qu’un tel « trouble comportemental » ne fasse jamais partie du DSM !
Comme conclusion de cette première tranche de l’affaire, il était formulé envers ma personne l’accusation « d’abus du titre de psychanalyste » pour m’être présenté comme tel sur mes cartes de visite et sur les pages réservées aux professionnels de l’annuaire téléphonique sans posséder de titre académique et habilitatif pour l’exercice de cette profession. À de tel propos, je dois ajouter que successivement, devant le juge monocrate de Parme, section de Fidenza, le maréchal niera sous serment mon appartenance à la prestigieuse Académie Européenne Interdisciplinaire des Sciences, en affirmant d’être arrivé à cette conclusion après de longues recherches. C’est à se demander si ces fonctionnaires savent utiliser un ordinateur et naviguer sur internet. Il aurait suffit en effet de digiter le nom de l’académie ou mon propre nominatif pour joindre, sans difficulté de sorte et en quelques secondes, au site cherché (http://aeis.ifrance.com/) sur lequel mon nominatif et mes articles figurent aux côtés de ceux d’intellectuels de grande renommée. Il est clair qu’une telle institution ne fournit aucun diplôme ou titre habilitatif à l’exercice d’aucune profession, mais donne tout de même à ses membres une importante reconnaissance d’ordre culturel pour la valeur scientifique de leurs travaux et publications. Or, si d’un point de vue strictement juridique, dans cette affaire l’appartenance à une académie n’a aucune importance, il n’est pas difficile d’imaginer que d’un point de vue moral sa négation, bien que privée de preuve et donc incorrecte, ait pu produire quelques ressentiments chez l’intéressé. Pour la personne ayant l’habitude de se rapporter aux organismes de la Loi, ces erreurs ou manques de bonne foi sont considérés probablement comme normaux, mais pour les personnes plus ou moins privées d’expérience en ce domaine, il s’agit de véritables bombes. On se sent victime de profondes injustices atteignantes de la propre dignité. Ces cas renverse la sentence populaire italienne « la langue cogne sur la dent qui fait mal », laissant entendre par là que seules les vérités brûles. En réalité, je crois que les injustices aussi peuvent faire beaucoup de dégâts à leurs victimes.
II
Heureusement, mon expérience personnelle me permet de déclarer que l’épaisseur professionnelle des juges dans mon pays d’adoption n’est pas comparable à celle des fonctionnaires de la Police. Cette simple observation jette une lumière positive sur la justice italienne qui compense en quelques sortes l’absurdité de ses temps. Ce genre de délit concernant l’abus de titre fut, juste en cette période, dépénalisé par effet du décret n° 507 du 30 décembre 1999, et devint donc sujet à sanction administrative de compétence du préfet. Ce fut donc le juge de paix à émettre, le mois de décembre de l’année 2000, la première sentence accueillant notre opposition contre le préfet de Parme et à annuler la disposition imposant à ma personne le paiement de la somme de 300.000 lires (environ 150 euros) à titre de sanction pécuniaire. La motivation adoptée par le juge fut que « pour exercer l’activité de psychanalyste aucun diplôme ni aucune inscription à un ordre professionnel est obligatoire. La psychothérapie et la psychologie sont des disciplines pour l’exercice desquelles il est nécessaire de posséder un titre d’étude et une inscription à l’Ordre (…) La loi actuellement en vigueur pour la définition de l’activité professionnelle de psychothérapeute (Loi Ossicini) n’emploie jamais les termes de “psychanalyse” et de “psychanalyste”, et il n’existe aucune loi en vigueur qui exige un titre d’étude spécifique pour l’exercice de l’activité de psychanalyste étant donné que ce dernier n’intervient pas activement dans la thérapie, mais se limite à assumer une position d’écoute, à donner des conseils, à réconforter et à proposer une aide de genre essentiellement passif. Et il va de soi que le fait d’écouter une personne dans l’expression de ses peines et des ses joies ne peut être considéré comme une activité nuisible pour celle-ci… »
En soulignant les aspects liés à l’écoute et aux interventions non actives, c’est-à-dire non dirigés sur les symptômes, le juge de paix démontre d’avoir saisi certains points fondamentaux qui caractérisent la psychanalyse et la distinguent de la psychothérapie. Comme nous le savons, Freud soutenait que la cure intervenait presque comme effet accessoire du travail d’investigation analytique. Avis qui sera re-proposé encore plus radicalement par Lacan qui écrivait par exemple que toute analyse personnelle est didactique et que thérapeutiques sont les éventuels effets produits par celle-ci. Le résultat de l’analyse ne va effectivement pas de soi et il n’est pas possible de prévoir une amélioration de santé de l’analysant. La “santé psychique” est un fait subjectif et n’a rien à voir avec le concept de santé classique de la médecine. Il n’existe en effet aucune preuve objective de maladie dans ce que l’on nomme aujourd’hui “troubles psychiques”, aucune lésion des tissus cérébraux, aucune dégénérescence cellulaire anormale, tout comme il n’existe aucun virus de la schizophrénie. La maladie en psychiatrie est diagnostiquée sur la base de comportements bizarres et incompréhensibles au psychiatre, mais dérangeant pour la société. Ainsi, Szasz a tout à fait raison de comparer le concept désuet de maladie mentale de la psychiatrie au concept désuet de phlogiston de la chimie pré-scientifique et de soutenir que « comme la chimie a dû se débarasser de l’idée du phlogiston pour devenir véritablement scientifique, de même la psychiatrie, pour devenir une véritable science, doit en premier lieu se débarasser de l’idée de la maladie mentale » [4]. Aussi, la fonction de l’analyse n’est pas de soigner une maladie imaginaire et de faire le commerce de sa cure, mais d’éclairer la signification inconsciente des symptômes et d’offrir à l’analysant une voie privilégiée pour surmonter les conflits par lesquels ces symptômes s’expriment. Le choix d’entreprendre une telle voie appartient uniquement à l’analysant, mais cela ne se vérifie pas toujours. Ce dernier doit en effet faire les comptes d’une part avec les avantages secondaires que les symptômes souvent lui procurent avec le « coût » que comporte la prise de conscience de l’inconscient, d’autre part avec la souffrance plus ou moins symptomatique due à l’humaine « passion envers l’ignorance ». L’analysant est et doit rester libre de s’adonner à cette passion et de préférer à la « guérison » la névrose car celle-ci représente quand même une tentative personnelle de répondre à un problème concernant sa personnalité. L’analyste ne « guérit » pas par la force, n’entreprend pas de lutte aveugle avec les symptômes. Différemment, si nous voulions et réussissions à psychothérapeutiser l’Autre par la force, nous finirions par bâillonner l’inconscient des individus et par contribuer à créer une sorte de société normopathe. D’autre part, le désir de soigner à tout prix, cette sorte de furor curandi que l’on trouve parfois en psychiatrie et psychothérapie, est tout à fait étrangère à l’éthique et à l’approche du psychanalyste qui est payé pour analyser et non pour soigner [5].
III
Insatisfaits du pli pris jusqu’à ce moment par l’affaire, mes ennemis retournèrent de suite à la rescousse avec une nouvelle accusation : « abus de la profession de psychologue ». Le fait qui apparemment leur apporta une nouvelle légitimation à leur acte judiciaire fut trouvé dans l’insertion de mon nominatif dans l’annuaire téléphonique réservés aux professionnels de la province de Parme. Or, tout le monde sait qu’une telle insertion (du moins telle était la situation à l’époque des faits contestés) se réalise d’une manière automatique, sans que l’intéressé ait à faire aucune demande spécifique. Et, étant donné qu’à l’époque il manquait une catégorie spécifique pour l’activité de psychanalyste, mon nom fut inséré dans la catégorie qui, à tort ou à raison, était considérée comme la plus voisine de la mienne, c’est-à-dire celle de psychologue, laquelle rassemblait déjà des activités très diverses, comme par exemple la pranothérapie et la chiromancie.
Malheureusement pour mes détracteurs, les enquêtes effectuées à mon bureau, auprès du directeur de l’université où je tiens un cour d’introduction à la psychanalyse et auprès de mes analysants, ne donnèrent les fruits désirés. Ils pensèrent alors de parcourir des voies plus improbables, démontrant par la même occasion la faiblesse de leur position et l’acharnement envers ma personne. Cette fois, ils voulurent vérifier si l’association culturelle que je présidais pouvait être cataloguée parmi les sectes qui roulent psychologiquement et terrorisent leurs victimes ! Ainsi, pendant deux jours consécutifs, deux agents en tenue civile, cachés derrière les plantes du petit parc d’en face, surveillèrent la porte d’entrée de mon immeuble, arrêtant les personnes qui en sortaient et leur demandant s’ils s’étaient rendus chez Fratini, s’ils avaient connaissance du fait que j’exerçais la psychanalyse… Une de ces personnes me téléphona aussitôt après avoir été arrêté pour m’avertir, en ajoutant que les agents lui avaient demandé de taire leur rencontre ! Ce fut justement grâce à cette « délation », un peu comme dans les films d’espionnage, que je pu me rendre compte de nos deux agents cachés de l’autre côté de la rue. Le soir du second jour, pendant que je garais mon auto dans le garage, Holmes et Watson sortirent promptement de leur cachette et après être entrés tranquillement dans la cour de la propriété privée, allèrent à ma rencontre. Il me demandèrent si j’étais bien le Fratini président de telle association culturelle en me montrant leurs distinctifs si rapidement que je n’eus pas même le temps de vérifier qui j’avais effectivement devant moi. Ensuite, même dépourvus d’un mandat de perquisition, ils prétendirent entrer dans mon domicile, chose que je leur refusais évidemment. Je demandais à mon tour de pouvoir revoir leurs distinctifs, mais probablement cette demande, formulée par un simple citoyen seul au milieu d’une cour et arrêté par deux inconnus à l’attitude pas vraiment sympathique, dû leur paraître trop exigeante, ou carrément un véritable affront. Étant donné que je me permis de mettre en doute leur parole, au lieu de sortir à nouveau leurs distinctifs, ils escomptèrent une meilleur stratégie pour rejoindre leur but en appelant les carabiniers à leur secours. Comme il est facile de l’imaginer, cette manoeuvre fut pour nos deux agents un moyen pour tenter de me mettre en défaut aux yeux du voisinage. Après leur avoir régulièrement présenté les documents de l’Association, je fus invité à les suivre au poste où il m’auraient rédigés un acte. La motivation qu’ils attribuèrent à leur enquête fut, comme je l’ai déjà mentionner plus haut, une opération de contrôle dans le domaine de la lutte contre les sectes. Malheureusement pour eux, une fois au poste je reconnu un des deux agents du NAS qui accompagnait le maréchal pendant leur précédente visite improvisé à mon bureau !
Outre son aspect que je définirai presque de grotesque, cette tranche d’affaire peut toutefois donner à réfléchir sur la terreur des sectes religieuses éclatée récemment en Italie ainsi qu’en d’autres pays de l’Europe. Il semble effectivement qu’en certains cas ces sectes aient pris la place que l’on réservait au Moyen-Âge aux sorcières et aux hérétiques. Semer ainsi le doute qu’un certain personnage embarrassant soit un gourou à la tête d’un groupe d’adeptes manipulés, comme il a été le cas par exemple quelques années auparavant dans l’affaire Verdiglione [6] Assurément, cette déclaration reste aujourd’hui encore valable plus que jamais.]], devient aujourd’hui une manoeuvre efficace pour tenter de l’éliminer. Mais la même préoccupation envers les victimes potentielles des sectes offre une puissante légitimation à la volonté des états européens d’encadrer les disciplines psychologiques encore libres dans de nouvelles réglementations. En France, par exemple, où non seulement la psychanalyse mais également la psychothérapie sont encore des disciplines non réglementées par aucune loi spécifique, dans le texte de l’amendement proposé récemment à l’Assemblée Nationale par le sénateur Bernard Accoyer, nous trouvons que « …certaines techniques psychothérapeutiques sont un outil au service de l’infiltration sectaire » et il semble que pour cette raison principalement on y recommande d’encadrer ces disciplines pour le bien de la santé mentale des patients.
Je dois toutefois m’estimer heureux que mes idées n’aient pas rencontré un succès tel à susciter un sérieux embarras à quelques institutions (à part naturellement l’Ordre des psychologues !). Autrement, j’aurais pu facilement devenir la cible de nouvelles accusations comme celle d’incapable ou de quelques autres délits de ce genre, liés à la constitution de sectes, comme il est arrivé récemment au Dr. Hammer, auteur d’un nouveau modèle de médecine non reconnu par la médecine officielle. Au moment de la rédaction du présent ouvrage, ce médecin se trouve encore prisonnier dans une prison française pour avoir prescrit une thérapie médicale par téléphone après avoir été rayés de l’Ordre des médecins de son propre pays. La situation a été précipité, car le mouvement culturel et scientifique, appelé Nouvelle Médecine, dont il est le fondateur, a été considéré de type sectaire et parce que ses livres ont été retenus dangereux pour le public. Sans entrer dans les détails de cette autre affaire, certainement plus grave et absurde que la mienne en ce qui concerne les droits du citoyen et en particulier la liberté de pensée, notons que l’incarcération eut lieu sans que ceux qui fréquentent le Mouvement aient porté plainte. Au contraire, que je sache, ceux-ci se sont mobilisés en masse en faveur du médecin allemand. De même, mes analysants n’ont pas voulu porter plainte mais, malgré les invitations reçues en ce sens de la part du maréchal pendant l’interrogatoire, ils se sont montrés dans leurs dépositions reconnaissants et satisfaits de leur analyste.
Je dois toutefois reconnaître que le comportement de nos agents n’a jamais dépassé une certaine limite. Du moins aucun indice de ma présumée culpabilité n’a été carrément inventé. Il se peut qu’une telle considération puisse surprendre ou sembler quelques peu ironique, mais devant les fautes, les exagérations, les manières intimidatrices et l’acharnement dont j’estime avoir été l’objet, il vient spontanément de se poser des questions sur la maturité et l’équilibre psychologique de leurs auteurs. Une phrase en particulier, prononcée très franchement par le maréchal à la fin de notre première rencontre, resta longuement gravée dans ma mémoire : « Nous nous reverrons ! ». Encore, au tout début de ce calvaire qui aurait finit par me paraître d’un temps infini, précisément en novembre 1999, je reçu de la part du même groupe opératif policier la copie d’une communication écrite de notice de délit dans laquelle il était demandé au Procureur de la République de Parme d’émaner un décret préventif envers mon activité. Je fus encore plus choqué et même plutôt alarmé, outre que profondément irrité, quand un peu plus tard je reçu de la part du Substitut Procureur de la République de Parme une copie de la conclusion reportant textuellement la volonté « d’interrompre mon activité criminelle » ! Si j’étais un criminel la chose ne m’aurait probablement pas touché plus que cela. Mais traiter de cette manière une personne de criminel uniquement parce que l’on présume qu’elle ait commis un délit, qui plus est de petite entité, est à mon avis une exagération et donc une faute qu’un haut fonctionnaire de la Justice ne devrait pas se permettre. Si une personne non diplômée qui exerce à la lumière du jour l’activité de psychanalyste doit être considérée un criminel (même la Loi ne le défend pas), alors en proportion une personne qui vole devrait être considérée un monstre à éliminer !
Mais avant cette triste affaire, j’ai toujours pensé fermement qu’à tous les niveaux, du simple agent de police au préfet et au ministre, les fonctions de pouvoir devraient être revêtues par des personnes particulièrement mûres d’un point de vue psychologique. Toute forme de pouvoir, selon le vieil adage populaire italien, « cogne fortement à la tête ». Aucun individu qui n’y soit intimement préparé ne devrait en recevoir l’investiture. Outre les textes nombreux et illuminants tirés de la littérature existante sur le sujet que ces fonctionnaires devraient connaître, une période d’analyse leur permettrait aussi de mieux gérer les difficultés relatives à l’assomption de pouvoir. Il s’agit là d’un problème d’énorme importance qui pourrait nous mener à des considérations dépassant de loin le domaine restreint de cette affaire. Nous pourrions en particulier nous interroger sur le degré de maturité rejoint par l’institution de la Justice et donc par notre société. Le fait que les personnes chargées de représenter et d’appliquer la justice n’aient pas reçu de préparation adéquate signifie que le problème que nous avons soulevé pour notre société n’existe pas ou n’est pas assez important pour nécessiter de mesures en ce sens. Il s’agit donc, de toute évidence, d’une façon de refouler le problème. Le but de la personne qui aujourd’hui aspire au pouvoir mais en même temps n’est pas suffisamment préparée à le recevoir ne peut que se révéler dangereusement égoïque. Ceci reste vrai pour toute forme de pouvoir collectif, donc aussi pour la politique. Les anciens grecs, fondateurs de la démocratie ou « gouvernement du peuple », étaient de ce côté là plus prévoyants et sages que nous. Vers le début du Ve siècle avant J.-C. ils inventèrent, avec un certain Clystène, une pratique nommée « ostracisme » et dont la fonction était d’empêcher aux hommes politiques d’acquérir trop de pouvoir. L’ostracisme punissait même la seule présomption de pouvoir et c’était le peuple qui, par le biais d’une procédure secrète, inscrivait les noms des puissant à bannir de la polis. Plutarque écrit dans La vie de Témistocle que l’ostracisme donnait un apaisement et une satisfaction à l’envie du peuple envers les puissants. Cette mesure pourra peut être paraître exagérée, mais d’un point de vue psychologique l’assomption de pouvoir tend naturellement à engendrer dans les individus des complexes très puissants. Ceux-ci, quand ils ne sont pas affrontés correctement, peuvent engendrer des situations très dangereuses ; comme l’Histoire, depuis toujours, ne cesse de démontrer.
D’une manière encore plus générale, le problème posé par le Pouvoir est la manifestation d’un conflit inconscient avec nos propres limites et donc avec ce que Jung appelait l’Ombre. En ce sens, plus on est à l’obscur des propres limites et de la propre vulnérabilité vis à vis du Pouvoir, plus ce dernier tend à notre insu à prendre l’avantage et à diriger nos pensées et comportements. L’exemple peut être majeur d’un tel mécanisme est représenté par la Sainte Inquisition au temps du Moyen-Âge. Sur la base d’une auto-légitimation concernant le croyance aux sorcières et au démon, les inquisiteurs, en tant que bras de la Sainte Eglise, torturèrent et condamnèrent au bûcher des centaines d’innocents, parmi lesquels d’éminents philosophes comme Giordano Bruno et Tommaso Campanella, « pour le bien de leur âme ». Aujourd’hui en Italie, sur la base d’une auto-légitimation concernant la croyance au danger de la psychanalyse, l’Ordre des Psychologues défoule sa propre agressivité en torturant moralement les psychanalystes libres, non alignés à la politique thérapeutique dominante, « pour le bien des patients mentaux » et da la psychologie d’État. S. Freud fut le premier à démontrer, grâce à la méthode analytique, que dans l’inconscient de l’homme se trouve des tendances destructives. Ce qu’il appelle libido est en effet un mélange inextricable de sexualité et d’agressivité qui peut être, au prix d’efforts psychologiques et moraux extraordinaires, dompté ou sublimé. Alors que ces tendances libidinales restent soumises à l’inconscient, elles peuvent se reverser sur le monde extérieur sans que le sujet ne les reconnaisse. Dans ce mélange explosif d’agressivité et d’amour, le premier facteur semble largement l’emporter sur le second. Et le Pouvoir est sans doute un des moyens privilégiés par lequel la haine et l’agressivité se déploie. En effet le Pouvoir, du moins dans nos macro-sociétés où il apparaît structuré par de rigides hiérarchies et des réseaux capillaires, a toujours été conçu comme Pouvoir sur l’Autre, que ce dernier soit un animal, un homme ou le monde. La suprématie sur l’Autre passe naturellement à travers la mise en état d’infériorité de l’Autre. Et c’est précisément ce mécanisme de défoulement de l’agressivité, avec la conséquente satisfaction pulsionnelle sadique qui en résulte, à constituer le plus profond motif d’attraction du Pouvoir. Un tel complexe de puissance est reconnaissable un peu partout dans les comportements humains individuels et sociaux. Il a un rôle de premier plan dans les unités psychiatriques, chez le fou qui se prend (évidemment) pour Napoléon ou pour un autre personnage important, tout comme chez le psychiatre qui définit « fou » son patient sans le comprendre ; dans les milieux bourgeois de la voyante hystérique qui soutient d’être la réincarnation d’une princesse, ou encore dans les figures réelles ou imaginaires de sociopathes à la tête d’organisations voulant conquérir le monde ou le Marché. Il apparaît donc essentiel à nos yeux pour avoir une société saine que ses fonctionnaires apprennent à mieux gérer le rapport avec le pouvoir qu’ils représentent.
IV
Il est probable que le lecteur puisse nourrir des doutes sur l’objectivité du récit. Qu’un psychanalyste n’ayant commis aucune illégalité soit ainsi poursuivis, et avec un tel acharnement, a de l’incroyable. Je ne pourrais en vouloir au lecteur s’il pensait que Fratini, encore irrité vis à vis de ses enquêteurs, a exagéré un peu et s’est laissé aller à des confessions peu crédibles. Du reste, il ne m’est certainement pas possible de déposer ma subjectivité et de me mettre à raisonner comme si j’étais un ordinateur. D’une part, il existe les procédures légales, administratives et judiciaires que nous sommes censés connaître en tant qu’aspect important de notre réalité sociale. Ces procédures sont documentaires et vérifiables et peuvent donc en théorie être affrontées objectivement et jugés correctes ou incorrectes. Mais les choses sont plus complexes qu’elles en ont l’air, car d’autre part il existe les individus avec leurs propres sensibilités. Et puis il y a les interprétations des lois et des procédures qui sont largement influencées par la subjectivité et les problèmes de leurs auteurs. Les sujets qui ont la fonction d’interpréter les lois subissent des influences et donc ne sont pas infaillibles. En résumé, il est impossible de se débarasser complètement de sa propre subjectivité. Rester sur un plan idéalement objectif mènerait à un résultat trop partiel ne rendant pas justice à l’affaire dans sa complexité. Par conséquent, il ne m’est possible que de battre l’unique voie qui s’offre à moi pour décrire des cas de ce genre, celle qui ne renonce pas à utiliser la part de sensibilité que l’on porte en soi et qui en fait même, si possible, un style. La croyance dans la pure objectivité des lois et des procédures représente souvent, à mon sens, un abri derrière lequel on cache volontiers ses propres limites et sa propre mesquinerie. En ce cas, il n’est pas difficile pour un représentant de la Loi de finir par se transformer, sans s’en apercevoir et aux yeux des autres, en une sorte d’« infernale Quinlan », le personnage d’un fameux film culte hollywoodien si bien incarné par un caricatural Orson Welles.
Un autre aspect inquiétant de cette histoire, surtout et encore une fois à cause des modalités par lesquelles il s’est vérifié, est représenté par l’interrogatoire que mes analysants ont dû subir, la première fois par oeuvre du maréchal et ensuite, au tribunal, de la part du Ministère Public. La diction « psychanalyste » imprimée sur mes cartes de visites, l’expression « séances de psychanalyse » reportée en objet sur mes factures, mes livres et articles dans lesquels je pris toujours soin de me présenter comme « psychanalyste » ne suffirent à démontrer la cohérence entre mon activité professionnelle et mon témoignage. Ce qui m’a plongé dans cette fâcheuse situation fut apparemment l’insertion de mon activité dans la catégorie « psychologues » de l’annuaire des professionnels. Bien entendu, j’expliquai que cette présence dans une catégorie impropre dépendait du fait que l’Annuaire ne prévoyait pas (du moins à l’époque des faits contestés) une catégorie spécifique pour les psychanalystes et donc mon nominatif fut automatiquement publié dans la catégorie des psychologues. Mais toute cette cohérence et absence d’infraction dû paraître trop étrange aux enquêteurs : il était clair qu’elle devait cacher quelque chose de terrible. Un interrogatoire bien fait constitue depuis toujours pour toute forme d’inquisition le meilleur moyen d’obtenir des confirmations aux propres doutes et préjugés. Évidemment, je n’ai pas pu assister aux premiers interrogatoires chez le Maréchal, mais je peux toutefois rapporter le témoignage de certains analysants invités à porter plainte contre leur analyste non diplômé ! Ceux-ci furent aussi gentiment « informés » de la condition d’illégalité dans laquelle leur analyste exerçait sa profession, étant donné que « la loi en vigueur en Italie n’est certainement pas comme en France ; ici il est nécessaire de posséder un diplôme en psychologie ou en médecine et l’inscription à l’Annuaire des psychothérapeutes ». Ces éléments, en réalité incorrects, ont été intentionnellement fournis comme certains à mes clients, la majeure partie desquels avaient déjà conclus leurs analyses. L’un d’eux, au contraire, visiblement choqué par ce qui était arrivé, interrompu après quelques séances. L’image de l’analyste sans faille et surtout en tant que sujet supposé savoir s’ébranla en rendant problématique le rapport de nature transférentielle. L’interrogatoire donna une nouvelle et inespérée source d’inspiration aux résistances de l’analysant. L’affaire dans laquelle celui-ci se trouva impliqué se transforma en un motif imprévu, apparemment objectif car conforté par des émissaires de la Loi, pour nourrir des doutes sur la professionnalité et la personne de l’analyste ainsi que sur l’efficacité de l’analyse en soi. En marquant l’interruption définitive de l’analyse, le dommage que cette affaire dû porter à ce cas clinique demeure incalculable.
Toutefois, en ce qui concerne ce genre de problématiques transférentielles générées par l’intromission d’agents extérieurs à l’analyse, c’est-à-dire en ce cas précis du NAS, je dois à nouveau m’estimer heureux. L’analyse, en effet, est une pratique très délicate destinée à mettre en jeu des dynamiques psychologiques profondes, inconscientes, accompagnées la plupart du temps d’un transfert sur la figure de l’analyste, et pouvant s’avérer plutôt difficiles à gérer pour l’analyste comme pour l’analysant. Ce dernier est souvent porté à passer à l’acte ses propres conflits inconscients en y impliquant l’analyste qui devient alors, aux yeux de l’analysant et sans s’en apercevoir, le père tyran, la mère froide et injuste, le frère méchant… Il est aisé de comprendre que de telles dynamiques tendent à provoquer des réactions psychologiques négatives envers l’analyste. Par conséquent, quelle meilleure occasion pour défouler sa propre agressivité d’une invitation à la plainte adressée par des agents de police ? Par exemple, j’aurai pu avoir en analyse en cette période une personne hystérique en plein transfert négatif qui aurait pu facilement utiliser la situation qui s’était formée contre ma personne et à l’avantage de sa partie névrotique. Après avoir été interrogés, certains analysants me téléphonèrent aussitôt pour m’informer sur les modalités de l’interrogatoire et pour me communiquer leurs impressions. Selon leurs témoignages, il était évident que le maréchal entendait interrompre à tous prix mon activité.
V
Si un ou plusieurs analysants, s’attachant à un quelconque motif, avaient porté plainte, les problématiques transférentielles auraient probablement mis en sérieuses difficultés la compréhension des juges. La logique de l’inconscient, en effet, est en grande partie étrangère à la mentalité profane et elle trouve difficilement sa place dans le hall d’un tribunal. Je dois toutefois reconnaître que les juges ont eu le grand mérite de ne pas se laisser influencer par les attitudes des témoins de l’accusation et du Ministère Public et d’avoir évité que cette affaire ne se transforma en une sorte de procès contre la psychanalyse libre. Éventualité que le maréchal, comme lui même le confessa en cherchant peut être à me réconforter ou, ce qui est plus probable, à soulager ses propres sens de culpabilités, aurait bien apprécié. J’aurai bien pu tomber victime d’une machination de ce genre, étant donné le vide législatif existant en Italie pour la pratique de notre discipline, et vu les intérêts économiques en jeu qui représentent l’unique vrai motif de la guerre entreprise par l’Ordre des Psychologues vis à vis des psychanalystes libres. Pendant les recherches réalisées en vue de la préparation de ma défense au tribunal, plusieurs cas parfaitement similaires au mien vinrent à ma connaissance, et tous se conclurent par l’absolution de l’accusé. Par rapport à ces précédents, mon cas devait être poussé plus loin et aller jusqu’à déranger la Cour d’Appel ! Afin de se faire une idée des intérêts économiques en jeu on peut consulter la recherche sociologique, très utile en l’occurrence, de M. A. Trasforini [7] où l’on démontre, données à la mains, qu’entre toutes les catégories professionnelles du champs “psy” celle des psychanalystes (à l’époque de l’introduction de la Loi Ossicini [8]) compte le plus grand nombre de pratiquants. Aujourd’hui la situation a certainement changé, d’une part à cause de la montée des diverses formes de psychothérapie qui créent une forte concurrence à la psychanalyse, comme par exemple le comportementalisme, le cognitivisme, l’hypnose et la psychothérapie stratégique ; d’autre part à cause de l’effet produit par le même Loi Ossicini à laquelle beaucoup d’analystes se sont conformés pour exigences de marché et pour ne pas risquer d’avoir des problèmes d’ordre légal, en devenant donc des « psychothérapeutes analystes ». Par le biais de cette opération politique, la majorité des analystes s’inscrivirent au « parti » du moment, c’est-à-dire à l’Annuaire des Psychothérapeutes et commencèrent, pour être en règle, à payer à l’Ordre des Psychologues de leur Région un pourcentage sur leurs profits annuels qui ira alimenter une caisse de retraite. Ce pourcentage devrait être à ce jour de l’ordre de douze pour cent.
En échange, ces professionnels gagnaient en tranquillité. Personne n’aurait pu les dénoncer pour abus de la profession de psychanalyste, l’Ordre se serait porté garant de la légalité de leur exercice et aussi, par cette voie, de leur professionnalité. Depuis lors, leur statut de psychanalyste n’aurait plus dépendu de leur analyse, de leurs publications, et de leurs interventions publiques. Rien d’étrange, donc, si la scène de la Culture ne se soit toujours plus éloignée d’eux. Dans les débats télévisés, par exemple, les interventions de psychanalystes sont devenus toujours plus rares, tandis que l’apport technique de psychiatres, neurologues et psychothérapeutes n’a pas cessé d’augmenter. Un épisode particulièrement significatif de cette situation fut le silence presque totale des journaux télévisés et de la Presse nationale à propos de la mort de Aldo Carotenuto, considéré comme un des psychanalystes jungiens plus importants du panorama italien.
L’unique procédé naturel de reconnaissance du psychanalyste, celui qui passe par le crible de la communauté des pairs, a laissé la place à la reconnaissance légale de l’Ordre. Alors que ce dernier, dans les premiers temps de son introduction, ait dû prendre dans ses rangs des professionnels n’ayant aucun diplôme spécifique mais pouvant démontrer, par la simple possession d’une partie de TVA, la preuve d’une activité pluriannuelle exercée dans le champs de la psychologie. Et pour dissuader quiconque de penser différemment ou de retourner sur ses propres pas, l’Ordre continue dans sa logique délatoire à dénoncer des professionnels sérieux et cohérents, qui ne prétendent à rien de plus qu’au respect de leurs droits. Le tout, évidemment, sans que cette institution n’ose jamais se constituer partie civile ! Pourtant, si ses représentants étaient vraiment convaincus, comme ils affirment souvent [9], d’avoir raison et donc d’accomplir uniquement leur fonction de vigilance professionnelle, ils pourraient le faire. Il est certain que leurs éventuelles victoires légales ne feraient qu’augmenter leur prestige et l’autorité de leur institution. Mais de toute évidence leur comportement ne semble pas dicté par une conviction authentique, mais plutôt par une volonté politique planifiée et réalisée par le biais de méthodes terroristes. En affirmant cela, en réalité je pèse mes paroles car ces dénonciations produisent l’effet de véritable bombes sur les personnes qui en sont la cible. Pendant ces six ans, j’ai dû forcément apprendre à me rapporter à certains acteurs de la Loi presqu’à la façon des délinquants, c’est-à-dire en tentant de considérer les traitements dont j’étais l’objet comme s’ils faisaient partie d’une normale procédure. Comme il advenait au Moyen-Âge avec les sorcières, aujourd’hui l’Ordre des Psychologues pointe le doigt sur le psychanalyste libre : les pas successifs sont l’affaire des nouveaux inquisiteurs du NAS. Il aurait suffit d’ajouter à cette affaire l’ingrédient, certainement fondamental, de la torture physique pour voir pointer le spectre du cardinal Bellarmino, cruel justicier de tant d’hérétiques parmi lesquels les grands philosophes Tommaso Campanella et Giordano Bruno !
VI
Pendant le second interrogatoire qui s’est déroulé au tribunal à de nombreux mois de distance du premier, tous mes analysants confirmèrent simplement devant le juge ce qu’ils avaient déjà dit au maréchal. Ce dernier, appelé à témoigner pour la seconde fois par le Ministère Public, affirma de s’être bien informé sur la psychanalyse et sur les qualités requises par la loi pour pouvoir la pratiquer. À la demande concernant les sources de ses informations il répondit qu’il n’avait pas retenu nécessaire d’interpeller l’association de psychanalyse que j’avais fréquenté et dont je lui avais fourni les coordonnées, et qu’il avait préféré s’adresser à la même institution qui m’avait dénoncé ! Espérer que celle-ci puisse se contredire et se rappeler d’un coup de son devoir institutionnel en donnant les correctes informations en sa possession était prétendre de trop. Informé par le NAS que ma personne exerçait l’activité de psychanalyste et non pas de psychologue, l’Ordre, au lieu de prendre acte de l’équivoque, en profita pour tenter de convaincre le maréchal sur l’équivalence entre psychanalyse et psychothérapie et par conséquent de ma condition d’illégalité. Opération qui lui réussit apparemment sans trop de difficulté. D’un côté, une institution prestigieuse et forte de son rôle institutionnel ; de l’autre, un simple citoyen. Évidemment, le choix de la part du maréchal de se contenter de la parole de l’Ordre fut dicté par un simple rapport de force. Dans le matériel expédié au NAS, l’Ordre ne se limita pas à confirmer l’appartenance de la psychanalyse à la psychothérapie, chose dont toute personne peut constater l’absence de fondement simplement en lisant le texte de la Loi Ossicini [10], mais joignit la photocopie d’un précédent jugement (déjà cité en note 15) exprimant la sentence d’un an et six mois de prison (pour violence sexuelle) à un psychanalyste de Vérone, en l’assimilant à mon cas.
Mais en continuant à parcourir des sentiers abrupts on risque de trébucher. La contradiction vint finalement à la surface quand, interpellé par un journaliste du quotidien de la ville de Parme, le président de l’Ordre des Psychologues de l’Emilie-Romagne délivra la suivante interview publiée par la suite sur le journal [11] :
« Sur l’épineuse question nous avons écouté l’avis du président de l’Ordre des Psychologues de l’Emilie-Romagne Fulvio Frati qui a précisé que “strictementparlant, le titre de psychanalyste dans notre pays n’est réglementé par aucune loi nationale spécifique, et donc n’est pas protégé. La loi italienne réglemente et protège les titres professionnels de psychologue et de psychothérapeute. Toutefois, tel encadrement législatif devrait [je souligne] être modifié car il existe des personnes qui, sans posséder aucun titre scientifique reconnu ou, pire encore, sans aucun diplôme, en jouant habilement avec les paroles soutiennent que la psychanalyse n’est pas une psychothérapie et donc n’importe qui peut l’exercer librement ! Il s’agit d’argumentations clairement risibles, mais qui peuvent tromper les personnes moins compétentes et plus faibles, davantage exposées à devenir les proies de ces vautours. Malgré cela, la normative actuelle, si nous l’interprétons correctement, devrait [je souligne encore] quand même limiter l’activité de psychanalyste aux personnes diplômées en psychologie ou en médecine et ayant obtenues une ultérieure et adéquate spécialisation agréée par l’Etat” ».
Ne pouvant se permettre de dispenser des informations incorrectes pour ne pas risquer de plainte, car il s’agissait d’une interview finalisée à la publication sur un journal, le président de l’Ordre pensa se tirer d’affaire en utilisant le conditionnel et en soutenant que la normative actuelle « devrait » limiter l’exercice de la psychanalyse à des personnes diplômée en psychologie ou en médecine et spécialisées en psychothérapie. Or, ceci représente certes une opinion qui, en tant que telle, mérite le respect. Mais il est clair aussi que cette opinion ne peut être considéré comme une raison suffisante pour légitimer des représailles contre des personnes qui ont des opinions différentes. Tout comme elle ne saurait légitimer ni expliquer le choix plutôt injurieux du terme « vautour » pour définir ces mêmes personnes. Il est préoccupant qu’une organe institutionnel comme l’Ordre des Psychologues puisse être géré par des personnes qui, à en juger par leurs comportements, ne jouissent pas de l’équilibre nécessaire à leur position. Il me semble toutefois que ce problème soit directement rapportable au genre de formation du psychologue qui ne prévient pas d’adéquat travail intérieur. Pour beaucoup de questions suscitant des divisions il est toujours utile et enrichissant d’un point de vue intellectuel de sortir de sa propre province et d’ouvrir ne serait-ce qu’une fenêtre sur des panoramas étrangers pour voir ce qu’il y advient. Dans une interview aussi synthétique qu’illuminante [12], le psychanalyste français Yves Lefebvre emploie des phrases et des comparaisons qui, dans leur radicalité, ne manqueraient pas de susciter de fortes polémiques dans les milieux bien-pensants de la péninsule. Nous en publierons ici un court extrait : « Un diplôme universitaire n’offre aucune garantie ni contre les charlatans, ni contre les pervers, ni contre les fous : le gourou du Temple du Soleil était médecin. C’est un procès de reconnaissance par les pairs qui représente la meilleure garantie, avec l’engagement de respecter un code déontologique ». L’auteur propose aussi une comparaison que je trouve personnellement très appropriée : la formation universitaire n’est pas nécessaire au psychanalyste tout comme un diplôme de géologue n’est pas nécessaire pour être un bon guide de montagne. En effet, ce serait comme si, devant l’exigence de contempler de beaux paysages montagneux pour en tirer des émotions, notre guide-géologue entretenait les excursionnistes sur la composition des diverses couches rocheuses. L’équivoque paraîtra ici évident.
Il nous faut aussi dénoncer qu’en de nombreuses Facultés de psychologie italiennes la psychanalyse n’est presque pas contemplée comme matière d’étude approfondie. Ainsi, nous trouvons un nombre croissant de jeunes diplômés qui sortent de l’Université complètement dépourvus de connaissances analytiques. Ce qui est plus grave à mon avis, c’est que ces étudiants ne peuvent que s’appuyer sur un savoir fait de notions et sur une approche technique et objectivante, tandis que leur futur métier consiste en une confrontation ouverte avec des sujets. Le primat accordé aux études académiques et à l’approche objectivante dans notre domaine risque fortement d’emprisonner l’âme du psychothérapeute dans un masque de fer constitué par des techniques et des concepts. Au lieu d’enseigner à travailler sur soi, à savoir se remettre constamment en question, à être plus ouvert et moins rigide envers l’Autre, ce type de formation ne fait qu’alimenter ultérieurement le processus d’éloignement entre le Coeur et la Raison. Il n’est même pas exagéré de parler, à tel propos, d’un certain degré de dissociation de la personnalité provoquée ou plus simplement favorisée par ce genre de parcours formatif. Un psychologue ou un psychothérapeute confié à son propre Masque, aussi solide et élaboré qu’il soit, ne peut que tomber victime, tôt ou tard, de son propre côté obscur. Une telle situation mène inévitablement ou à subir ses propres complexes, en les reversant ensuite sur les patients, ou à créer un rapport thérapeutique de type aseptique, tout centré sur les symptômes et dans lequel l’âme du patient ne trouve pas d’espace évolutif et donc tend à régresser.
VII
Finalement, après avoir vu la conclusion du procès reporté trois fois de suite à cause de l’absence du maréchal à la première audience, d’une grève des avocats à la seconde et de l’absence d’un document (sans importance) à la troisième, le 23 Mars 2005 la sentence d’absolution envers ma personne fut émise avec la motivation : « car le fait ne constitue délit ». Mais la « sentence populaire », entre temps, était déjà lancé et je dus constater qu’aux yeux de la majorité de mes concitoyens j’étais considéré en quelque sorte déjà coupable pour le simple fait de me trouver sous procès et d’avoir reçu la délation de l’Ordre. Évidemment, comme il est aisé de l’imaginer, cette situation finit par me causer de gros dommages d’image, professionnels et économiques. Par exemple, l’adjoint de ma Mairie m’annula une charge pour laquelle nous nous étions accordés un an auparavant, pour un séminaire sur l’interprétation des rêves adressé aux citoyens parce que « je n’étais pas inscrit à l’Ordre des Psychologues et parce que j’avais été dénoncé, toujours par l’Ordre » ! Je dus par conséquent recevoir à domicile les séminaristes qui s’étaient déjà inscrit gratuitement à la manifestation organisée par la Mairie. Quand finalement la sentence d’absolution fut émise, je ne reçu même pas un billet d’excuse pour le traitement qui m’avait été réservé par l’adjoint. À la limite, la décision de ce dernier aurait été plus compréhensible si je me fus proposé pour une initiative ou une conférence sur la psychologie (bien que tout citoyen ait absolument le droit de parler respectueusement en public de n’importe quoi, et donc aussi de psychologie, sans posséder aucun diplôme). Mais l’interprétation des rêves ne peut certes pas être considérée du domaine exclusif de la psychologie. Il est évident que toute personne, indépendamment de ses titres d’études et de l’inscription à un Ordre professionnel, est et doit rester libre de promouvoir un enseignement sur une matière comme l’interprétation des rêves. Heureusement, dans nos pays il n’est pas encore défendu de parler publiquement de rêves ni d’autres thèmes ! Je dus donc expliquer l’inconvénient à mes élèves qui l’acceptèrent de bon gré, mais ce ne fut certes pas une manière idéale pour commencer un séminaire. Je peux donc affirmer sans exagération avoir été la cible non seulement d’accusations qui se savaient injustes depuis le début, mais aussi de comportements hautement lésifs d’un point de vue moral et professionnel. Malgré cela, étant donné que l’Ordre préféra ne pas se constituer partie civile, il n’était rationnellement pas envisageable de demander des dommages et intérêts à la Préfecture. Proclamé innocent, je dus quand même supporter les honoraires des avocats. L’État italien, en effet, considère juste le fait qu’un citoyen doive se défendre à ses propres frais d’une accusation s’étant révélé infondée et émanée par une préfecture de police. En bref, ni l’Ordre ni la préfecture n’ont rien à perdre dans une opération de ce genre. Il est certain que, en cas contraire, cette affaire ce serait conclue beaucoup plus rapidement, juste après l’opération de contrôle de la part du NAS, en faisant gagner du temps à la Justice et économiser de l’argent aux contribuables. Pour qu’une Justice puisse fonctionner d’une manière satisfaisante il est nécessaire que dès le départ d’un procès, l’accusation et la défense se divisent les risques. Cette simple mesure préventive me semble indispensable afin de limiter les abus de pouvoir toujours possibles.
À ce point, le lecteur pourrait penser que l’affaire soit arrivée à sa fin. Au contraire, elle dû subir des revers qui sans doute réussiront encore à mettre leur imagination à dure épreuve. En Octobre 2005, pour la première fois en Italie, plus précisément dans la ville de Fidenza en Province de Parme, l’Association Européenne de Psychanalyse organisa un Festival de la Psychanalyse qui, dans sa première édition avait pour titre : « Le vol, les ailes de la liberté ». La manifestation recalquait le modèle déjà expérimenté des divers festival culturels toujours plus en vogue ces dernières années dans notre nation et obtint un succès significatif en termes de présences et de critique. Cette initiative fut l’occasion pour émanciper ultérieurement notre discipline de l’aire spécialisée restreinte dans laquelle elle se trouve aujourd’hui encore emprisonnée et pour la rapprocher du grand public en lui donnant l’épaisseur culturelle qui lui convient. Pendant quatre jours, grâce aussi au patronat de la Mairie, Fidenza devenait une capitale européenne de la culture et vit se dérouler des initiatives et des conférences de haut niveau grâce à la participation d’intervenants d’importance internationale comme par exemple Thomas Szsasz, Prof. de Psychiatrie à l’Université de Syracuse (New York) et Jean Luc Maxence, analyste et écrivain parisien de renom. Le comité d’organisation confia à ma personne la direction scientifique du festival. J’avoue qu’après avoir été ainsi maltraité par la précédente administration communale, cette charge représenta pour moi un motif de grande satisfaction que l’Ordre, évidemment, ne pu partager. En effet, pendant toute la durée du festival et bien après, un certain Dr. Pedretti rendit visite au Maire pour se plaindre à titre personnel du fait que les organisateurs, selon lui, n’auraient pas l’autorité pour réalisé un pareil événement, dont il arriva jusqu’à demander l’annulation ! Naturellement, ni le Maire, ni son adjoint, ni les organisateurs du festival prirent en sérieuse considération une pareille extravagance. Ainsi, après quelques jours seulement, le Maire reçu une lettre de la part d’un groupe de psychologues nommé « Observatoire des Psychologues de Parmes » [13] contenant le même genre de contestation vis à vis des organisateurs du festival et en particulier envers ma personne. La lettre exigeait de recevoir de la part de la Mairie des informations sur mon compte et invitait l’administration communale à contrôler mes titres d’études et mes compétences professionnelles ! Malgré les réponses de courtoisie de l’adjoint au Maire et du directeur général du festival, quelques jours après le président de l’Ordre des Psychologues de la région interpella à son tour le Maire par écrit. Cette fois encore, la lettre tentait de jeter de l’ombre sur mon aspect formatif et professionnel. Il ne sera pas superflue d’inclure le contenu des lettres pour que le lecteur puisse vérifier personnellement jusqu’où peut arriver la mauvaise foi et la mesquinerie de certaines personnes de toute évidence peu équilibrées mais qui, hélas, revêtent des fonctions directives dans d’importants instituts de psychologie.
P.-S.
Télécharger la version intégrale de La psychanalyse au bûcher d’Antoine Fratini (document word) :