La science dure ne fait plus recette et n’attire plus autant les étudiants. Avec des conséquences prévisibles non négligeables à moyen terme. Fort de ce constat, l’Essonne organise les 7 et 8 octobre un colloque intitulé «Développer le goût des sciences, rendre les métiers scientifiques accessibles aux jeunes». Il faut dire que dans un département qui compte l’université d’Orsay, l’Ecole polytechnique, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), l’Institut national de la recherche agronomique (l’Inra) ou encore les centres de recherche de Danone, Sagem et Thales, le sujet est particulièrement sensible.

Alors que le nombre d’étudiants à l’université en France, toutes filières confondues, a augmenté de 86% entre 1989 et 2003, on compte seulement 2% de docteurs scientifiques en plus. Parallèlement, d’ici à cinq ans, le tiers de la population active dont l’activité professionnelle repose sur une formation scientifique aura atteint l’âge de la retraite. Comme le note le conseil général de l’Essonne, depuis 1996, les deugs en science dure ont perdu 25% de leurs étudiants (et 46% pour les deugs de physique).

 Jean-Pierre Bourguignon, directeur de l’Institut des Hautes études scientifiques (IHES) est président du comité scientifique du colloque. Le mathématicien s’inquiète de la réticence des jeunes face à la science. «Puisqu’elle n’apporte pas que du bien, ils ne veulent pas exercer un métier scientifique. Certes la science n’est pas synonyme de progrès, mais il n’y aura pas de progrès sans science.»

Si les conséquences de la désaffection de ces filières sont multiples, elles sont avant tout scientifiques. Et le président de l’Académie des sciences, Edouard Brézin de s’inquiéter pour la bonne santé de la recherche française. Il n’y aurait plus de Prix Nobel en physique ou de médailles Fields dans 20 ans ? «Les conséquences ne sont pas encore très visibles mais il n’est pas certain que la recherche française soit aussi bonne dans une vingtaine d’années», estime-t-il. Professeur pendant 30 ans à l’Ecole polytechnique, Edouard Brézin déplore «qu’il y a 20 ans, une vingtaine de polytechniciens docteurs par an intégrait le CNRS. Actuellement, on en compte entre zéro et un par an ! Il est donc clair que les gens qui ont le choix entre différentes carrières optent pour autre chose, les voies scientifiques étant peu valorisées et souvent mal payées.» La faute incombant au manque de reconnaissance du statut de docteur en France comparé à l’Allemagne notamment. «Aujourd’hui, les équipes sont de plus en plus internationales et sortir diplômé de telle ou telle école ne jouera plus de rôle. Seul comptera le doctorat et les grandes écoles devraient s’atteler à l’enjeu essentiel que constitue la revalorisation du doctorat», note encore Édouard Brézin.

Pour Jean-Pierre Changeux, professeur au Collège de France et titulaire de la chaire de communications cellulaires, la désaffection des filières scientifiques est incontestablement très grave mais d’un point de vue industriel. La vocation d’un pays comme la France est «plus de faire de l’innovation de la recherche que de l’agriculture pour développer au maximum l’innovation. La recherche scientifique constitue la force vive de notre pays, c’est le moteur de la vie d’une nation». L’équation semble évidente pour lui : «Moins de jeunes chercheurs signifie moins d’implication technologique et donc un déclin industriel.» Ce rapport entre désaffection des sciences et perte de compétitivité industrielle revient le plus souvent. «La France va manquer d’ingénieurs dans l’industrie ainsi que de techniciens. Or les pays industriels ne peuvent pas s’en passer : on a un PIB important grâce à notre technologie !», estime Robert Germinet, directeur de l’Ecole des mines de Saint-Étienne. Même sentiment pour Jean-Pierre Bourguignon. De retour de Chine, il rapporte que cinq des plus hauts responsables du Parti communiste sont des ingénieurs de formation, un choix «qui n’est pas étranger au modèle de développement chinois actuel valorisant les compétences techniques».

Mais le pire pour Robert Germinet est le danger que court la démocratie. «Sans esprit scientifique, c’est la porte ouverte à l’insécurité, puisque l’on peut raconter n’importe quoi. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’on constate en même temps que la perte de l’esprit scientifique la montée des religions, des sectes et des croyances paranormales.» Un point de vue partagé par Jean-Pierre Bourguignon. «Avec les cas typiques que constituent le nucléaire et les OGM, on a besoin de gens formés pour que les discussions ne soient pas régies par des arguments fallacieux.» Pour Jean-Pierre Changeux, le lien entre progrès scientifique et qualité de vie de l’humanité n’est pas assez souligné. «On parle trop souvent de détournement de la biologie, on effraie avec les OGM alors que beaucoup de nos médicaments sont produits par des OGM. On ne doit pas opposer la science à l’humanisme mais montrer que les deux vont de pair.»

 Le Figaro  06 août 2005 Anne Jouan