Psychogénéalogie : non, les traumatismes de nos ancêtres ne nous rendent pas malades

 

La psychogénéalogie prétend que nos problèmes de santé ont pour origine les traumatismes vécus par nos ancêtres. Une théorie qui ne s’appuie que sur de simples coïncidences.

Trouver dans le vécu de nos ancêtres les sources de nos angoisses et de nos maladies, c’est le pari fou de la psychogénéalogie, une approche «thérapeutique» en vogue. Rien qu’à Paris, le site «Annuaire thérapeutes» recense 45 psychogénéalogistes proposant des séances dont le prix oscille entre 50 et 120 euros. En dressant l’arbre généalogique de leurs clients et en dénichant d’éventuels drames familiaux, ils prétendent trouver l’origine de leurs maux en retraçant les traumatismes vécus par leurs ancêtres. Or cette pseudo-thérapie d’inspiration psychanalytique s’appuie, non pas sur des bases scientifiques, mais sur de simples coïncidences.

L’arbre généalogique au cœur de la «thérapie»

Cette pseudo-thérapie d’inspiration psychanalytique s’appuie non pas sur des bases scientifiques, mais sur de simples coïncidences

C’est au début des années 1980 que cette méthode a vu le jour, popularisée par Anne Ancelin Schützenberger, une psychologue-psychanalyste et professeur émérite à l’université de Nice (décédée en mars dernier). Dans son livre Aïe, mes aïeux paru en 1993 (Ed. Desclée de Brouwer), elle raconte l’histoire de François, un patient souffrant depuis des années d’un syndrome de Reynaud (problème de circulation sanguine) et de maux de gorge. L’origine de ces troubles? Un ancêtre, lui aussi prénommé François, qui aurait été guillotiné 170 ans, jour pour jour, avant sa naissance. Après avoir simulé l’épisode dramatique vécu par son aïeul en présence de sa «thérapeute», cette dernière rapporte que François aurait vu ses symptômes disparaître.

«La personne vient avec un sentiment de mal-être, un cancer ou encore des difficultés à avoir un enfant »

Maureen Boigen, psychogénéalogiste

Le profil des patients est varié. «Il s’agit de personnes qui viennent avec un sentiment de mal-être, la sensation de ne pas pouvoir avancer dans sa vie, un cancer ou encore des difficultés à avoir un enfant malgré une assistance médicale à la procréation», explique Maureen Boigen, psychogénéalogiste à Bordeaux.

La marche à suivre est ensuite peu ou prou la même. Le thérapeute demande au patient de dessiner son arbre généalogique. Commence alors l’investigation: une arrière-grand-mère dépressive née le même jour, un oncle mort-né qui porte le même prénom, un ancêtre décédé d’une maladie incurable à l’âge auquel le patient a déclaré un cancer… Certains psychogénéalogistes complètent cet examen par des séances de rêves éveillés ou encore de «soins énergétiques».

Des explications irrationnelles

Selon eux, les traumatismes vécus par nos ancêtres se transmettraient inconsciemment de génération en génération. Un héritage inconscient qui se manifesterait par des troubles chez les descendants. De quelle manière se ferait cette transmission? Les explications varient d’un site Internet à l’autre mais elles ont toutes en commun le fait d’être fantaisistes. Certains citent par exemple les fantômes, de terribles secrets de famille qui, n’ayant jamais été avoués, seraient enfermés dans l’inconscient familial, la crypte. Ces drames viendraient alors hanter les générations suivantes, influençant ainsi leur comportement. Dans cette logique, une personne à qui l’on aurait caché l’alcoolisme de son grand-père, pourrait développer des problèmes d’addiction.

Autre explication avancée – pas moins farfelue – celle de la loyauté familiale, selon laquelle il existerait des dettes inconscientes entre les membres d’une famille. Dans ce cadre, une jeune femme ayant des difficultés à avoir un deuxième enfant pourrait avoir ces problèmes par loyauté envers une ancêtre ayant fait une fausse couche lors de sa deuxième grossesse.

« Les liens établis sont essentiellement fondés sur des coïncidences. »

Nicolas Gaillard

Pour Nicolas Gaillard, conférencier et cofondateur du Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique et sciences, le principal problème de la psychogénéalogie peut se résumer ainsi: quand on cherche, on trouve. «C’est un raisonnement à rebours où les causes sont livrées a posteriori pour expliquer l’origine de troubles, explique-t-il. Les psychogénéalogistes trient les données pour ne garder que celles qui les intéressent». Et celles-ci ne sont que le fruit du hasard, comme le pointe Nicolas Gaillard. «Les liens établis sont essentiellement fondés sur des coïncidences. Trouver des relations entre des dates est inévitable». Par exemple, il y a 97% de chances que, dans un groupe de 50 personnes, deux d’entre elles soient nées le même jour.

«Tout ce qui touche au psychique ne peut pas être scientifique»

Maureen Boigen, psychogénéalogiste

Difficile donc de trouver des bases rationnelles dans la psychogénéalogie. Et pour Maureen Boigen, la psychogénéalogie n’a justement pas besoin de validité scientifique. «Tout ce qui touche au psychique ne peut pas être scientifique. On ne cherche pas de reconnaissance de la part de la science».

C’est donc sans jamais avoir apporté la preuve de l’efficacité de leurs pratiques que les psychogénéalogistes se réclament du titre de «thérapeutes».

Une pratique non dénuée de risques

Mais se tourner vers cette thérapie n’est pas sans risque, comme le souligne le centre contre les manipulations mentales qui met en garde contre ces pratiques «douteuses qui génèrent trop souvent des faux souvenirs induits, des accusations infondées et des ruptures familiales, voire des abandons de soins médicaux aux conséquences gravissimes».

Pour être psychogénéalogiste, il suffit de suivre une formation de 5 à 12 jours de formation dont le coût s’élève en moyenne à 2000 euros.

À cela s’ajoute la question de la formation des psychogénéalogistes. Si quelques-uns sont aussi psychologues, la plupart sont magnétiseurs, art-thérapeutes ou encore «coachs de vie». Pour se réclamer du titre, il suffit de suivre une formation de 5 à 12 jours de formation dont le coût s’élève en moyenne à 2000 euros. Ces cours peuvent même être dispensées à distance! Conséquence? «Ces personnes n’ont souvent pas de connaissance sur les causes des maladies et peuvent se trouver démunies face à des situations cliniques difficiles», comme le souligne Gabrielle Zanaroli, psychologue.

Apporter des réponses à des problèmes complexes

Avec à la clé, un risque pour les patients de passer à côté d’une prise en charge sérieuse. «Souvent, les personnes s’enferment dans ce genre de méthodes et cela les empêche de se tourner vers des thérapies rigoureuses qui, elles, ont prouvé leur efficacité», explique Nicolas Gaillard. D’après lui, si cette méthode séduit, c’est parce qu’elle donne l’impression d’apporter des réponses à des problèmes complexes. Une illusion, selon le psychiatre Jacques Miermont, président de la Société Française de thérapie familiale, qui estime que chercher des responsables n’est pas une solution. «Pour aller mieux, il faut éviter de rejeter la faute sur autrui et aller de l’avant», souligne-t-il.

Bien sûr, il existe des familles où plusieurs membres sont touchés par une même maladie. Mais ce n’est pas le fruit du hasard: cela s’explique notamment par des facteurs génétiques ou environnementaux. Par ailleurs, certains schémas familiaux (faits de violence, secrets, par exemple) peuvent se répéter au fil des générations, et les traumatismes vécus par une personne (maladie incurable, par exemple) peuvent avoir un impact psychologique fort sur les membres de sa famille proche. Ces phénomènes font l’objet d’études scientifiques, mais aucune n’a jamais fait état d’une quelconque influence déterministe des maux de nos ancêtres sur nos propres troubles.

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