La précédente version datait de 1614. Le nouveau Rituel de l’exorcisme a été distribué, il y a quelques semaines en France, à l’occasion du discret congrès des prêtres catholiques exerçant cette spécialité. Et, pour la première fois, le texte a été traduit du latin vers les langues nationales, notamment le français. Autre nouveauté, il invite désormais très clairement les prêtres exorcistes à se rapprocher de la médecine et de la psychiatrie pour affiner leur discernement.

«Séries télé». L’Eglise appelle toujours à la plus grande réserve autour de l’exorcisme. «On se gardera d’en faire un spectacle pour les personnes présentes. Il ne fera l’objet d’aucune publicité et, après l’exorcisme, l’exorciste et les personnes qui y auront assisté n’en divulgueront aucune information, en observant la discrétion qui s’impose», précise ainsi ce Rituel. Ce souci est conforté par les risques de dérive vers la magie ou la superstition, aujourd’hui croissants. «Nous sommes face à une explosion de l’occultisme», affirme le père Benoît Domergue, prêtre bordelais auteur d’une thèse en démonologie. «Le phénomène n’est pas nouveau, mais son accessibilité est sans précédent. On le retrouve partout, dans les films, les séries télé comme Buffy ou Charmed, un certain nombre de BD et tout un pan de la culture rock accompagné d’un culte du désespoir et de l’ultraviolence. Il est de plus en plus facile d’être versé dans ces extrêmes car ils sont rendus publics. Et, de fait, la demande d’exorcismes est en très nette augmentation.»

Même constat du côté de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes ) qui, dès 2004, attirait l’attention sur la résurgence des pratiques satanistes. Son président, Jean-Michel Roulet, constate «un accroissement constant depuis plusieurs années. Il ne se passe pas une semaine sans un cas. Du chiffre 666 tagué sur une tombe, à l’exhumation de cadavres. Ce sont des actes d’une gravité très disparate. Mais ils entretiennent un culte du dégoût, qui est parfois tellement difficile à assumer, que certaines personnes peuvent ensuite se penser la proie du démon». L’an dernier, police et gendarmerie ont enregistré 208 actes de profanations ou de dégradations de lieux de culte, contre 130 l’année précédente.

La Miviludes sortira d’ailleurs en juin un mémento d’une vingtaine de pages, à destination des enquêteurs, pour les aider à interpréter les signes ésotériques. Dans la foulée, un autre livret pour les parents et les enseignants est en préparation. Il alerte les familles sur les signes avant-coureurs, tout en tâchant de ne pas diaboliser la mode gothique. Dans la majorité des cas, elle ne joue que sur un imaginaire et une esthétique. Mais peut aussi se révéler une porte d’entrée. Membre de la Miviludes, le psychiatre Philippe-Jean Parquet observe le reflet sur la clientèle. Durant les quinze dernières années, une ou deux demandes par an, seulement, touchaient au satanisme. L’an dernier, il en enregistrait six ou sept. «L’idée de l’Eglise est que la force du mal envahit un homme, qui se retrouve alors possédé. Et le travail de l’exorciste sera de faire sortir Satan, explique le praticien. Le point de vue laïque est complètement différent : on aide à la non-adhésion de la personne à ces principes. On opère une mise à distance.» A plusieurs reprises, déjà, lui sont arrivés des patients envoyés par les exorcistes. Comme cette jeune fille convaincue d’avoir été choisie par Satan pour devenir sa meilleure prosélyte, s’arrêtant en pleine rue pour dialoguer avec les forces du mal, victime de crise de tétanie ou de somnambulisme. Diagnostiquée hystérique, elle relève en premier lieu de traitements thérapeutiques.

Rock extrême. Le nouveau rituel a aussi contribué à dédramatiser les cérémonies d’exorcisme. «En France, la tendance sur ce sujet est plutôt à la réserve, contrairement, peut-être, aux catholiques d’Afrique ou des Antilles», souligne Monique Brulin, du Service national de pastorale liturgique. «Les grands exorcismes sont finalement peu fréquents. On met d’avantage l’accent sur l’accompagnement, la prière, un travail d’écoute, pour clarifier les situations. Souvent ce sont des gens qu’il faut délier de ce qui les a enfermés et les relier à des choses plus positives. Dans ce domaine, l’Eglise ne peut que s’enrichir du dialogue avec les sciences humaines.» Surtout avec des jeunes issus du rock extrême, face auxquels, les prêtres manquent parfois de codes.

LIBERATION : vendredi 05 mai 2006 Laure ESPIEU