29 mai 2009

{La semaine dernière, la Miviludes (1) tirait la sonnette d’alarme à propos de l’emprise sectaire exercée par trop de thérapeutes et formateurs autoproclamés. Pour les victimes et leur famille, l’ADFI (2) est un recours. Rencontre avec Annick Le Héritte, porte-parole pour la Bretagne Sud (en médaillon).}

{{Le rapport de la Miviludes a-t-il corroboré ce que vous constatiez sur le terrain?}}

Tout à fait. Nous avons des groupes sectaires qui se sont démultipliés en sous-groupes. Il nous faut remonter à la source pour trouver l’idéologie sectaire. C’est beaucoup plus difficile. En matière de formations professionnalisantes, cela fait longtemps que nous le constatons. Il y a des sommes d’argent considérables. De fait, des groupes sectaires s’y introduisent. Pourtant les entreprises font le ménage. Les organismes de formation sérieux sont connus. Mais il y en a qui passent au travers (lire ci-dessous).

{{Est-ce plus contrôlé dans le domaine de la psychothérapie?}}

Non, pour les psychothérapies manipulatrices, il n’y a pas de contrôle. Thérapeutes autoproclamés, psychothérapeutes… Ça se rejoint souvent avec les charlatans. Ils font valoir que le corps et l’esprit sont très liés. Sous couvert de relaxation et de bien-être, ils vont vous dire que vous avez un problème psychologique. Fatigue générale, angoisse, crainte de l’avenir, rupture sentimentale, licenciement, deuil… Au départ, les gens s’y rendent parce qu’ils sont fragilisés. Et ils sont victimes de ce mélange des genres. Il y a des sortes de réseaux. La personne fragile va chez un thérapeute qui lui propose des soins plus ou moins parallèles puis l’aiguille chez un psychothérapeute. Ils se passent leurs victimes. En les rendant plus fragiles, ils en font des clients réguliers.

{{Avez-vous un exemple d’engrenage?}}

L’exemple classique est la personne qui a des problèmes avec son fils. Elle consulte un psychothérapeute qui lui explique que tout se joue avant la naissance. À l’écouter, si son jeune a des problèmes, c’est qu’elle-même en a eu pendant la grossesse. Une fois culpabilisée, il ne reste qu’à la persuader de faire toute une série de thérapies en la convainquant que si elle a des problèmes, ils datent d’avant sa naissance à elle… L’autre exemple récurrent, c’est celui des faux souvenirs. Il a fait des ravages aux USA à la fin des années90. Le psy explique que si ça ne va pas, c’est que votre père ou un membre de votre famille a abusé de vous dans votre prime enfance, avant même que vous ne puissiez vous en souvenir. Souvent, le père ou la personne incriminée est décédée. Ça démolit durablement les relations familiales. Souvent, le psy s’arrange pour «révéler» cela en thérapie de groupe. La thérapie de groupe nous met très souvent la puce à l’oreille sur la possibilité d’une dérive sectaire car c’est facile de lancer une idée et de la faire valider par le groupe. Tout le monde valide l’hypothèse et la personne fragile n’ose pas aller contre le collectif…

{{Y a-t-il des exemples où le patient risque jusqu’à sa vie?}}

Oui, avec la «biologie totale» du docteur allemand Hamer. Il était persuadé que le cancer résultait de problèmes psychiques. Des gens en sont morts. Ça continue aujourd’hui avec des adeptes qu’il avait formés. Nous avons aujourd’hui des groupes de «biologie totale» dont le gourou fait venir des témoins, des faire-valoir, qui disent qu’ils ont guéri. C’est gravissime. Des malades ne se soignent plus par des traitements médicaux classiques. Ça se répand car la personne qui a un cancer a peur. Le psy lui dit: «Vous ne guérissez pas parce que vous ne voulez pas y croire». Si on dit à cette personne que c’est dans sa tête que ça se passe, elle est prête à le croire.

{{Quelle est la tendance sectaire «en pointe» en Bretagne?}}

Malheureusement, le phénomène des «enfants indigo» se développe actuellement en Bretagne. Il a été mis en place par un américain qui disait recevoir des messages d’un archange. Ces enfants seraient destinés à sauver le monde. Ils seraient la réincarnation de grands sages, d’extraterrestres. Ils auraient une aura bleue que seul l’initié peut voir. Et il faudrait les éduquer de façon à ce qu’ils ne perdent pas leur pouvoir semi-divin. Pour cela, leurs parents doivent suivre des formations… Qui coûtent très cher. Depuis deux ans, des gens qui se prétendent enfants indigo font des ravages. Il y a notamment une femme, qui tourne dans notre région.

{{Comment opérez-vous pour déceler les entreprises de manipulation mentale?}}

Nous ne surveillons pas. Nous nous tenons informés. Nous recevons les victimes, nous les aidons soit à monter un dossier en vue d’une plainte, soit en les aidant à vivre avec lorsqu’il s’agit de victimes indirectes, les proches, la famille. Nous leur disons quoi faire, quoi dire pour tenter de briser le carcan mental.

{{Grâce à vos conseils, certains patients parviennent-ils à avoir des éclairs de lucidité?}}

Oui. Récemment, un monsieur dont le médecin faisait de la biologie totale a fini par porter plainte auprès du conseil de l’ordre des médecins. Les gens ignorent qu’ils peuvent porter plainte auprès du conseil de l’ordre. Il ne faut pas oublier que l’article39 du code de la santé publique condamne toute pratique charlatanesque. Le médecin en question a été condamné mais pas radié. Il est depuis surveillé. Mais plus généralement, les gens n’osent pas porter plainte en justice parce que la justice est lente et on n’est pas sûr d’être écouté quand il s’agit de mettre en cause un médecin…

(1) Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires. (2) Adfi Bretagne Sud. Permanence chaque 3e mercredi du mois à Quimper et 2e et 4e mercredi du mois à Brest et Lorient. Contact: 02.98.52.33.00 (pour Quimper); 02.97.87.21.11 (pour Lorient); 02.98.43.47.48 (pour Brest) et 02.97.54.13.21 (pour Vannes).

* Recueilli par Thierry Charpentier

Le télégramme