{{Point de vue}}

{{La guerre des psys est-elle fondée ?}}

par {{Jean-Pierre Olié}}

LEMONDE.FR | 02.06.10 | 09h06

Jean-Pierre Olié est professeur de psychiatrie à la faculté de médecine Paris-Descartes, chef de service à l’hôpital Sainte-Anne et président de la Fondation Pierre-Deniker.

Le livre de Michel Onfray, Le crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne a suscité des réactions aussi vives que légitimes. Peut-il relancer une guerre des psys ? Reprenant des arguments du Livre noir de la psychanalyse, le philosophe remet en cause certains “dogmes” au premier rang desquels la valeur thérapeutique de la psychanalyse et des nombreuses formes de psychothérapie qu’elle a inspirées. Il est facile de rétorquer à Michel Onfray que bien après Freud, la théorie et la pratique psychanalytiques se sont développées au point que nul praticien ne se prive, selon les situations, de tel ou tel concept freudien. La psychanalyse n’est ni une hallucination collective ni un placebo !

Il n’en est pas moins judicieux d’interroger l’efficacité de cette modalité de traitement de divers troubles psychiques, comportementaux voire somatiques. Michel Onfray avance une comparaison entre traitement psychanalytique et thérapies traditionnelles : pourquoi pas si l’on veut bien admettre qu’il s’agit pour la psychanalyse de traiter davantage le terrain ou la personnalité et ses façons d’être que des symptômes. Certains psychanalystes n’ont-ils pas soutenu cela en avançant que la guérison (des symptômes) survient de surcroit, à l’issue du traitement. La thérapie analytique vise à améliorer mécanismes de défense et capacités d’adaptation ce qui rend difficile la mesure de ses effets. Il ne serait pas opportun que les professionnels refusent toute démarche d’évaluation à laquelle ne peut échapper aucune thérapeutique.

D’autres modalités de soins ont pour objectifs d’atténuer rapidement les symptômes en escomptant que ceci remanie favorablement la façon d’être et les capacités d’adaptation. Ce sont les médications psychotropes, d’une part, les thérapies cognitivo-comportementales, d’autre part, dont les effets sont plus aisément mesurables que ceux de la psychanalyse.

Reste le vaste domaine des thérapies et mesures sociales d’accompagnement ambitionnant un allègement des contraintes environnementales. Les psychiatres qui en 1975 s’inquiétaient de l’adoption d’une loi ouvrant la possibilité de considérer les sujets porteurs d’une affection psychiatrique comme personnes handicapées ayant droit à une allocation de solidarité seraient aujourd’hui prêts à se battre pour le maintien de cette loi si quelque gouvernement voulait la remettre en cause. Elle s’avère utile pour faciliter l’insertion sociale des personnes trop incapables d’une totale autonomie.

{{UNE GUERRE QUI N’A AUCUNE RAISON D’ÊTRE}}

La guerre des psys “pour ou contre la psychanalyse”, “pour ou contre les médicaments”, “pour ou contre les TCC [thérapies cognitivo-comportementales]”, est un leurre. Les seuls enjeux sont : la reconnaissance des troubles mentaux comme de véritables maladies répertoriées par l’Organisation mondiale de la santé avec un taux élevé de morbidité (25 % des individus touchés à un moment ou un autre de leur vie, premières causes d’arrêts de travail et de handicap…) et la vérification d’un niveau suffisant de compétences des divers psys : psychiatres, psychologues, psychothérapeutes, praticiens de la psychanalyse. Bien que l’on connaisse de mieux en mieux les dysfonctionnements neurobiologiques et psychologiques concomitants des pathologies mentales aiguës ou chroniques, il convient de redire que nul ne connaît la cause de ces maladies que sont les troubles dépressifs, les pathologies anxieuses, les schizophrénies, les troubles des conduites alimentaires, les toxicomanies ou encore les troubles de la personnalité.

Il est essentiel que tout soit fait pour que les professionnels regroupés sous l’étiquette “psys” soient éclairés : sur les diverses hypothèses aussi bien psychologiques que biologiques quant à l’origine des troubles psychiques et comportementaux ou encore des troubles de la personnalité et sur les caractéristiques cliniques, évolutives et leurs limites, les possibilités thérapeutiques de ces maladies. Il serait dangereux que les uns connaissent la neurobiologie, les autres la psychanalyse ou les théories cognitivo-comportementales. Les usagers ne sauraient admettre cela. Et une guerre des psys ne doit plus être un outil de diversion quant à la seule vraie question : la formation des futurs psys et l’évaluation des pratiques des professionnels.

La question est donc posée : outre Michel Onfray, qui voudrait encore se cacher derrière une guerre des psys qui n’a aucune raison d’être ?