Qu’est-ce qu’une secte ? Il n’y a, dans notre droit, aucune définition. Pas plus qu’il n’en existe en matière de religion. La faute à une tradition bien française : la laïcité. Les experts français préfèrent parler de “dérives sectaires”. Elles regroupent, d’après une circulaire de septembre 2011, les atteintes qui, par la “mise en oeuvre de techniques de sujétion, de pression ou de menace”, privent les personnes de leur libre arbitre.

Le sénateur du Parti radical de gauche Jacques Mézard a présenté la semaine dernière le rapport de la commission d’enquête sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé. Les auditions de magistrats, d’avocats, de psychologues et d’experts sont une mine d’informations pour mieux comprendre le phénomène. Et permettent de le différencier du pur charlatanisme, qui se traduit souvent de la même façon : violences, corruption de mineurs, captation d’héritages et escroqueries en tout genre, le tout en profitant de l’état de faiblesse des victimes.

Pour Rudy Salles, député UDI des Alpes-Maritimes, l’architecture d’une secte est “à peu près toujours la même” : “une maison mère sous forme d’association” et puis des organismes satellites qui apparaissent et disparaissent “au fur et à mesure des problèmes qu’ils peuvent rencontrer”. Une liste de 175 sectes avait été élaborée à la fin des années 1990. Les rédacteurs de l’époque avaient subi les pressions de mouvements qui ne voulaient pas que leur nom apparaisse. Rudy Salles raconte : “Les auditions se déroulaient dans le huis clos le plus total. […] Nous allions consulter [le rapport] au coffre-fort de l’Assemblée nationale, sans pouvoir le photocopier. La veille de la publication, un journal nous a téléphoné pour nous dire qu’il possédait l’intégralité de notre rapport ! L’Assemblée nationale avait, en effet, sous-traité la dactylographie de ce rapport à une société privée, filiale de la scientologie !”

Recours à la chaîne
La Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) est chargée d’observer et de coordonner “l’action préventive et répressive des pouvoirs publics”. “Les sectes nous considèrent comme leur adversaire principal. Nous nous considérons comme les protecteurs des plus faibles”, explique Serge Blisko, président de la Miviludes. Mais chaque rapport, chaque communiqué, entraîne son lot de procédures judiciaires. À tel point que Georges Fenech, député UMP du Rhône et ex-président de la Mission interministérielle, a fait l’objet d’une trentaine de plaintes, souvent pour diffamation. “J’ai toujours gagné”, assure-t-il devant la commission.

Au fil des années, les procédures à répétition ont tout de même douché son enthousiasme. “Malgré tout ce que nous faisons, le combat pour les libertés est loin d’être gagné, si tant est qu’il puisse l’être un jour”, lâche-t-il. En février 2013, les Témoins de Jéhovah ont même obtenu devant le Conseil d’État d’avoir accès aux documents de la Miviludes qui les mettent en cause. Serge Blisko avait immédiatement tempéré, assurant que les sources seraient évidemment protégées.

La Miviludes a bien tenté d’obtenir une immunité juridictionnelle contre les plaintes abusives. En vain. Retoquée une première fois par le Conseil constitutionnel, une nouvelle proposition de loi a été enregistrée au Sénat en décembre 2012. Certaines organisations, comme les Témoins de Jéhovah, ont également multiplié les recours devant les tribunaux pour se voir reconnaître le statut d’association cultuelle. Depuis une décision du Conseil d’État de 2000, Les Jéhovah ont obtenu ce statut très avantageux. Cela leur donne droit à une défiscalisation des dons et legs et à une décharge de la taxe foncière sur les propriétés bâties. En clair : une belle exonération d’impôts, en plus de renforcer le côté “officiel” de leur culte. Et le fisc ne peut rien y faire. Il s’est cassé les dents à plusieurs reprises, y compris devant le Conseil d’État et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Fin janvier 2013, dans une affaire opposant la France aux Chevaliers du lotus d’or, à l’Association culturelle du temple pyramide et à l’Église évangélique missionnaire, la CEDH a considéré qu’il y avait eu violation du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion dans le fait d’avoir taxé les dons reçus par les associations. La seule possibilité consiste à prouver que l’organisation sectaire a troublé “l’ordre public” ou ne s’est pas consacrée uniquement aux activités de culte. Mais toute action entreprise par l’État est très mal perçue. “Il y a une tension entre les libertés de conscience et de religion et les dérives de certains mouvements religieux”, résume Serge Blisko.

Influences des organisations sectaires
La démonstration de force des sectes est également visible lors des procès médiatisés. Certaines organisations, comme l’Église de scientologie, sont riches. Elles se paient le luxe, devant la justice, de faire appel à des ténors du barreau, redoutables procéduriers. En 2011, après un fastidieux procès, l’association spirituelle de l’Église de scientologie et sa librairie avaient finalement été condamnées en appel pour “escroquerie en bande organisée”. Mais l’Église de scientologie n’avait pas pu être dissoute, alors même que le parquet l’avait réclamé. Une “erreur” s’était glissée dans la proposition de loi de simplification du droit, dite loi Warsmann. L’article prévoyant la dissolution des associations commettant des escroqueries avait été supprimé sans que quiconque sache pourquoi. Et cela, douze jours avant le début du procès.

Des pressions et du lobbying parlementaires ont également été rapportés. Philippe Vuilque, ancien député PS, tire la sonnette d’alarme au sujet de ces organismes qui inondent les parlementaires “de propositions, de questions écrites ou de mails”. “Dans un salon du bien-être, vous pouvez ainsi entamer une conversation avec des gens fort sympathiques, qui vont se faire prendre en photo avec vous. Vous allez ainsi, en tant qu’homme public, vous retrouver dans une publication dans laquelle vous n’avez pas à figurer”, s’agace-t-il. Un incident s’était produit lors de l’adoption, en 2001, de la loi About-Picard sur la répression des mouvements sectaires. “Le jour où on a discuté de la loi […], la représentante de la scientologie, grâce à des contacts au sein de l’Assemblée, a réussi à se faire ouvrir les portes de la loge du président de l’Assemblée nationale et à assister à nos débats. […] C’était de la pure provocation !” clame Rudy Salles.

La loi About-Picard avait accouché dans la douleur d’un délit d'”abus de faiblesse sur personne en état de sujétion psychologique”. Mais son recours par les magistrats est encore limité. Seules 34 condamnations de ce chef ont été comptées entre 2004 et 2009. Cette infraction est très difficile à caractériser, car elle réclame des expertises psychologiques approfondies des victimes, qui sont souvent réticentes à porter plainte. D’après Rudy Salles, les adeptes de secte seraient pourtant 300 000 en France.

source : Le Point.fr

le 19/04/2013

Par MARC LEPLONGEON

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