La France sort de son silence. Le gouvernement français a adopté le 23 avril un plan de prévention et de lutte contre les filières djihadistes. L’Etat français tente de rattraper en matière de communication les pays de l’Union européenne comme la Belgique et l’Autriche qui ont déjà mis en place des programmes de déradicalisation en vue de prévenir les départs des jeunes en Syrie. Mais ces mesures présentées par le nouveau ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve n’interviennent-elles pas trop tardivement? Seront-elles vraiment efficaces? Analyse des principales directives de ce plan gouvernemental.

Un centre d’écoute pour les familles

Parmi les séries d’actions préventives, l’Etat prévoit de mettre en place un numéro vert, effectif ce mardi 29 avril 2014. Géré par trois anciens policiers réservistes formés pour ce type d’intervention, ce numéro vert, assure une source du ministère de l’Intérieur n’est pas un appel à la délation mais il est destiné aux familles qui souhaitent être aidées.

Une méthode qui, de l’avis de Louis Caprioli, ancien responsable de la lutte anti-terroriste à la DST et consultant à Geos Group, demande des effectifs conséquents ainsi que du personnel compétent:

«Il va falloir former les personnes qui vont recevoir ces appels pour qu’elles répondent correctement aux besoins des familles et puissent les diriger.»

De plus, ce spécialiste craint que les parents ne contactent pas les autorités par peur que leurs enfants soient arrêtés. Séverine, la mère de Sarah, une jeune Française de 17 ans partie en Syrie, soulève quant à elle un autre problème: l’absence d’éléments permettant de savoir si un jeune est sur le point de rejoindre les djihadistes:

«Pour ma fille, je n’ai rien vu venir, alors comment aurais-je pu contacter les autorités avant qu’elle se radicalise?»

De son côté, Dounia Bouzar, anthropologue et auteure de Désarmorcer l’islam, à l’origine du collectif Rendez-nous nos enfants, se veut plus rassurante.

«C’est une bonne nouvelle car les familles avaient besoin d’interlocuteurs. Avec ces mesures, il y a une double reconnaissance: d’abord institutionnelle car le gouvernement reconnaît que ces enfants sont endoctrinés et une reconnaissance des familles qui ne sont plus considérées comme des coupables mais comme les victimes collatérales d’une dérive sectaire.»

Contrôler les déplacements

De nombreuses zones d’ombre persistent dans ce plan gouvernemental. Par exemple, le maintien de la circulaire du 1er janvier 2013, qui permet aux mineurs de rejoindre, sans autorisation parentale, des pays comme la Turquie, voisin de la Syrie.

A la place de délivrer une autorisation de sortie à leurs enfants, les parents pourront toutefois effectuer un signalement aux autorités publiques pour s’opposer à la sortie du territoire des mineurs. Une mesure qui soulève quelques interrogations. Séverine souligne:

«Comment fait-on pour les parents qui ne sont pas au courant des intentions de leurs enfants?»

Pour les majeurs, le Parlement sera saisi d’un projet organisant un régime d’opposition à la sortie du territoire des personnes engagées dans les activités terroristes. Le plan vise à contrarier les déplacements des terroristes vers la Syrie, par le renforcement des contrôles et des décisions de retrait des documents de voyage. Ce qui, en théorie, ne dissuadera pas les djihadistes de se rendre par le bus à la frontière syro-turque, sachant que les cartes d’identité ne peuvent être retirées qu’à l’occasion d’un contrôle mené dans le cadre d’une procédure judiciaire.

La question des retours

Pour empêcher le retour des terroristes sur le sol français, le ministère de l’Intérieur prévoit de retirer la nationalité française aux personnes ayant été naturalisées et aux Français qui auraient la double nationalité. Une aberration pour Dounia Bouzar:

«Enlever la nationalité ne règle pas le problème. Ces jeunes ne sont pas amenés à revenir car on leur a dit qu’il fallait mourir en Syrie pour accéder au paradis. De plus, ce qui me gêne, c’est qu’on part du postulat qu’il s’agit d’une population en majorité d’origine maghrébine, alors que d’après mes statistiques, la plupart des jeunes qui partent sont d’origine française.»

Pour Romain Caillet, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient, spécialiste de la mouvance salafiste, la majorité des djihadistes français ne souhaiteraient pas revenir dans leur pays et auraient d’ailleurs pour la plupart brûlé leurs passeports:

«Certains n’excluent pas l’hypothèse de partir de Syrie, mais il faut que leur hiérarchie le décide. Pour les deux groupes présents dans ce pays, l’Etat islamique d’Irak et du Levant (EIIL) et le Front al-Nosra, branche d’al-Qaida, si un djihadiste part sans autorisation, celui-ci est considéré comme un déserteur.»

Pourtant, selon le ministère de l’Intérieur, sur les 740 personnes détectées comme appartenant à des filières djihadistes, 130 seraient de retour en France après un ou plusieurs voyages en Syrie. Le chercheur précise:

«Depuis le début de l’année, date des premiers affrontements entre les forces d’al-Nosra et l’EIIL, certaines familles ont quitté la Syrie. Je crains que ces personnes qui sont retournées dans leur pays commettent des attentats par culpabilité d’avoir déserté la zone de conflit. Pour moi, c’est un risque non négligeable.»

Pour Dounia Bouzar, il ne faut pas tomber dans la psychose:

«Ces jeunes ne vont pas se faire sauter en France, bien sûr il y a des vrais terroristes qui peut-être reviendront, mais ceux-là sont déjà fichés par la DCRI.»

Louis Caprioli se montre bien plus pessimiste:

«Toutes les personnes qui ont été faire le djihad au Pakistan, en Irak, en Afghanistan, sont revenus en France pour préparer des attentats. Avec ces individus qui sont liés à des groupes terroristes en Syrie, il y a aujourd’hui une véritable menace qui plane sur le territoire.»

Pour ce consultant, la seule solution réside en l’application de lois pénales autre que celle sur l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (dix ans de prison et de 225.000 euros d’amende).

«Pour contenir ces départs, il faut une loi qui punit tous les civils ou les combattants partis pour aider ou pour se battre en Syrie, dans une zone de conflit. La loi sur l’association de malfaiteurs demande tout un arsenal de preuves et je me pose la question de savoir si la législation est adaptée à l’ampleur de la situation.»

Cyber-surveillance

Pour de nombreux spécialistes, les départs massifs vers la Syrie seraient en partie imputables à Internet. Selon Dounia Bouzar, 98% de l’endoctrinement des jeunes se passerait sur la Toile. Pour pallier cette situation, les enquêteurs pourront s’inscrire et participer à des discussions sous des noms d’emprunt. Nicolas Arpagian, directeur scientifique du cycle «Sécurité Numérique» à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), souligne:

«C’est une démarche indispensable pour comprendre les ramifications des réseaux et leurs modes opératoires. Cela permet aussi d’accumuler les preuves techniques qui nourriront le futur dossier judiciaire.»

Mais cette méthode nécessite des moyens techniques et du personnel en nombre suffisant, ayant une connaissance des arcanes du Net, qui puisse traiter des versions multilingues, et qui dispose de contacts clairement identifiés chez les grands acteurs de l’Internet (Google, Facebook, Twitter…) afin de ne pas perdre de temps pour obtenir de leur part les informations désirées.

Des ressources qui selon, Louis Caprioli, font défaut à la France. D’autre part, dans le cadre de la cyber-surveillance, Bernard Cazeneuve demande la suppression des sites de recrutement ainsi que des contenus illicites. Une mesure caduque pour Nicolas Arpagian.

«Fermer un site Internet ne signifie pas que l’information ne sera plus disponible. Il suffira de quelques minutes pour qu’elle réapparaisse sous une autre forme et à une autre adresse. Cela exige donc un effort continu et une vigilance permanente. En sachant bien que les techniques de dissimulation (noms de code, pages verrouillées par des mots de passe, conversations cryptées, logiciels d’anonymisation…) viennent compliquer la mission des services de police. Mais que le bannissement de la Toile d’informations illicites est évidemment illusoire.»

En attendant, sur les réseaux sociaux, les djihadistes demeurent actifs et ne se sentent pas menacés par ces mesures. Ainsi pouvait-on lire, sur le fil Twitter de David Thomson, journaliste et auteur du livre Les Français jihadistes, le commentaire d’un djihadiste:

source : http://www.slate.fr/story/86397/plan-anti-jihad
par Stéphanie Plasse