La récente affaire de l’infanticide accompli par Florence Soille s’est vue dernièrement accompagnée d’une question, depuis la découverte des liens étroits que la mère entretenait avec la pédagogie Steiner-Waldorf.
Dans certains médias, comme Paris-Match, on s’interroge à présent au sujet de l’incidence que ces liens auraient pu avoir sur l’acte tragique qui s’est déroulé à Jambes. De notre place, il ne saurait être question de statuer sur une question concernant une affaire judiciaire en cours. Nous ne sommes ni juge ni enquêteur et ne souhaitons donc pas nous prononcer sur le lien de causalité qui pourrait éventuellement se révéler entre la forte adhésion de Florence Soille à la pédagogie Steiner-Wadorf et l’acte fatidique qu’elle a accompli.

En revanche, il nous est possible d’évoquer, pour l’avoir bien connu de l’intérieur, le contexte d’attachement excessif de certains parents à la pédagogie Steiner-Waldorf, qui peut parfois conduire à épouser des convictions radicales selon lesquelles le fait de scolariser ses enfants dans une école Steiner-Waldorf serait la seule option pédagogique digne de ce nom, voire le seul mode de vie envisageable.

En effet, au cours de mes années passées en tant qu’élève puis professeur Steiner-Waldorf, il m’est souvent arrivé de rencontrer des familles qui s’étaient elles-mêmes placées dans des situations personnelles hautement déraisonnables afin de pouvoir scolariser leurs enfants dans une école Steiner-Waldorf. Il s’agissait par exemple de familles aux faibles revenus, qui n’avaient pas hésité à s’endetter lourdement pour payer les frais de scolarité exigés, dont les montants pouvaient s’avérer très importants. Il pouvait aussi s’agir de choix mettant en péril la vie du couple au profit de la scolarisation des enfants au sein d’une institution Steiner-Waldorf : ainsi, ce couple dont le mari était resté travailler dans le Sud de la France durant des années, tandis que ses revenus servaient à financer le logement de sa femme et le paiement pour leurs quatre enfants d’une école Steiner-Waldorf située en région parisienne ; le mari ne venait rendre visite à sa femme qu’une seule fois par mois, ce qui avait fini sur le long terme par avoir raison de leur relation. « Je suis prête à manger des pommes de terre tous les jours pendant 15 ans pour que mon fils aille dans une école Waldorf ! » me disait un jour une mère de famille de la région de Strasbourg.

Pour quelles raisons des familles peuvent elles ainsi faire le choix de tout sacrifier, jusqu’à se mettre dans des positions personnelles intenables, afin que leurs enfants puissent bénéficier d’une scolarité dans une institution de pédagogie Steiner-Waldorf ? Sur quelles idées profondément implantées dans leurs esprits repose une telle détermination ? Pourquoi de telles familles vivent-elles avec au fond d’elles-mêmes une peur avoisinant parfois la panique que leurs enfants puissent un jour se retrouver dans une école classique ?

A première vue, on pourrait croire à un simple choix pédagogique. Quand on est convaincu des bienfaits d’une méthode, n’est-il pas normal de vouloir en faire bénéficier la chair de sa chair ? Mais ce serait négliger le fait que bien souvent, pour certains parents, le fait de placer leurs enfants dans une école Steiner-Waldorf n’est pas une simple option pédagogique, mais une motivation religieuse, un acte de foi. En effet, la pédagogie en question s’appuie sur une doctrine qui considère que le fait de bénéficier de cette option éducative est bien plus qu’un contexte d’apprentissage et d’éveil des facultés cognitives : il s’agit surtout d’un moyen d’être « sauvé » ! En effet, la pédagogie Steiner-Waldorf a été conçue par son fondateur, Rudolf Steiner, comme ce qui permettrait d’opérer un véritable « Salut » des âmes des enfants ! Selon lui, les âmes qui s’incarnent au sein de notre civilisation marquée par le matérialisme courent le risque d’une forme de damnation. C’est pourquoi il faut que les pédagogues Steiner-Waldorf opèrent un « sauvetage psycho-spirituel » des enfants qui leur sont confiés, ainsi qu’il le dit clairement dans les directives qu’il a données aux enseignants :

« Aujourd’hui, on doit enseigner en ayant conscience qu’avec chaque enfant il s’agit d’effectuer un sauvetage, qu’il faut amener chaque enfant à trouver en lui, au cours de sa vie, l’impulsion du Christ, à effectuer en lui une re-naissance. » (R. Steiner, p. 33 de Pour approfondir la pédagogie de Rudolf Steiner)

Sauver les âmes des enfants du matérialisme en leur faisant bénéficier de la pédagogie Steiner-Waldorf était donc l’objectif primordial de Rudolf Steiner. Aujourd’hui encore, je peux témoigner qu’il est celui des pédagogues de ces écoles. Combien de fois en effet, lorsque j’étais professeur au sein de ces écoles, ais-je entendu dire de tel ou tel élève que nous étions parvenu ou non à le « sauver » ! Les enseignants Steiner-Waldorf sont ainsi persuadés qu’ils ont la mission de prodiguer un enseignement qui va opérer une véritable sauvetage spirituel des enfants. Ils sont certains que leur action éducative aura une influence salvatrice non seulement pour toute la durée de leurs vies, mais également pour plusieurs de leurs incarnations futures (dans le cadre de leur croyance à la réincarnation) !

Le problème est que ce genre de discours, qui constitue les convictions profondes des pédagogues de ces écoles, est bien souvent transmis au parents, notamment lors des réunions de classes, ou bien lors des conférences de « partage de la pédagogie avec les parents », comme ils les appellent (en réalité des séances d’endoctrinement). Ceux-ci en viennent donc peu à peu à se convaincre que le fait que leurs enfants aient la chance d’être dans une école Steiner-Waldorf concerne « le Salut de leurs âmes ». Par voie de conséquence, la possibilité de ne plus pouvoir les mettre dans ce genre d’école sera conçu, à l’inverse, comme une voie possible de damnation.

« Pas question d’aller dans une école de l’Éducation Nationale ! » me disait un jour un élève dont les parents risquaient de ne plus avoir les moyens de lui payer ses frais de scolarité. « Je refuse de rentrer dans ce moule où les élèves sont des moutons abrutis ! » clamait-il avec véhémence. Une autre fois, un élève qui avait fini sa scolarité à l’école Steiner-Waldorf et intégré un lycée traditionnel pour faire son année de Terminale était dans un tel malaise qu’il avait même obtenu de son ancienne institution scolaire qu’il revienne tous les midis manger à la cantine de son ancienne école, parce que, selon ses propres termes, « il ne supportait pas de manger dans ce monde déshumanisé qui lui nouait l’estomac ». Le hasard de la vie a voulu que je sois mis en contact avec l’ancienne Proviseur d’un lycée de région parisienne accueillant de nombreux élèves de l’école Steiner-Waldorf située à proximité. Celle-ci me déclarait : “Ces élèves faisaient peine à voir ! Ils étaient complètement perdus, dans un profond état de souffrance !” En définitive, bien des élèves ou des anciens élèves Steiner-Waldorf conçoivent ainsi le simple fait d’effectuer leur scolarité dans une école normale comme un contact répugnant avec une réalité inhumaine et monstrueuse, conformément aux discours que leurs pédagogues ont instillés dans leurs têtes et dans celles de leurs parents durant des années. C’était mon cas lorsque j’étais élève. Je me souviens encore de la fierté que manifestèrent mes professeurs lorsque, revenant de mes épreuves du Bac de Français, je leur disais tout le mal que je pensais du lycée où j’avais du me rendre pour composer.

Bien sûr, ces écoles savent tirer de leurs chapeaux des témoignages d’anciens élèves qui racontent à quel point leur intégration au sein de la société et dans le contexte scolaire ordinaire se serait fait sans heurts, à l’image de l’opportune rubrique des Brèves de l’école Perceval de Chatou intitulée “Que sont-ils devenus ?”. En réalité, si l’on examine de près ces témoignages, on s’aperçoit qu’il s’agit bien souvent d’élèves issus de famille aisées et absolument convaincues des bienfaits de cette pédagogie, ayant transmis cette conviction à leurs enfants comme on transmet ses croyances religieuses aux membres de sa famille, ayant eu les moyens financiers et les forces psychiques nécessaires pour préparer et amortir le choc, notamment en payant à leurs enfants de longues études prestigieuses, ou des séjours à l’étranger.

Associé à un discours promotionnel qui décrit tout ce qui est extérieur à « l’école », c’est-à-dire les institutions et la vie de notre société, comme un « monde extérieur » froid, mort, hostile et inhumain (ainsi que je le décris dans mon témoignage intituléL’endoctrinement des élèves à l’Anthroposophie dans les écoles Steiner-Waldorf), on peut comprendre qu’il devienne absolument impensable et inconcevable pour certains parents que leurs enfants doivent un jour se résigner à aller dans un établissement classique. Cela signifierait tout simplement accepter que leurs enfants soit damnés ! J’ai ainsi connu de nombreux parents pour qui la simple possibilité de devoir scolariser leurs enfants dans un établissement traditionnel était vécu comme une sorte de cauchemar. Ils avaient l’impression qu’ils allaient non seulement devoir plier leurs enfants au « moule » de l’Éducation Nationale, mais aussi et surtout que ceux-ci allaient être souillés et pervertis intérieurement par le simple fait de pénétrer dans ce genre d’établissements. De plus, le fait de ne pas vivre « le cycle complet » de la pédagogie Steiner-Waldorf, jusqu’à la présentation des « Chefs- d’œuvres » qui est sensé en être le couronnement – et qui est conçu par les pédagogues de ces écoles comme une sorte de baptême spirituel – était envisagé comme une véritable tragédie par les parents, un irrémédiable inaccomplissement des êtres profonds de leur progéniture.

Lorsqu’on examine certaines déclarations de la mère infanticide de Jambes, en Belgique, on ne peut qu’être frappé par la similitude de ces dernières avec la logique que nous avons tenté d’exposer dans cet article. La mère aurait en effet explicitement déclaré que, dans le cadre de son déménagement à Jambes, elle n’aurait pas supporté d’inscrire ses fils dans une école “classique”, alors qu’il avait pu bénéficier d’une scolarisation dans un Jardin d’Enfants Steiner-Waldorf lorsqu’elle résidait à Profondeville. Doit-on imputer cette conviction exprimée par la mère à une forte influence des thèses anthroposophiques des enseignants pratiquant la pédagogie Steiner-Waldorf sur l’esprit de cette jeune personne, lorsque celle-ci était en contact quasi permanent avec eux à Profondeville ? A-t-elle réellement cru que les âmes de ses enfant ne pourraient être « sauvées » si elle ne bénéficiait pas d’une scolarité Steiner-Waldorf, comme le disait Rudolf Steiner et comme le croient encore aujourd’hui bien souvent les pédagogues Steiner-Waldorf ? Est-ce cela qui, en définitive, peut expliquer l’acte horrible – en apparence totalement absurde – qu’elle a perpétré sur ses propres enfants, acte sur lequel la Justice belge va devoir se prononcer ? A-t-elle préféré leur donner la mort plutôt que de courir le risque que leurs âmes soient damnées au contact d’un milieu scolaire ordinaire ?

source : http://veritesteiner.wordpress.com/2014/05/17/infanticide-belge-la-pedagogie-steiner-waldorf-et-lanthroposophie-peuvent-elles-etre-mises-en-cause/
Publié le 17 mai 2014par gperra