L’organisation revendique une quarantaine de «loges» au Canada et en Europe, dont une dans la région de Montréal et une autre dans la région de Québec. Il s’agit de groupes locaux sans installations permanentes. En 2013, la branche canadienne de l’Ordre a enregistré des revenus de 1,3 million, surtout grâce à la vente de biens et services, selon l’Agence du revenu du Canada. En 2013, elle a distribué des reçus aux fins d’impôt pour 250 000$ en dons encaissés.

Selon la même déclaration financière – fournie par le groupe -, les Esséniens sont assis sur des actifs d’une valeur de 3,5 millions, dont 500 000$ en argent liquide. La majorité de leurs actifs se trouve toutefois dans le domaine qu’ils possèdent à Cookshire-Eaton, d’une valeur de 2,9 millions au rôle d’évaluation, mais payé 1,1 million en 2007.

Depuis cet achat, les Esséniens n’ont pas payé un sou de taxes municipales, ont-ils confirmé. C’est que la loi québécoise prévoit une exemption pour tout immeuble utilisé à des fins religieuses. L’Ordre invoque cette disposition pour économiser des dizaines de milliers de dollars.

Pour la première fois cette année, l’hôtel de ville n’accepte plus cet argument. La Ville a envoyé une facture de 33 000$ en taxes et autres frais municipaux aux Esséniens. Un recours devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ) se prépare si le paiement n’est pas fait, ont indiqué le directeur général de Cookshire-Eaton et son inspectrice municipale.

Dans une décision de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) de mars 2013, on relate d’ailleurs que les Esséniens ont déclaré ne plus vouloir faire de cérémonies religieuses sur leur terrain, puisqu’ils «ont acheté une ancienne église pour y pratiquer leur culte. Il n’y a donc plus de lieu de culte sur la propriété ici concernée».

Toujours sur le plan de la fiscalité, le trésorier de l’Ordre – qui ne veut pas être identifié autrement que par le prénom Simon – a confirmé à La Presse qu’Olivier Manitara profitait personnellement d’une déduction fiscale réservée aux membres du clergé dans sa déclaration de revenus annuelle.

Cérémonies à domicile et commissions

Une partie des revenus du groupe provient de la Boutique essénienne, un site internet où l’on peut acheter le dessin d’un «mandala des anges» (25$), se procurer du «baume des archanges» (22$) ou encore s’abonner aux cours par correspondance d’Olivier Manitara (80$ par mois).

Un document obtenu par La Presse prévoit d’ailleurs la mise en place d’un réseau de «distributeurs indépendants» des cours par correspondance – les «angélisateurs» -, qui touchent de 15 à 30% sur leurs ventes, de 5 à 10% sur les ventes des «angélisateurs» qu’ils recrutent et 3% sur les ventes des «angélisateurs» de leur «2e génération» de recrutement. Toutefois, l’angélisateur «doit réaliser un chiffre d’affaires mensuel de 80$ minimum pour recevoir les commissions sur ses ventes», ajoute le document.

L’Ordre des Esséniens assure que ce système n’a jamais été adopté dans la réalité et qu’il a été rapidement mis sur la voie de garage. Le groupe a toutefois confirmé qu’il invitait les Esséniens qui ne peuvent pas assister à une formation ou à une célébration à faire «La Ronde des archanges à domicile». Le membre recevra des documents par courriel et pourra assister aux conférences sur l’internet. Coût: 200$ pour quatre jours.

Un autre document – datant celui-là de 2009 – prévient les Esséniens que celui qui suit les formations du groupe jusqu’au niveau 3 (sur un total de 7) «s’engage également» à poursuivre jusqu’au sixième niveau de formation. Le document ne cite toutefois pas les prix de chaque formation.

Activités multiples au domaine

Sur l’internet, l’Ordre des Esséniens présente plusieurs activités se déroulant sur son domaine de Cookshire-Eaton. Le «Cercle d’entraide des anges» est destiné à «ceux qui souffrent sur terre», alors que l’«Ordre des hiérogrammates» permet, après «une initiation magique», de mettre ses talents de traducteur ou de réviseur au profit des Esséniens.

Depuis peu, l’Ordre offre au grand public, à Sherbrooke, des cours d’«Arcanas», une discipline qui se rapproche du yoga.

Les Esséniens ont leur maison d’édition, leurs magazines et leurs associations de thérapeutes. Les professionnels de la santé sont d’ailleurs invités à suivre des formations en «soins esséniens» afin de pouvoir appliquer ces principes et «exercer de manière légale».

«Dépouillé»

Selon un rapport du Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC), un organisme public suisse, il en coûtait environ 8200 euros en 2011 pour suivre les six formations qui constituent «l’initiation essénienne». Un document non daté issu de la branche française de l’Ordre indique que le coût des séminaires peut atteindre 2000 euros annuellement pour quatre événements (déplacements non compris), en plus des autres formations.

Gérard, un Français, a fait partie des Esséniens pendant sept ans. Aujourd’hui, en entrevue à La Presse, il se dit financièrement ruiné et moralement détruit par son engagement dans le groupe. Au fil des ans, il assure avoir injecté au moins 20 000 euros dans le mouvement, notamment pour une formation au village de Cookshire-Eaton.

«À mes débuts avant d’entrer dans la secte, j’étais faible, j’étais en souffrance psychologique», a-t-il écrit dans une plainte déposée auprès d’une association française de défense de victimes des sectes, l’UNADFI.

«J’y ai trouvé du soutien mutuel, du réconfort, je reconnais que cela m’a aidé, lance Gérard. Mais j’ai ensuite été séduit, endoctriné et au final dépouillé financièrement, car trompé.»

par Philippe TEISSARD
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