Tuléar correspondance ,

A 45 ans, Iarivotsi l’exorciste a connu deux grands jours dans sa vie. Le premier lorsqu’il eut la révélation : cloches et voix célestes vinrent en brousse l’investir d’une mission divine voilà plus de vingt ans. Le second quand Marc Ravalomanana, le président malgache, à qui Jacques Chirac doit rendre visite le 22 juillet, a proclamé son intention de faire des Eglises les acteurs du développement. C’était en mars.

En serviteur de Dieu, Iarivotsi soigne à sa manière les malades dans son village de Toby Betela, à près de 1 000 km au sud d’Antananarivo, la capitale. Un jour de juillet 1967, des pasteurs norvégiens ont voué ce lieu à l’exorcisme. «Lorsqu’une famille se sent impuissante devant la maladie de l’un des siens, elle peut nous le confier. Mais ici, Dieu seul guérit», explique Iarivotsi, convaincu que toute pathologie est l’oeuvre de Satan. Devant sa maison, une femme gît dans la fournaise poussiéreuse du Sud malgache, le regard vide. Elle fait partie des «possédés».

Aujourd’hui, à Toby Betela, ils sont des dizaines d’improvisés exorcistes à espérer la grâce de Dieu autant que la providence de quelques dons qui amélioreront le quotidien. Quant aux malades, les moyens pour les soigner sont inexistants.

«Je avais enchaîné deux mois.» Dans un français sommaire, Gaston se souvient de sa détention. Désormais délivré de ses chaînes, il grimace toujours à l’idée de pénétrer dans une des deux grandes bâtisses ­ une pour les hommes, l’autre pour les femmes ­ où l’on installe les possédés. Dans une odeur âcre d’urine, les malades sont retenus aux murs crasseux par des fers attachés aux chevilles et aux poignets. Certains restent quelques jours, d’autres croupissent ici des années, «sauf s’ils se suicident», ajoute Gaston.

Geste divin. Comme chaque dimanche, l’effervescence gagne le village, où l’on se prépare à chasser Satan. Le temple se remplit d’une centaine de malades, et les exorcistes, armés de leur bible, revêtent leur aube. Des hommes traînent une femme inconsciente pour qu’elle profite du geste divin : une main magistralement jetée en avant sur des visages éteints. «Va-t’en, Satan !»

Cette litanie hystérique des exorcistes, tous les Malgaches la connaissent. Depuis la crise postélectorale qui ébranla le pays en 2002, la chasse au diable touche les plus hautes institutions. Une crise durant laquelle Marc Ravalomanana, qui s’était déclaré vainqueur de l’élection présidentielle, a chassé l’ancien président Didier Ratsiraka. Le programme de Ravalomanana, vice-président de l’Eglise protestante réformée (FJKM), se résumait à un verset de l’Evangile : «N’ayez pas peur, croyez seulement !» Le candidat, nouveau venu sur la scène politique, était élevé au rang de «saint Marc». Et certains religieux n’avaient pas hésité à aller jusqu’à menacer d’excommunication ceux qui ne voteraient pas pour «l’envoyé de Dieu», puis à assaillir les ministères pour exorciser leurs personnels avant d’y placer des ministres «élus de Dieu». Depuis, les séances de l’Assemblée nationale débutent par un culte oecuménique.

Dans un pays où l’Etat n’a cessé de régresser, l’Eglise apparaît comme un acteur de premier ordre. Au point que Marc Ravalomanana a négocié un prêt de 900 millions de francs malgaches (près de 85 000 euros) auprès de la Banque mondiale pour les pasteurs de la FJKM, qu’il a investie du «développement national». Un prêt que tous les Malgaches devront rembourser, chrétiens ou non.

Les intellectuels et l’opposition, comme Jean-Robert Razafy, président du Rassemblement des Malgaches de France, ont beau s’indigner de ce «coup porté à la laïcité constitutionnelle», l’ensemble de la société semble se résigner.

Chemin. Ernestine, elle, résiste et en fait les frais. Arrivée en 1982 à Toby Betela, elle «ne prie et ne remercie pas assez Dieu», confie un religieux pour justifier les chaînes qui l’entravent. Gaston, lui, a trouvé un meilleur chemin. Pour se délivrer des fers, il a demandé, comme d’autres, à goûter à la grâce de Dieu, en devenant exorciste : la boucle est bouclée, Dieu et Satan dansent ensemble, le village applaudit.

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