Plusieurs peines de prison ferme ont été récemment prononcées à l’encontre de jeunes Français candidats au djihad, interceptés avant d’avoir pu quitter le territoire. Franco-algérien, Mohamed, 66 ans, s’est résolu à partir chercher lui-même Khader, 26 ans, quelque part dans le maquis syrien, afin de l’aider à refaire sa vie là où il ne risquera ni la mort ni la prison. Mohamed, qui partage ses semaines entre Drancy (Seine-Saint-Denis) et Liège où il vend des vêtements, ne s’étend pas sur son angoisse d’accomplir, à son âge, un tel périple.
Il reste délibérément flou sur son plan et la date de son départ, probablement mi-avril. “Je compte sur l’entourage d’un prédicateur bruxellois, lui-même parti combattre en Syrie, pour m’obtenir un sauf-conduit. Ensuite, je me rendrai à la frontière turco-syrienne, où les passeurs sont nombreux, puis je chercherai l’endroit où les combattants francophones sont regroupés”, détaille-t-il. Il estime qu'”au moins deux semaines” seront nécessaires pour localiser son fils.

Une telle aventure constitue “une entreprise extrêmement dangereuse que nous déconseillons”, prévient Romain Nadal, le porte-parole du Quai d’Orsay. Impossible, pourtant, de ne pas penser à Dimitri Bontinck, le père d’un jeune djihadiste belge qui, après plusieurs tentatives, est parvenu le mois dernier à ramener en Belgique son fils, parti combattre à Alep.

MERCENAIRES

Mohamed n’a jamais perdu le contact avec son fils. Au moins une fois par mois, il communique avec Khader par Skype. “Il m’a montré l’endroit où il vit. C’est un hôtel, un peu vide.” Mohamed retient des bribes du quotidien de son fils : le jeune activiste, salarié de la RATP, vit avec d’autres Français. Le soir, on leur donne des cours d’arabe. On leur avait confié des armes, mais on les leur a reprises. Khader envisagerait désormais de se marier, de faire sa vie là-bas. “Pour les hommes de Bachar Al-Assad, les djihadistes français sont des mercenaires. Khader ne parle pas du tout arabe. S’il est capturé, il ne pourra pas se défendre”, s’alarme le sexagénaire. “Dans les groupes djihadistes, les Français servent de chair à canon ou sont cantonnés aux tâches subalternes”, ajoute-t-on du côté des autorités françaises.

Mohamed ne les a pas averties de son projet. Il ne leur fait plus confiance car il ne s’explique pas comment son fils a pu rejoindre la Syrie alors que, bien connu de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) depuis le 15 octobre 2012, il était placé sous contrôle judiciaire. Khader et deux amis, alors soupçonnés de vouloir partir faire le djihad en Somalie, avaient été interpellés chez eux, à Drancy. La DCRI les avait auditionnés pendant 96 heures, avant de les relâcher.

A l’époque, Khader venait de lâcher ses études après son bac littéraire et vivait avec ses parents et sa plus jeune sœur. “A chaque fois que je rentrais à la maison, je le trouvais devant Internet, fasciné par des prédicateurs barbus, raconte le père. Je me suis mis à la prière pour ne pas perdre le fil, pour qu’on partage encore quelque chose. J’essayais de lui traduire certains textes arabes en français. Un jour du ramadan, je l’ai accompagné à la mosquée du Blanc-Mesnil. Il donnait l’accolade aux salafistes…” En septembre dernier, le jeune homme a prétexté un séjour dans le Midi. Quand il a donné des nouvelles à sa famille, une semaine plus tard, il était en Turquie, prêt à franchir la frontière. “Il ne faut pas être égoïste. Vous vouliez me voir avocat, ou je ne sais quoi… C’est votre fantasme. En étant ici, je fais ce qui me plaît”, leur a lâché Khader. Mohamed sait qu’il aura du mal à convaincre son fils de revenir, mais “s’il reste une chance de le convaincre, je dois lui parler avec les yeux”, souffle-t-il.

source : le Monde Magazine par
Stéphanie Marteau