“Dieu Football Club n’est pas un livre qui juge, ni qui tape à l’œil. Mais il propose, à travers des témoignages allant de Madjer à Domenech en passant par Madar, plusieurs pistes de réflexion sur des questions qui se posent à nous aujourd’hui et qui nous concernent tous”: c’est ainsi que Nicolas Vilas présente son livre, sorti il y a quelques jours dans les librairies. Son ouvrage s’attaque à un sujet rarement évoqué et plus beaucoup plus complexe qu’on pourrait le croire: la religion dans le milieu du football.

Après 3 ans d’enquête et une centaine de témoignages recueillis, ce journaliste travaillant chez Ma Chaîne Sport et officiant régulièrement sur RMC, publie chez Hugo Sport “Dieu Football Club”, un condensé de points de vue, qui prend l’allure d’un panorama inédit. Des racines historiquement religieuses de certains clubs, au débat du port du voile sur les pelouses en passant par les révélations bouddhistes de certains footballeurs, jamais le lien entre football et croyance n’avait été si développé. 208 pages qui proposent une vision globale et plurielle d’un sujet qui méritait bien un bouquin, une sorte d’incitation au débat et au dialogue. Nicolas Vilas: “On ne peut asséner une vérité à des débats aussi profonds et dans lesquels plusieurs sensibilités sont amenées à devoir s’exprimer”.

Car le football et la religion, ce n’est pas une longue histoire tranquille. Les liens entre croyances et ballon rond ne sont pas nouveaux et ne se limitent pas aux signes de croix que les joueurs font en rentrant sur la pelouse. C’est une histoire plus complexe qui a forgé certains clubs (Brest, l’AJ Auxerre par exemple) et qui continuent d’animer passions et rivalités. Sans oublier la foi des joueurs qui devient parfois difficile à concilier avec leur carrière sportive. Et également un lot de débats qui touchent aussi bien le football que la société actuelle.

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Tous les thèmes sont abordés par Nicolas Vilas: l’islam avec le témoignage de joueurs musulmans -convertis ou non- (Djamel Abdoun, Lionel Carole, Frédéric Kanouté et bien d’autres), la gestion du ramadan vue par médecins, entraineurs et joueurs, mais également la question des plats halal. Le judaïsme avec des situations antisémites vécues par certains joueurs (Yossi Benayoun, William Ayache) ou entraineurs (Avram Grant ou encore Victor Zvunka, qui est pourtant catholique). Mais aussi le christianisme avec les traditions catholiques ancrées dans certains clubs (Sporting Gijon, Boca Junior) et l’évangélisme ‘importé’ en Europe par beaucoup de joueurs brésiliens (Edmilson, Thiago Silva, Lucas, etc). Sans oublier les joueurs mormons, témoins de Jéhovah ou anciennes gloires du foot devenues bouddhistes… Un panorama total du rapport entre la foi et la ballon rond!

Le parallèle avec des débats sociétaux ne peut être évité, mais il faut avouer que le milieu du football semble savoir se montrer plus conciliant et ouvert qu’il ne le paraît. Nicolas Vilas me confirme cela: “Beaucoup de problématiques qui se posent aujourd’hui au sein d’entreprises – publiques comme privées – sont apprivoisés au sein de beaucoup de clubs. Les habitudes alimentaires (halal, kasher), les périodes de jeûne ou de chômage (kippour, ramadan), les prières sur le lieu de travail…

Dans la majorité des cas, en France et dans les grands championnats européens, les dirigeants et leurs entraîneurs ont appris à gérer les habitudes de leurs joueurs. Parce que pour eux, il faut que chaque individu puisse se sentir dans les meilleures dispositions pour qu’il puisse être le plus épanoui, et donc et plus performant possible.” Une réussite qui relève davantage de la volonté que des moyens: “Plusieurs entités plus modestes (en National, comme le Red Star ou le Paris FC) ont su d’adapter à ces réalités. Cette prise de conscience du milieu du foot s’est parfois opérée au terme de situations tendues, voire conflictuelles. Mais elles ont débouché sur des avancées, un dialogue. La base est surement là.”

Dieu Football Club propose, à travers ses témoignages, un lot d’exemples qui montrent que chacun sait s’adapter lorsque la foi touche au foot. Mais tout reste à relativiser: “N’allez pas croire que le monde du foot est merveilleux. Beaucoup de tabous subsistent et de trop nombreuses personnes rechignent encore à s’exprimer” analyse Nicolas Vilas. “Certaines corporations, comme celle des arbitres, restent difficiles à toucher, malgré eux, d’ailleurs. Et surtout, énormément de préjugés perdurent. Si le foot a une longueur d’avance sur certains points, il n’en reste pas moins à l’image de la société et traîne aussi son lot d’idées préconçues et de présomptions”.

Tout cela n’a pas empêché d’ouvrir des débats qui ont marqué Nicolas Vilas: “C’est fantastique de passer des heures à parler de Dieu, de la religion avec un Abou Diaby, un Fred Kanouté, un Ceara, un José Anigo, un Philippe Troussier ou un Guy Alliel” explique-t-il. Ces quelques noms suffisent à comprendre l’enjeu du livre et sa pluralité de témoignages.

Diaby et Kanouté sont deux joueurs membres de l’Association des Footballeurs Musulmans (AMF); Marcos Ceara est un ancien joueur brésilien du PSG, qui est également pasteur évangéliste; José Anigo est un entraineur catholique qui connait mieux que quiconque le mélange des confessions dans son ancien club, l’OM; Troussier est un ancien joueur, désormais entraineur, qui s’est converti à l’Islam; et enfin Alliel est un joueur lyonnais qui a arrêté sa carrière pour se consacrer au Judaïsme. Nicolas Vilas reprend: “Ce qui est extraordinaire, c’est de constater que des footballeurs -qu’on nous présente souvent comme limités dans leur façon de penser- et leur engagement sont capables de vous tenir ainsi en éveil.

Si on veut les entendre parler d’autre chose que de ballon, d’argent et de voitures, peut-être faut-il leur poser des questions qui portent sur d’autres thèmes…” Bien loin des préjugés qu’on leur colle, les footeux savent s’exprimer avec passion lorsqu’il s’agit d’évoquer leur foi et leurs engagements: “le fait de gagner correctement sa vie n’exclut en rien le fait de pouvoir croire, avoir une passion, fût-ce-t-elle la foi” rappelle Nicolas Vilas. “N’oublions pas que les croyants ont existé bien avant la médiatisation du foot.”

Ce qui amène un autre débat, celui du traitement de la religion en général, trop souvent présentée comme un vecteur de problèmes selon le journaliste: “Il n’y a pas d’acharnement entre le footballeur et la religion mais plutôt un acharnement à vouloir faire des questions liées à la religion – quelle qu’elle soit – un problème. C’est qu’il y a un besoin, plus ou moins conscient, de comprendre. Or, la condamnation systématique contourne le débat et donc l’enseignement” analyse M. Vilas. En prenant de la hauteur, cette vision des choses concorde avec ce qui ressort de certains témoignages du livre: la France aurait davantage de problèmes liés à l’intégration et au respect des religions de chacun. Nicolas Vilas: “En France, à force de matraquer les citoyens avec le principe de laïcité on a fini par en oublier le respect des religions et de leurs pratiques. La Laïcité doit avant tout demeurer un devoir de neutralité, pas un ensemble de lois tendant vers l’interdiction. En conséquence, une, voire plusieurs générations, d’individus grandit soit dans le déni de la religion et de ses signes, soit, par défiance, dans la (sur)exposition de celle-ci. Certains sociologues y voient une conséquence de l’échec du modèle d’intégration français”. Quand on vous dit que le sport rejoint toujours la société…

Pas de quoi néanmoins en faire une généralité. Lui-même non-croyant, Nicolas Vilas conclue son ouvrage ainsi: “Je ne me suis pas réconcilié avec le Tout-Puissant, mais j’ai certainement revu mon jugement sur ceux qui l’adjurent”. Car ces trois ans d’enquête, ce sont surtout “beaucoup de belles rencontres” selon son auteur, mais aussi le constat que la religion n’est pas un obstacle pour la pratique du sport: “J’ai surtout été conforté par le fait qu’un dialogue est possible; qu’une autre voie que celle du conflit ou de la soumission est accessible. Dès leur plus jeune âge, les joueurs cohabitent avec leurs différences, leur cultures, leur foi, leurs pratiques. Et ils en discutent. L’image qu’on caricature de ces sportifs est tout aussi fausse et emplie de préjugés que celle qu’on peut se faire des religions qu’on ne connait pas. Et si la connaissance, dont l’une des formes les plus constructives et agréables reste le dialogue, demeurait le meilleur des remèdes ?” Ce dialogue, il est en librairie et très intéressant à lire!

Dieu Football Club, par Nicolas Vilas, chez Hugo Sport. 208 pages, 16,50€.

source : Fait-religieux.com
Football et religion: quand Dieu s’immisce dans les vestiaires
Le Huffington Post