Note de lecture de Jacques Van Rillaer – SPS n° 306, octobre 2013 Mikkel Borch-Jacobsen, professeur à l’université de Washington, rassemble ici une quinzaine d’articles, dont certains avaient paru en 2002 dans Folies à plusieurs et dont d’autres, publiés aux États-Unis et en Angleterre, étaient difficilement accessibles. On peut se réjouir de disposer ainsi de textes, souvent originaux et toujours rigoureusement argumentés, d’un des meilleurs spécialistes de l’histoire et de l’épistémologie de la psychanalyse. Ceux qui ont lu Le Livre noir de la psychanalyse1, Le dossier Freud : enquête sur l’histoire de la psychanalyse, Les patients de Freud – Destins, trouveront quelques redites, mais suffisamment de nouveautés pour apprécier ce recueil extraordinairement bien documenté (rappelons que l’auteur a travaillé aux Archives Freud déposées à la Bibliothèque du Congrès).

Un ensemble d’articles porte sur l’histoire de la psychanalyse et l’épistémologie freudienne. M. Borch-Jacobsen y montre comment Freud et ses émules ont « déshistorisé » leur discipline pour faire croire à l’absolue originalité du Père-fondateur. Il montre comment des comportements de patients, manifestement conditionnés par la théorie, ont été présentés comme des faits d’observation, objectifs, neutres, incontestables. Il ne se limite pas à examiner la production d’artéfacts en psychanalyse : il montre, à travers différents exemples, que la complaisance des patients à s’accorder avec les attentes et suggestions des thérapeutes s’observe dans toutes les psychothérapies et que ce processus avait déjà été bien compris au XIXe siècle par Bernheim et Delbœuf pour le traitement par l’hypnose.

M. Borch-Jacobsen montre que les multiples théories psychanalytiques ne donnent pas lieu à un savoir réellement cumulatif. La psychanalyse constitue une théorie dans laquelle chaque analyste met à peu près ce qu’il veut au nom de son expérience clinique. Il en résulte que l’histoire de la psychanalyse est celle d’un perpétuel conflit d’interprétations. Ce qui fait tenir le mouvement, c’est la glorification du Père-fondateur, l’affirmation de l’existence d’un Inconscient (freudien) et la prétention des analystes à être les seuls à le connaître.

Plusieurs textes portent sur les variations historiques de troubles mentaux (leur apparition, leurs métamorphoses, leur disparition). M. Borch-Jacobsen interroge en particulier l’histoire de l’hystérie, de la fugue dissociative, de la grande dépression et de l’exemple par excellence de maladie mentale transitoire : la personnalité multiple. Il a lui-même mené une enquête approfondie — en collaboration avec Peter Swales — sur un cas célèbre aux États-Unis (Sybil), où le conditionnement par les croyances de la thérapeute s’est avéré évident… et catastrophique.

La dernière partie de l’ouvrage porte sur le rôle d’industries pharmaceutiques dans l’augmentation de certains diagnostics psychiatriques et de prescriptions de psychotropes. Notons enfin une très intéressante analyse de la façon dont les associations de patients peuvent désormais contrer les excès du pouvoir médical mais n’en sont pas pour autant à l’abri d’erreurs de diagnostic et d’autres errances.

1 Voir SPS n° 269 & 271 et la rubrique consacrée à cet ouvrage sur le site de l’AFIS Le Livre noir de la psychanalyse

Mikkel Borch-Jacobsen. Éditions Sciences Humaines, 2013, 360 pages, 16 €

source : “sectes et pseudo sciences “