Dans « La nuit, j’écrirai des soleils », le neuropsychiatre explore l’écriture comme survie chez de grands auteurs. Mais écrire ne suffit pas toujours…

Dans son nouveau livre « La nuit, j’écrirai des soleils », le neuropsychiatre, spécialiste de la résilience, Boris Cyrulnik, investit le monde des écrivains, très souvent des orphelins a t-il constaté
C’est un homme très doux qui dit parfois des choses très dures. « Un trauma sans paroles nous contraint à des réactions de défense biologiques analogues à celles des animaux pourchassés par un prédateur. Ceux-ci réagissent d’abord en cherchant à fuir. Quand ils sont rattrapés, sidérés par la frayeur, ils s’immobilisent et soudain combattent pour se défendre. Les êtres humains connaissent ces réactions animales, mais comme ils vivent dans un monde de représentations verbales, ils se servent des mots pour se dérober, pour agresser ou pour séduire l’agresseur ».

Ce que dit Boris Cyrulnik, c’est que l’être humain est traqué par des prédateurs et que le monde est une jungle. Ce fils de Juifs assassinés dans les camps, qui s’est échappé à six ans lors d’une rafle de la Gestapo, sait de quoi il parle.

Comment retrouver cet élan vers les autres ?

À 81 ans, le neuropsychiatre, spécialiste de la résilience, cette faculté de surmonter de graves blessures psychiques, retrouve le souffle de ses premiers livres, comme « Sous le signe du lien », où il explorait l’âme humaine à partir des relations animales. Dans « La nuit, j’écrirai des soleils », il investit le monde des écrivains – très souvent des orphelins, constate-t-il – comme Jean Genet, l’auteur de la pièce « Les bonnes », abandonné à sa naissance, et qui n’aima jamais sa famille d’accueil, pourtant vraiment très accueillante, ni personne, à l’exception des persécutés et des traîtres qu’il aimait. Il signa des chefs-d’oeuvre et ne connut jamais l’amour.

Pour Cyrulnik, parfois caricaturé, la résilience n’est pas un catéchisme, mais une science à la chimie instable. Quand un enfant a subi de graves carences affectives, tout est possible, quitte à sortir du cadre. Comme Gérard Depardieu, à qui le neuropsychiatre consacre de superbes pages. L’acteur chapardeur, bagarreur, est devenu auteur de sa propre vie en se nourrissant des mots des autres, dramaturges et cinéastes. Ce que Depardieu, venu d’un milieu très modeste et dur, a compris, c’est cet adage de Cyrulnik : « Dans un milieu sans relation, ou dans un milieu monotone, le sujet n’a rien à dire, puisqu’il n’a rien eu à se mettre en mémoire ». Comment (re) trouver cet élan vers les autres quand des traumas précoces vous poussent à les éviter, les fuir ? Les mots, dits ou écrits.

Remodeler son trauma ou le répéter à l’infini

Dans cette ballade littéraire, le psy cite l’un des plus grands internés ou maudits de la littérature française, Antonin Artaud : « Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé que pour sortir en fait de l’enfer ».

Parfois plus sombre qu’à l’accoutumée, Boris Cyrulnik aborde le cas d’une psychanalyste connue, spécialiste de la maltraitance des enfants, et qui laissait son mari battre les siens… Des vies dévastées malgré de brillantes réussites intellectuelles. L’originalité de ce livre est de découpler totalement reconnaissance sociale et réelle libération intérieure. Il existe pour lui deux manières d’écrire : remodeler son trauma, en multipliant les points de vue, et s’en libérer par un appel d’air, ou le répéter à l’infini, comme une litanie, une blessure dont on gratte à jamais la croûte et qui ne guérit jamais. Écrire, oui. Pour le soleil, la météo de l’âme est capricieuse.

« La nuit, j’écrirai des soleils », de Boris Cyrulnik (ed. Odile Jacob, 298p., 22,90 euros).

source : http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/la-nuit-j-ecrirai-des-soleils-de-boris-cyrulnik-quand-les-mots-chassent-les-maux-13-07-2019-8115840.p

Le 13 juillet 2019 à 07h43