Soins : Faire le ménage entre les médecines complémentaires, utiles ou dangereuses, mission impossible ?

MALADIE Les médecines complémentaires sont de plus en plus pratiquées, appréciées et parfois proposées au sein de l’hôpital, mais certaines peuvent présenter des dangers

  • Au moins quatre Français sur dix pratiquent une médecine complémentaire, (homéopathie, ostéopathie, acupuncture, chiropraxie…) et certains centres de santé ou hôpitaux proposent des soins de confort.
  • Mais si les bienfaits de certaines de ces médecines complémentaires sont aujourd’hui prouvés, elles peuvent aussi augmenter les risques pour des patients qui renoncent à leurs médicaments.
  • Un essai, Médecines complémentaires et alternatives, pour ou contre et un colloque pourraient aider le grand public à y voir plus clair.

Et si un coupeur de feu pouvait soulager vos douleurs après une brûlure ? Et l’acupuncture limiter les nausées ? Ou l’hypnose supprimer les insomnies ?  Ostéopathie, homéopathie, étiopathie, acupuncture, sophrologie, méditation… Les « médecines alternatives », appelées aussi « médecines complémentaires », « médecines naturelles » ou encore « médecines douces », se sont multipliées et imposées ces dernières années dans le paysage du soin en France (et dans le monde). Mais parmi ces disciplines, qui ont en commun d’avoir une ambition thérapeutique et de ne pas être enseignées à la faculté de médecine, se côtoient des praticiens et des philosophies très différents.

Ce jeudi paraît Médecines complémentaires et alternatives pour ou contre ?*, le premier essai croisant le regard d’une cinquantaine de professionnels et dévoilant le parcours de quatre patients anonymes, qui vise à aider le grand public à se repérer dans cette jungle et faire le tri entre bienfaits et dangers. Ce qui n’est pas une mince affaire…

4 personnes sur 10 adeptes

« Soigner un cancer au jus de citron, c’est fatal !, s’agace Anne Josso, secrétaire générale de la Miviludes  (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), autrice d’un des chapitres de l’ouvrage. Mais beaucoup de ces médecines, quand elles sont complémentaires avec un traitement, peuvent apporter du réconfort et un mieux-être. »

En 2010, une étude de la Miviludes pointait que 4 Français sur 10 ont recours aux médecines dites alternatives, dont 60 % parmi les malades du cancer. L’engouement et l’attachement durable à certaines de ces pratiques ont été mis en évidence par le débat autour de l’homéopathie ces derniers mois. Qui ne fait que commencer, puisqu’en octobre, l’Ordre des médecins doit se pencher sur le statut des médecins homéopathes et que sur les réseaux sociaux, l’offensive de ceux qui se baptisent #nofakemed et attaquent toutes ces pratiques se poursuit.

Compliqué d’informer

Pour les trois directeurs de l’essai, il devient urgent d’ouvrir un grand débat national sur ces médecines complémentaires et alternatives (MCA). « Le sujet ne cesse de prendre de l’ampleur depuis cinq ans », affirme Anne Josso. Mais les freins pour que le grand public puisse se repérer sont légion. Il existait 400 MCA en 2010. « Et il se crée de nouvelles médecines complémentaires et alternatives tous les jours !, reprend la secrétaire générale de la Miviludes. De plus, certaines pratiques changent de noms. Par exemple, aujourd’hui, le terme ” quantique ” est très à la mode. Le plus efficace, c’est de développer une information grand public. »

Une sensibilisation peu évidente par manque de définition. Car que recouvre exactement ce terme de médecines complémentaire et alternative (MCA) ? C’est bien tout le problème. « Il n’y a ni consensus scientifique, ni définition, ni classification de référence », introduit Véronique Suissa, psychologue et autrice d’une thèse sur le sujet. De prime abord, on peut supposer que les médecines complémentaires s’ajoutent aux traitements, alors que les médecines alternatives se substituent aux médicaments. « Mais c’est en réalité bien plus complexe, car chaque médecine non traditionnelle peut être complémentaire ou alternative », souligne la co-directrice de cet essai et enseignante à Paris 8.

D’autre part, l’attachement à certaines pratiques peut être très fort pour une partie de la population, parfois victime de désinformation sur la Toile Et médecins et patients semblent embarqués dans un dialogue de sourds. Les premiers se méfiant de ces pratiques concurrentes, les seconds refusant de parler à leur médecin traitant des séances d’étiopathie ou d’hypnose qu’ils pratiquent. « Aujourd’hui, cela reste un sujet de tabou, critique Véronique Suissa. J’ai suivi pour une étude 32 patients atteints d’un cancer qui utilisaient ces pratiques de façon alternative ou complémentaire, et aucun d’entre eux n’avait été orienté par son médecin traitant. »

Troisième frein : la Miviludes se retrouve dans l’impossibilité d’accuser certaines MCA de dérives sectaires, par peur des procès.

Bienfaits et dangers

Avant de pouvoir évaluer les bienfaits de ces soins, encore faut-il savoir ce qu’on en attend. « Qu’est-ce qu’on entend par efficacité ?, interroge la psychologue. Il ne s’agit pas de guérir, mais de se sentir mieux, de mieux supporter les effets secondaires d’une chimiothérapie, par exemple. Et beaucoup d’études montrent que la qualité de vie s’améliore avec ces médecines complémentaires. Mais c’est très subjectif. » Sans compter qu’on ne peut nier l’effet placebo de ces pratiques. Voilà pourquoi les auteurs de l’essai appellent de leur vœu une grande évaluation scientifique des MCA.

Schématiquement, le livre distingue tout de même quatre catégories parmi ces pratiques. Celles qui ont un statut juridique et des formations bien encadrées : acupuncture, ostéopathie, homéopathie et chiropraxie. Certaines mutuelles remboursent même quelques séances de ces disciplines. D’autres sont socialement intégrées, notamment la sophrologie, parfois proposée au sein d’un service de cancérologie, mais dont la formation n’est pas organisée. Une troisième catégorie, qui bénéficie d’une tolérance, par exemple l’accompagnement spirituel. Enfin, dernier cas de figure, les MCA qui s’opposent à la médecine officielle. Dont certaines sont cooptées par des gourous qui promettent monts et merveilles pour un prix record. « On a reçu 2.800 signalements de dérive sectaire en 2018, dont un bon tiers qui concerne la santé et le bien-être, souligne Anne Josso, de la Miviludes. Cela donne une idée de l’ampleur, mais c’est en deçà du nombre de victimes. C’est souvent des proches qui nous alertent. »

Mais ce tri est en réalité beaucoup plus complexe à réaliser. « On ne peut pas dire quelle pratique est positive ou négative : il faut savoir qui la dispense, comment le praticien a été formé, comment le patient l’utilise – dans le cadre d’un cancer ou d’un coup de fatigue ?- et surtout si c’est alternatif ou complémentaire », synthétise Véronique Suissa. Mais même cette dernière opposition doit être nuancée. « Si c’est alternatif, en général, c’est dangereux, reprend-elle. Mais la complémentarité peut elle aussi être périlleuse. Par exemple, la méthode Hamer estime que c’est le patient qui crée sa maladie… et qu’il peut donc en guérir seul. » De même, le livre évoque certaines plantes qui peuvent annihiler les effets des anti-cancéreux…

Les détails qui doivent inquiéter

Du côté du patient, justement, comment faire attention ? D’abord, l’information fiable : le ministère de la Santé et France Assos Santé délivrent quelques clefs de compréhension sur l’encadrement ou non des pratiques.

Ensuite, il convient de vérifier la formation du thérapeute. Car certains affichent un titre ronflant après un séminaire d’un week-end… « Il y a peu de formations encadrées, regrette Véronique Suissa. Ce qui doit inquiéter, reprend cette psychologue, c’est à la fois le discours des praticiens et leurs tarifs » Exit les méthodes miraculeuses, donc, qui peuvent pourtant donner de l’espoir à un malade qui se sait condamné. « Ce n’est pas forcément le coût de la consultation qui doit alerter, mais aussi la fréquence, l’achat de produits censés soulager », ajoute Anne Josso, de la Miviludes.

Que faut-il intégrer, que faut-il combattre ?

L’État commence à prendre la mesure du phénomène. Avec une double approche : intégration ou vigilance. « Il existe une évaluation de quelques pratiques intégrées par la direction générale de la santé (DGS), qui a un bureau dédié à ces pratiques non conventionnelles depuis 2010 et travaille avec l’Inserm », salue Véronique Suissa. La première grande étude menée par la Haute Autorité de Santé  sur l’efficacité de l’homéopathie, en juin dernier , montre également que le pouvoir se penche sur cette question sociétale.

Avec ce livre, les divers soignants espèrent alerter les hautes sphères, mais aussi informer le grand public, en détaillant notamment discipline par discipline. Dans son prolongement, les trois directeurs d’ouvrage ont d’ailleurs lancé un colloque, qui se tiendra le 28 octobre au ministère de la Santé.

« La médecine a élargi ses missions. Le soin n’est pas uniquement technique et curatif aujourd’hui, mais il investit la question de bien-être, résume Véronique Suissa. Avec une question de taille : qu’est ce qu’on intègre ou pas ? » Pour elle, pas de doute, la réflexion est lancée, mais ce tri nécessaire doit être mené plus rapidement. « D’autant qu’en plus des dangers pour la santé et dérives sectaires, se pose la question de l’inégalité territoriale. Car certains hôpitaux ou centres proposent des soins complémentaires et pas d’autres. »

* Médecines complémentaires et alternatives, sous la direction de Véronique Suissa, Serge Guérin, Philippe Denormandie, Michalon, 24 €.