Analyse du livre par Claude Ruche : l’hôpital, un territoire perdu de la République
Autant le dire tout de suite, j’ai un profond respect pour Isabelle Levy, qui mène depuis des années et en solitaire un combat sans relâche pour promouvoir la laïcité et les valeurs républicaines dans les hôpitaux et les établissements de santé. Elle est considérée aujourd’hui comme une « lanceuse d’alerte » mais lorsqu’elle était seule à dénoncer les dérives religieuses qu’elle observait chaque jour, elle passait pour une personne suspecte et méprisable. Jamais elle ne fut considérée comme « islamophobe » puisqu’elle dénonce toutes les religions et à ce titre, ne sachant pas dans quelle catégorie la classer on préféra l’ignorer. Les personnels de santé, eux, la connaissent bien, car durant des années elle fut la seule à les soutenir et à accompagner leur détresse.
Son livre Menaces religieuses sur l’Hôpital, publié en 2011, reste l’ouvrage de référence de tous ceux qui se battent pour que les hôpitaux restent un espace neutre dans la lutte permanente que se livrent les religions pour assoir leur prédominance. Rédigé comme une enquête, ce livre est le pendant sanitaire du rapport Obin, en plus trash car vous allez y découvrir que le sanctuaire que devrait être l’hôpital est en réalité un champ de bataille sur lequel s’entrechoquent les cultures et les cultes dans un prosélytisme échevelé. Mais la force de ce livre réside dans le fait qu’Isabelle Levy connait parfaitement les religions avec leurs différents interdits, leurs blocages et leur pouvoir d’intimidation. Qu’il s’agisse de naissance, de transfusion sanguine, de refus de soins, de douleur, de pudeur ou de mort, elle apporte de nombreux éclairages sur les exigences permanentes et désormais exponentielles des différents courants religieux dans un environnement où le corps est au centre des préoccupations. Ce que l’on découvre au fil des pages est absolument effarant.
Bien sûr, tout le monde a entendu parler de ces personnes qui refusent de serrer la main des individus du sexe opposé, ou encore du refus de certain de bénéficier d’une transfusion sanguine. Mais qui a entendu parler d’actes chirurgicaux strictement religieux remboursés par la Sécurité Sociale, ou encore de pratiques religieuses qui mettent en danger les malades ? Dans le même ordre d’idée, tout le monde connait plus ou moins les différents rites comme Shabbat pour les israélites ou la semaine sainte pour les catholiques, mais personne n’a conscience des impacts de ces pratiques religieuses sur l’organisation des établissements de santé. Que faire, par exemple lorsqu’un patient hospitalisé refuse d’utiliser tous les appareils électriques ou encore qu’une femme refuse de se déshabiller pour un examen médical ou refuse la douche obligatoire avant une opération ? La partie consacrée aux interdits ou aux obligations alimentaires est également totalement surréaliste et permet de comprendre que l’observation stricte des dictats religieux a de quoi rendre fou le personnel soignant.
L’Institution est également montré du doigt car le prosélytisme se trouve aussi du côté des soignants. Là encore, Isabelle Levy multiplie les exemples et les observations : contestation de l’autorité des cadres féminins par le personnel masculin, le mur d’une lingerie tapissée d’image pieuses chrétiennes, la photographie du pape sur un écran d’ordinateur d’un service de consultations externes, des femmes portant perruque et manches longues au mépris du règlement, des infirmières portant au cou une croix de 10 centimètres, des infirmières musulmanes arborant le voile… Et que penser de l’administration qui ferme les yeux par souci de maintenir une forme de paix illusoire.
Ce que nous décrit Isabelle Levy est un véritable désastre car il apparait, à la lecture de son livre que l’hôpital est un des territoires perdu de la République dans lequel les religions ont depuis longue date imposé leurs désidératas. L’autre choc de ce livre est la mise en évidence du racisme omniprésent qui empoisonne les relations entre les patients et les soignants : on ne veut pas être soigné par un noir ou par un blanc ou par une femme ou par un chrétien. On veut rester entre soi et la volonté générale se noie dans un communautarisme revendiqué et assumé. Revendication relayée par de grands patrons qui suggèrent la mise en place d’unité de soins communautaires dans lesquelles patients et soignants partageraient leurs origines communes comme c’est déjà le cas dans certains hôpitaux allemands.
Enfin, le dernier chapitre du livre déroule une série de dix propositions pour contrer la menace religieuse qui plane sur les hôpitaux publics. Isabelle Levy en appelle aux responsables pour qu’ils fassent preuve de courage dans l’application de la loi et des règlements. D’autre part, elle plaide pour des mesures de « bon sens » et faciles à mettre en œuvre pour permettre de garantir aux patients le libre exercice de leur culte dans le respect des autres et de l’institution.
Pour ma part, je plaiderai pour l’ouverture d’un chantier qui me semble urgent afin de ramener de la République et de la laïcité dans les établissements de santé qui, comme l’École, doivent être des sanctuaires de neutralité. La santé publique est à ce prix, la paix sociale également.
Claude Ruche
source : comité laïcité de la République 10 avril 2016
http://www.laicite-republique.org/i-levy.html