Sylvie Le Bihan vous nous plongez au coeur de la violence et de la maltraitance. Une réalité qui n’épargne personne ?

Personne n’est épargné par ce type de violence qui ne se voit pas. Que ce soit les hommes ou les femmes d’ailleurs parce qu’on n’a pas besoin de force dans le harcèlement moral. Une femme peut être un pervers narcissique également. Et cette forme de violence peut s’installer dans n’importe quelle forme de couple, et même dans le domaine professionnel.

Les deux femmes de votre livre ont à subir une violence très différente. La première sait quand les coups vont tomber, et l’autre doit toujours être sur ses gardes, elle ne sait jamais quand on va frapper. C’est une violence insidieuse ?

Elle est beaucoup plus insidieuse, et je constate qu’on parle beaucoup de violences conjugales, ce qui est très bien. Il faut communiquer sur le sujet. Moi j’ai voulu faire le parallèle entre les deux violences parce que les coups sont visibles et les mots le sont moins. Les blessures psychologiques sont moins démontrables, et il est plus compliqué de déposer une plainte. C’est également une violence qui ne se passe qu’en privé; en société le pervers est un homme charmant, qui une heure avant une soirée, a certainement dévalorisé sa compagne.

Ce qui est terrible dans le cas de mon héroïne, c’est qu’il s’agit d’une gynécologue, éduquée, qui a fait des études, et qui a un métier qui la comble. Sa fonction sociale est réelle, mais dès qu’elle rentre à la maison, elle perd tout son rayonnement, et elle n’a plus aucune force.

Vous avez rencontré des cas de figure différents. Savez-vous si le pervers l’est toujours volontairement ?

J’ai rencontré une psychiatre spécialisée dans le harcèlement moral, et quand vous dites est-ce volontaire, on revient au problème de la conscience. Ces gens le font volontairement, oui, mais ils n’en ont pas conscience. C’est un peu antinomique mais ça signifie que c’est une véritable maladie. Une vraie psychopathologie. Et si Emma en arrive à perdre tous ses moyens, c’est parce qu’il s’agit de micro-violences. Ca commence par une toute petite remarque, à laquelle s’en ajoutent d’autres, et au bout du compte c’est une sorte de lavage de cerveau. Au début cela semble anodin, et de plus en plus on est submergé par les remarques et les humiliations et on n’a plus la force de répondre.

Ces remarques atteignent le physique, les qualités morales, puis intellectuelles de la personne et cela fait une boucle ?

On est encerclé et on ne peut se rattacher à rien. Et souvent se sont les propres défauts du bourreau qui sont envoyés vers vous. C’est-à-dire que vous devenez le miroir de ses défauts. Il rayonne avec la lumière de l’étoile que vous êtes. Il s’approprie toutes vos qualités et ses défauts il vous les renvoie. En vous faisant croire que vous êtes moche, menteuse, grosse…

Voilà pour le personnage d’Emma et de l’autre côté il y a Maria. Victime de l’alcoolisme, du manque de moyens… Mais le point commun est le sentiment de supériorité des deux hommes ?

C’est un point commun, face à deux femmes fortes. Et Maria a envie de s’affranchir de son milieu, et de vivre pour elle et par amour pour cet homme qu’elle va rencontrer. Elle va même se persuader que c’est l’homme de sa vie, et supporte les coups, jusqu’à l’arrivée de ses enfants. Ensuite elle refuse qu’ils assistent à ce spectacle, mais c’est pour ses enfants; parce qu’elle s’était habituée à cette violence.

Pourquoi le 11 septembre en toile de fond ?

En fait quand il y a eu le tsunami en 2005, on a eu une série de portraits de victimes, et dans 99.99 % des cas c’était la réalité, avec des mères formidables et des père bienveillants. Mais je me suis dit, parmi ces gens qui sont morts il y avait aussi des salauds. Notamment des pédophiles, parce que je connaissais bien la Thaïlande. Donc dans ces catastrophes il y a forcément des victimes, qui ne le méritent pas, parce que je ne suis pas pour la peine de mort, mais qui méritent qu’on rétablisse la vérité, et qu’on n’en fasse pas systématiquement des martyres. Surtout pour ceux qui restent, parce que la vérité est importante pour se reconstruire derrière.

Et le 11 septembre pour moi, c’est vraiment le bien contre le mal. Et si dans ces tours, certaines personnes qui étaient des bourreaux, sont mortes, c’est le devoir des personnes qui restent de rétablir la vérité. Si non, après avoir subi tous ces coups et menti pendant des années, on se retrouve encore complice de cette personne, et encore sous l’emprise de ce bourreau. Il est important de dire, oui c’est le martyre d’un attentat, mais non ce n’était pas un saint.

Christine Pinchart

“L’autre” de Sylvie Le Bihan, au Seuil. Un premier roman d’une sensibilité unique; une échographie de l’âme et des coeurs, sous une plume sans tabous.

source : rtbf.be