Une requérante accuse la loi française de 2010 interdisant à toute personne de dissimuler son visage sur la voie publique de la discriminer parce qu’elle souhaite porter le niqab (voile intégral) quand elle le désire, par respect de sa culture et de sa religion. La requérante demande à la Cour Européenne des Droits de l’Homme de condamner la France notamment pour entrave au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, au droit de manifester librement ses convictions en privé ou en public, au droit de la vie privée et familiale.

L’entrave à la liberté de religion, à la liberté de pensée, et à la liberté de conscience, c’est le nœud du débat. Accepter cet argument reviendrait à valider le port du niqab comme une simple pratique religieuse. Pourtant, ce voile intégral n’a été qu’une tradition anté-islamique des tribus pachtounes d’Afghanistan. A l’avènement de l’islam, le Prophète a rappelé aux niqabées qui étaient devenues musulmanes la nécessité de rendre leur visage identifiable si elles souhaitaient effectuer le pèlerinage à la Mecque (un des piliers de l’islam).

Ce n’est que récemment, dans les années 1930, que les Wahhabites d’Arabie saoudite ont prétendu sacraliser cette pratique, estimant que les autres musulmans s’étaient trompés d’interprétation depuis 14 siècles. Le niqab, en tant que pratique religieuse, n’est donc ni une application à la lettre de l’islam, ni un retour aux origines, mais une création contemporaine.

Les juristes vont me répondre que peu importe: les états laïques n’ont pas à s’immiscer dans l’interprétation des religions. Mais tout de même, les états ont le devoir de repérer et de prévenir les dérives sectaires, qui justement détruisent toute liberté de pensée et de conscience chez les individus les plus fragiles! Je sais bien que la subtilité et la force des mouvements radicaux consistent à persuader musulmans et non-musulmans qu’ils ne font que revenir à la source de l’islam.

Leurs membres se présentent comme de simples « littéralistes », prônant la lecture « à la lettre » du texte. Leur autorité et leur légitimité reposent sur leur prétention à être « fidèles au vrai islam », ce qui leur permet de revendiquer le droit à la « liberté de conscience », garantie par les sociétés démocratiques, au même titre que les autres croyants.

N’a-t-on pas conscience que le niqab ne relève pas de l’islam mais d’une pratique sectaire dérivant de l’islam?

Revenons aux définitions de base: religion a pour origine les mots latins relegere (« accueillir ») et religare (« relier »). Le croyant se ressource dans sa relation à Dieu pour aller vers les autres et trouver du sens à sa vie. Lorsqu’un discours religieux conduit l’individu à la rupture – sociale, sociétale, familiale… – on peut parler d’effet sectaire.

Le mot « secte » vient du verbe latin secare (« couper »), qui signifie aussi bien « suivre » que « séparer ». On l’emploie pour caractériser « toute association totalitaire qui vise, par des manœuvres de déstabilisation psychologique, à obtenir de ses adeptes une allégeance inconditionnelle, une diminution de l’esprit critique, une rupture avec les références communément admises – éthiques, scientifiques, civiques, éducatives -, entraînant des dangers pour les libertés individuelles, la santé, l’éducation, les institutions démocratiques » (1).

Si l’on sortait du « choc des ignorances » (2), on pourrait déjà constater que ceux qui prônent le niqab se nomment eux-mêmes des « convertis », car même lorsqu’ils sont issus de familles arabo-musulmanes, ils estiment que leurs parents ne sont pas de  » vrais musulmans ». On comprendrait ensuite qu’ils se présentent comme des groupes purifiés, élus pour posséder la vérité, supérieurs au reste du monde, y compris aux autres musulmans. Leur discours n’invente pas une nouvelle culture mais cherche à couper les individus de leur culture, afin de privilégier ce qu’ils appellent le « pur religieux ».

Le sentiment que la société sécularisée est païenne (gouvernée par le mal) aboutit à la nécessité de la primauté du groupe. Autrement dit, pour éviter de tomber dans le déclin général, il faut développer un sentiment d’appartenance à une communauté plus pure, au-dessus du reste du monde.

Rester « pur » et ne pas se mélanger « aux autres » – c’est-à-dire à ceux qui ne sont pas strictement comme eux, constitue la force principale de leur discours. « L’exhibition du religieux » est mise en place pour se séparer et « se reconnaître ». La visibilité religieuse délimite un « espace de pureté » destiné à les protéger du reste de la société « païenne » vécue comme un tout négatif.

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N’a-t-on pas conscience que ce discours a pour objectif de détruire les contours identitaires de ses adeptes alors que l’islam présente la diversité humaine comme une volonté divine permettant de rivaliser de bonté les uns envers les autres? (3)

Progressivement, de manière à renforcer la pureté du groupe, tout est fait pour que les ressemblances entre les membres du groupe purifié augmentent jusqu’à ce que chaque jeune perde son contour identitaire initial. Ainsi, le niqab détruit les contours identitaires de la personne, de manière à ce que chacune se ressemble, ou plus exactement que chacune soit « exactement la même » que l’autre, jusqu’à provoquer l’amalgame. Le « je » devient le « nous », sans différenciation.

Pour arriver à annihiler toute singularité chez l’individu, le discours sectaire persuade le jeune qu’il éprouve les mêmes sentiments que « ceux du groupe », qu’il perçoit les mêmes émotions, jusqu’à ce que l’identité du groupe remplace sa propre identité.

Par contraste avec cette appartenance fusionnelle, il s’agit d’exacerber les différences avec tous ceux qui ne font pas partie de « la vérité », notamment en les décrivant comme complices de la société païenne, et d’accentuer les ressemblances à l’intérieur du groupe purifié, de façon à ce que les « nouveaux croyants » ne se distinguent plus les uns des autres.

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N’a-t-on pas conscience que ce discours a pour objectif de mettre ses adeptes en état d’hypnose alors que l’islam impose l’utilisation de la raison?

Effacer les contours identitaires permet de construire une pensée unique et d’éviter les avis contradictoires. La mise en veilleuse des facultés intellectuelles individuelles facilite la fusion. Tout individu incorporé à un tel groupe subit des modifications psychiques, un peu comme s’il était en état d’hypnose.

De manière générale, l’expression personnelle passe, à son insu, au travers du filtre de ce qui est dicible dans le groupe et recevable par les autres. L’expression personnelle n’existe plus en tant que telle, elle devient, elle aussi, affaire du groupe. Ainsi un mécanisme se met en place visant à abolir toute sphère intime de l’individu, qui n’existe alors plus par lui-même (4).

N’a-t-on pas conscience que ce discours a pour objectif de déshumaniser les femmes alors que l’islam en fait le pilier de la famille?

À des années-lumière de l’islam, les radicaux rêvent d’un univers sans femmes, hormis quelques minutes la nuit, parce que la survie de l’espèce les y oblige. Partager le même espace que les femmes les angoisse terriblement. Cela revient à reconnaître qu’il existe une certaine similitude entre hommes et femmes.

Pour eux, être viril consiste à se différencier radicalement des femmes. Effacer toute ressemblance et ne pas se mélanger avec les femmes ne suffit pas à garantir aux purificateurs sectaires leur identité masculine. Pour l’asseoir et illustrer la supériorité qui en découle, il s’agit d’humilier les femmes, en les réduisant à des tentatrices dont il faut à tout moment se protéger. Aucun discours religieux, même traditionnel, n’a jamais confisqué le don de vie aux femmes.

Au contraire, tous estimaient que Dieu avait choisi les femmes pour enfanter et qu’elles devaient s’y restreindre. La notion « d’ordre naturel » consistait à les assigner à ce rôle. Mais elles existaient en tant que mères, et ceci dans les trois religions monothéistes.

Ces purificateurs sectaires réalisent la prouesse d’ « ôter » le rôle de procréation aux femmes, en les réduisant à de simples enveloppes. Il s’agit de les déshumaniser. Elles ne sont plus leurs semblables mais des « ennemis de l’intérieur » qui les détournent de Dieu. Paraphrasant Hannah Arendt (5) , je dirais que ce niqab ne tend pas à soumettre les femmes à des règles despotiques mais à un système dans lequel les femmes sont superflues. Du pilier de la famille en islam, la femme devient un accessoire à effacer.

Quelle était la question déjà? Si interdire de porter le niqab entrave les droits de l’Homme? Il faut avoir une bien piètre opinion de l’islam pour confondre cette dérive sectaire et la religion monothéïste musulmane qui a contribué, comme le judaïsme et le christianisme, a fonder de grandes civilisations.

Refuser le port du niqab, c’est respecter l’islam.

(1) Rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les sectes de 1995 (2) Olivier Roy, La Sainte ignorance, 2008.

(3) « O hommes! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous vous avons répartis en peuple et en tribus, pour que vous fassiez connaissance entre vous (…) » (49/13) « (…) Et si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule et même communauté ; mais Il a voulu vous éprouver pour voir l’usage que chaque communauté serait de ce qu’Il a donné. Rivalisez donc d’efforts dans l’accomplissement de bonnes œuvres (…) » (5/48).

(4) Cette destruction de la personnalité morale est commune à tous les discours radicaux totalitaires.
Hannah Arendt développe dans Les origines du totalitarisme que c’est à partir de ce moment-là que toute culpabilité devient impossible dans l’esprit des radicalisés, qui ne savent plus distinguer le bien du mal et ne font qu’obéir aux ordres.

(5) « Le totalitarisme ne tend pas à soumettre les hommes à des règles despotiques mais à un système dans lequel les hommes sont superflus. » Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, coll. Quarto, 2002.

http://www.huffingtonpost.fr/dounia-bouzar/droits-de-lhomme-port-du-niqab-laicite_b_4348746.html