Avant la rentrée des classes, Le HuffPost s’interroge sur les liens entre enfants et smartphones. Mais à quel âge faudrait-il leur offrir ce premier téléphone portable connecté? La pédopsychiatrie et la neuroscience tentent de donner des éléments de réponse.
Mais à partir de quel âge doivent-ils l’avoir dans leur poche? Difficile à dire, et les parents sont loin d’être experts de la question. Et pour cause, les géniteurs d’aujourd’hui ont eu leur premier portable tard: dans un sondage exclusif de YouGov pour Le HuffPost, on apprend que 72% des adultes entre 35 et 44 ans en ont possédé un après leurs 18 ans.
Un chiffre qui tombe à 37% chez les 25-34 ans, mais reste bien en deçà de la réalité des plus jeunes, rappelle Serge Tisseron, pédopsychiatre spécialiste de la question des écrans. 83% des enfants de 12 à 17 ans possédaient un téléphone portable en 2017, selon l’Arcep. La fracture est d’ailleurs bien consommée, puisque dans notre sondage YouGov, 43% des parents estiment même qu’un premier smartphone s’achète avant les 15 ans.
À l’occasion de la rentrée des classes 2019, Le HuffPost publie une série d’articles et de blogs interrogeant le rapport entre les enfants, les parents et les smartphones. Le dossier complet résumant ces différents sujets sera publié le dimanche 1er septembre.
Mais n’est-ce pas un peu tôt pour avoir le monde au creux de sa poche? Quel impact cela induit-il sur le développement du cerveau, de ses capacités cognitives et sociales? En bref, qu’en pense la science?
“Le problème c’est que l’on relaye beaucoup d’opinions sur le sujet, alors qu’il n’y a aucune vraie étude sur l’âge auquel il faudrait donner un smartphone”, explique au HuffPost la chercheuse en neuroscience Marie-Hélène Grosbras, dont les travaux portent sur le développement du cerveau à l’adolescence.
Si la science n’a pas de consensus sur la question épineuse de l’âge du premier smartphone, pédopsychiatres et spécialistes de la neurologie ont tout de même des réponses à apporter.
Un consensus sur l’éducation… des parents
Pour Serge Tisseron, pédopsychiatre qui déconseille tout usage des écrans avant 3 ans à travers sa campagne 3-6-9-12, il faut avant tout se pencher sur le vrai souci: les parents et leur propre rapport aux smartphones, qu’ils risquent de transmettre à leurs enfants.
“L’attente des enfants est liée à l’omniprésence du téléphone des parents, constate-t-il pour LeHuffPost. Pour éviter de lui “acheter un téléphone pour récupérer le sien”, comme de nombreux parents s’en trouvent contraints, il faudra donc contrôler très tôt son propre usage. Et surtout, fixer des plages horaires sur les écrans dès l’âge de trois ans.
Selon lui, plus de la moitié des parents avoue utiliser leur téléphone durant leurs interactions avec leurs enfants. “Ceux-ci ne voient pas seulement leurs parents accaparés par leur téléphone dans leur propre vie, mais dans leur communication avec eux”, rappelle-t-il. Face à cette omniprésence, il conseille d’anticiper, et d’en parler avec l’enfant pour savoir si ses amis possèdent déjà un smartphone, et à quel âge il imagine en avoir un.
S’il fallait vraiment déterminer un âge, Serge Tisseron conseille d’éviter avant la classe de 5e, bien que ce soit un choix à prendre aussi en fonction des contraintes et histoires personnelles.
Au vu de la fracture générationnelle que l’arrivée des smartphones a créée, il devient en tout cas nécessaire pour les parents de s’éduquer en amont sur les bonnes pratiques, et d’être là à chaque étape de la vie numérique de son enfant. Et avant d’acheter un smartphone, s’assurer que son rejeton est prêt à gérer un tel outil de communication et de distraction.
Comme le rappelle l’UNICEF dans un rapport détaillé, l’usage problématique du smartphone est souvent lié à une souffrance psychique présente bien en amont.
D’où l’importance pour Grégoire Borst, chercheur au Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant, “de lui apprendre à faire le tri” parmi la masse d’informations en ligne, et surtout ne pas laisser les plus jeunes sans surveillance devant un écran, tout en limitant la durée.
Un smartphone oui, mais pour faire quoi?
Pour le spécialiste, ce n’est pas le smartphone qui est un souci, mais plutôt le contenu auquel il donne accès. “Par exemple, Google permet d’avoir toutes les données du monde à portée de clic. Du côté du développement du cerveau, on se pose beaucoup la question de savoir si le moment est opportun pour ingérer autant d’informations”, soulève-t-il.
S’il ne croit pas vraiment à la possibilité pratique de l’interdiction avant trois ans recommandée par Serge Tisseron, il insiste sur la nécessité d’accompagner chaque étape de la vie numérique de son enfant, tout en l’aidant à identifier les différents types de contenus.
Des observations qui rejoignent celles de Marie-Hélène Grosbras, pour qui l’habitude de parler uniquement de “temps d’écran” n’a pas vraiment de sens d’un point de vue scientifique. Au quotidien, il est bien sûr nécessaire de le contrôler, mais sans encadrement de ce qui est visionné, c’est loin d’être suffisant.
D’une même voix, Grégoire Brost et elle appellent surtout à différencier les usages. Tant du côté des parents, qui doivent s’assurer que l’usage du smartphone ne devient pas problématique, que du côté scientifique, pour que les futures études soient plus précises.
“Il est peu probable qu’une heure de recherches sur Google ait le même effet sur le cerveau qu’une heure de jeux vidéo sur smartphone”, estime le chercheur.
Serge Tisseron appelle lui aussi à contrôler les contenus utilisés sur smartphone, et considère qu’une pratique précoce et trop importante fait notamment courir le risque d’être exposé à des contenus problématiques.
L’adolescence, une période charnière à ne pas négliger
Si les précautions à prendre sont souvent concentrées sur les premières années de la vie de son bambin, nos experts du cerveau insistent aussi sur l’importance de l’adolescence dans le développement de son cerveau.
“C’est une période charnière”, estime Marie-Hélène Grosbras. “C’est le moment où se développe la substance blanche de son cerveau [qui gère les connexions entre les différents neurones] et où d’autres régions comme le lobe frontal (lieu du contrôle et du raisonnement) et le lobe temporal (lieu des fonctions cognitives et sociales) sont perfectionnés”, détaille la scientifique.
“C’est là que le cerveau social se développe”, poursuit Grégoire Brost. Une période de vulnérabilité extrême, où l’adolescent est particulièrement sujet aux addictions, plus qu’à l’âge adulte, et très réactif au système de récompenses sociales. Il faudra être attentif à son usage des jeux vidéos (seule addiction numérique reconnue par l’OMS) et des réseaux sociaux, qui savent très bien jouer sur ces mécanismes.
Exemple avec Snapchat et son système de flammes à entretenir tous les jours dans ses échanges, sorte de récompense virtuelle pour avoir passé suffisamment de temps sur l’application. Une option “invasive” selon la chercheuse Sophie Jehel, maîtresse de conférences à Paris 8 en sciences de l’information. Pour elle, ce dispositif a beau être bien maîtrisé par les adolescents, ces derniers manquent de recul et peinent à s’en détacher. “C’est là que la relation avec les parents est extrêmement importante. Il faut pouvoir en parler pour construire une distanciation”, avance-t-elle.
Un dernier aspect qui rejoint donc les recommandations données plus haut. Plus que celle de l’âge, la question sera de savoir si l’enfant ou l’adolescent a suffisamment de sérénité et d’encadrement dans sa vie quotidienne pour que le smartphone ne vienne pas appuyer sur des problèmes déjà ancrés.
source : https://www.huffingtonpost.fr/entry/il-ny-a-pas-encore-de-bon-age-selon-la-science-pour-son-premier-smartphone_fr_5d5a607ee4b0eb875f262751?utm_hp_ref=fr-homepage