On les appelle les dérapeuthes : ce sont les thérapeutes qui dérapent. Chaque année, en France, plusieurs milliers de patients seraient victimes de ces spécialistes autoproclamés de l’âme, parmi lesquels on trouve des psychanalystes agréé(e)s, des psychologues diplômés et même de vrais médecins. Cible de ces derniers ? Des personnes en souffrance psychique ou physique à qui on a fait croire, entres autres, que leur enfance n’était que souffrance, pour mieux les contrôler et abuser d’eux. Certains d’entre eux, « rescapés de l’enfer », racontent leur calvaire dans un passionnant documentaire diffusé le 19 avril sur France 5 et réalisé par Stéphanie Trastour.

{{Prescription de relations sexuelles multiples}}

Les témoignages sont glaçants, parfois terrifiants mais surtout instructifs. Il y a Bernard, consultant en management, qui raconte avoir perdu sa santé, sa fille et beaucoup d’argent, après être tombé entre les mains du psychanalyste Benoît Yang Ting. Ce dernier, disant s’inspirer de la psychanalyse freudienne et du cri primal de Janov, parvenait à induire de faux souvenirs –une technique de manipulation redoutable- chez ses patients. Pour Bernard, ce sera une tentative d’avortement de la part de sa mère, pour Sophie, ce sera un viol présumé de la part de son père sur elle et sa sœur.

Aux États-Unis, dans les années 1980 et 1990, ces faux souvenirs induits issus des thérapies en vogue de la mémoire retrouvée, ont défrayé la chronique judicaire pendant vingt ans, ruinant psychiquement au passage un nombre impressionnant de pères de famille accusés d’inceste par leurs enfants. La plupart seront innocentés et feront des procès aux thérapeutes de leurs enfants. En France, trois affaires similaires –Benoit Yang Ting, Jacques Masset et Claude Sabbah – étaient au cœur de l’actualité judiciaire en 2015. Le premier, psychanalyste, adepte, on l’a vu, du faux souvenir induit, facturait 150 000 francs pour accéder à sa liste d’attente. Le second, ex agent de propreté devenu psychanalyste, prescrivait, lui, à prix d’or des relations sexuelles multiples et violentes pour guérir de prétendues vieilles histoires d’inceste. Le troisième, ancien médecin, est le fondateur de la BTEV (biologie totale des êtres vivants), un pseudo procédé miracle qui promet aux personnes atteintes de maladies graves d’identifier le conflit psychologique qui a déclenché ce dernier.

{{La lutte contre les dérives sectaires}}

Tombé dans les mailles du filet, Claude, décèdera ainsi d’un cancer mal soigné. Le documentaire donne aussi la parole à ceux qui ont fait de la lutte contre les thérapies déviantes un combat. Elisabeth Roudinesco, grande figure de la psychanalyse en France, Serge Blisko, président de la Miviludes (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) et Elizabeth Loftus, psychologue américaine, spécialiste de la mémoire humaine, éclairent sur le processus de manipulation de la mémoire et sur le vide juridique entourant ces professions. En France, contrairement à celui de psychothérapeute, l’usage du titre de psychanalyste n’est toujours pas réglementé. « Ce n’est pas parce qu’un évènement est raconté de manière détaillé avec beaucoup d’assurance et d’émotion qu’il faut en déduire qu’il s’est réellement produit. Rien ne ressemble autant à un vrai souvenir qu’un faux souvenir », raconte Elizabeth Loftus. Édifiant.