Entre déception et tristesse, les Algériens ayant fui la décennie noire évoquent sans nostalgie pour la plupart, la non-envie de retour, compte tenu du changement du pays et surtout des mentalités…

Journaliste et réalisateur, auteur de différents ouvrages, Brahim Hadj Slimane a présenté samedi dernier au siège de l’agence de presse Interface Media son nouveau documentaire intitulé Exils intérieurs, exils extérieurs. Tourné entre l’Algérie (Alger, Oran) et la France (Paris, Marseille), ce film se présente, se veut dit-on «un éclairage sur un des drames qui a constitué la période de la guerre civile des années 1990 en Algérie: celui des assassinats ciblés des journalistes, intellectuels et artistes et les conséquences induites sur les survivants de cette tragédie».

Le réalisateur, dont le sujet a été plusieurs fois traité dans ses différentes oeuvres, aborde à nouveau cette thématique qui lui est chère en croisant des itinéraires d’hommes et femmes dont certains ont choisi de rester et d’autres plus nombreux ont pris le chemin de l’exil, après avoir été menacés ou vu un membre de leur famille, tomber sous les balles assassines. De partir et d’autres de rester. En partant de son vécu personnel, Brahim Hadj Slimane a rendu visite à des personnages parmi ses connaissances, parmi lesquels certains avaient décidé de rester dans leur pays, et d’autres, plus nombreux, ont pris le chemin de l’exil. C’est avec des dessins abstraits en noir et blanc que s’ouvre le film, qui sera ponctué le plus souvent de voix of, entre les propres confidences de l’auteur ou lecture de textes et poésie, dont ceux de Tahar Djaout notamment. Mais c’est un chant chaâbi évoquant l’exil qui ouvre le film. Meziane Ourd est ex-journaliste algérien ayant fui l’intégrisme, quand il a constaté avec effarement le changement radical des mentalités de beaucoup d’Algériens, avec la montée du fanatisme religieux. C’est non avec peine et «colère» qu’il confiera son état d’esprit alors qu’il se trouve en France, un pays qui l’a accueilli certes, mais qui ne lui a pas offert de travail, l’acculant juste à être intercepteur et indicateur auprès de la police. Le coeur plein, il dénoncera la corruption de son pays, mais aussi l’hypocrisie de certains Algériens qui ne se souviennent de leur pays uniquement quand l’Algérie gagne à un match de foot. Esprit ambivalent et vindicatif, il évoquera dans ce film sa décision de reniement de cette autre frange des Algériens qui a commencé, elle, à le renier car ne partageant pas les mêmes habitudes ou mode de vie. Le film suit, en fait, chronologiquement les plus importants moments cruciaux et dramatiques qui ont secoué l’Algérie. A commencer par octobre 1988. Pour Chawki Amari qui avait 20 ans à cette époque, ce temps renvoyait au romantisme révolutionnaire qui n’a plus cours aujourd’hui avec le printemps arabe. Il évoquera les acquis de ce soulèvement populaire de 1988. «Certains disent qu’on a permis l’arrivée du FIS au pouvoir. C’est la démocratie et l’ouverture au pluralisme qui ont amené ça. Si c’était à refaire, je referais la même chose sans regret…» et d’ajouter plus loin: «Les islamistes ont toujours été les récupérateurs des révolutions comme en Egypte..». Denis Martinez parlera de manipulations, tandis que le caricaturiste Fethi Bourayou évoquera la torture qui a marqué cette période charnière de l’Algérie qui a vu aussi se dérouler à l’école des beaux-arts d’Alger, un colloque contre la torture, organisé par Anouar Ben Malek, et ce, dans un contexte, dira Daho Djerbal, miné par le chômage et une explosion sociale sans précédent. «Octobre 1988 a amené l’ouverture démocratique, le multipartisme et on avait l’impression que beaucoup de choses positives se réalisaient si ce n’est l’avènement du FIS et son expansion…». Pour Meziane Ourd, ce vent de liberté n’a pu être possible que grâce «au printemps berbère d’abord, puis à Octobre 1988», qualifiant tous ceux qui sont tombés au champ d’honneur de «héros». Et de souligner avec dépit: «Cette révolution a été confisquée par des opportunistes, jusqu’à aujourd’hui…» Entrecoupé de pans explicatifs, le documentaire utilise quelques documents d’archives. Ces derniers sont floutés, et teintés de couleur rouge, a fortiori lorsque le film débouche sur le moment de l’arrivée de l’islamisme galopant.
Boujemâa Karèche raconte avec effarement comment il a été chassé, lui et plusieurs artistes de Bordj Bou Arréridj par une horde d’intégristes prêts à les agresser par tous sortes de moyens, accusant le directeur de la cinémathèque de l’époque d’avoir programmé un film pornographique, Les bonnes femmes de Claude Chabrol. Denis Martinez qui a vécu à Blida, raconte le durcissement des mentalités des gens de sa ville et comment pour un jeune de cette époque «voter pour l’islam voulait dire m’en sortir» et de faire remarquer: «Les islamistes étaient infiltrés dans les couches populaires, les intellectuels non…».

L’économiste Khaled Glouji, explique le processus de début de l’étouffement des Algériens, tandis que Daho Djerbal évoque le rapport de force instauré par le parti FIS qui avait gagné aux élections municipales et législatives. Fallait-il arrêter les islamistes et le processus électoral? Daho Jerbal dira que là n’est pas la question car, pour lui, a-t-il estimé, «le droit à choisir revient au peuple, Après s’il avait fallu résister, eh bien, je l’aurai fait!».
Les témoins évoqueront l’un après les autres les affres du terrorisme, comment ils dont dû vite quitter leur maison et s’enfuir en France, la rencontre avec des amis de fortune pour certains et la providence pour d’autres en découvrant pour la première fois ce que veut dire «je» en refaisant sa vie, seul à partir de zéro.

Denis Martinez confie: «J’étais parti pour un mois et je suis resté des années.» et ce caricaturiste parti sous le conseil de ses amis et poussé par sa famille: «Un voisin ado venait chaque jour à la maison me menacer, et me tenait responsable de mes dessins… Dans mon pays j’étais un harrag, un clandestin. Il a fallu partir…» et puis, c’est la refonte d’une nouvelle famille algérienne qui se constitue là-bas avec ses artistes et intellectuels, notamment à Ménilmontant en attendant des jours meilleurs…La nostalgie a peu de place ici. La rancoeur et l’amertume si. La sérénité parfois, mais le coeur gros certainement. Si le film parvient à nous émouvoir par la qualité des témoignages indéniables de certains, reste que le flux de son montage et ses plans rudimentaires, le tiraient en longueur, imputant à cette oeuvre bien fragile, un aspect de reportage, malgré la présence par instants de la musique kabyle de cette chanteuse issue de l’émigration qui servait de catalyseur pour détendre l’atmosphère ou au contraire, souligner le sentiment d’exil.

Un film qui mérite tout de même d’exister pour l’aspect archive de mémoire qu’il véhicule, sans être un film cinématographique à part entière. Un film qui mériterait plus d’être projeté et vu à la télé, tout en suscitant un débat autour.

source :lexpressiondz.com