Cela fait bientôt neuf ans. Neuf ans que Gloria Lopez, une mère de famille divorcée de 47 ans, s’est jetée sous un train en gare de Colombes, le 21 décembre 2006. Dans ses poches, les enquêteurs avaient retrouvé la profession de foi de Ron Hubbard, le fondateur de l’Eglise de Scientologie dont elle était membre depuis une dizaine d’année.

Neuf ans, et presque autant d’années de démarches pour ses deux enfants. Gwenn et Mathilde veulent faire condamner la Scientologie, qu’ils jugent en partie responsable de la mort de leur mère.

{{“La situation est aberrante”,}} résume Mathilde, aujourd’hui âgé de 29 ans. D’autant que selon elle et son frère, toutes les investigations n’ont pas été poussées suffisamment loin pour établir les causes réelles du suicide.

De fait, depuis 2007 et la première plainte contre X déposée par la famille de Gloria Lopez – escroquerie en bande organisée, abus de faiblesse et non-assistance à personne en danger -, l’enquête échoue à relier son suicide à son engagement dans l’Eglise de scientologie, classée en France parmi les sectes par plusieurs rapports parlementaires.

Malgré une seconde plainte en 2012, les réquisitions du parquet – attendues avant la fin de l’année – pourraient conduire la justice à classer l’affaire. En l’absence de mise en examen et les investigations ayant été stoppées, le juge devrait prononcer mécaniquement un non-lieu.

{{260.000 euros engloutis dans la secte}}

Dettes de Gloria Lopez, attitude de la secte juste après le suicide et pendant l’enquête… de nombreux éléments troublants semblent pourtant relier la mort de cette ancienne secrétaire à l’Eglise de scientologie.

Selon l’avocat des deux enfants de la défunte, Rodolphe Bosselut, l’endettement de Gloria Lopez est au cœur du dossier : Ses écrits personnels laissent apparaître un profond mal-être. Elle avait presque coupé les ponts avec tout son entourage et commençait à regretter ses choix, notamment financiers.”

En tout, Gloria Lopez va dépenser 260.000 euros en cours et livres de Scientologie en seulement une dizaine d’année. Une somme faramineuse, compte tenu de ses revenus relativement modestes de secrétaire en entreprise.

L’Eglise de Scientologie a pourtant déjà été condamnée pour ses méthodes de hard selling – ventes aggressives”, rappelle Me Bosselut.

Sur les conseils d’une “amie” scientologue, qui s’était alors muée en “conseillère financière”, Gloria Lopez avait revendu, en 2005, l’appartement dont elle avait hérité en Espagne pour financer l’achat d’un modeste deux pièces à Colombes (Hauts-de-Seine). Le tout pour pouvoir financer sa progression au sein de la secte, malgré les mises en garde de ses proches.

Au mois de juillet 2006, elle se rend même à Copenhague – siège de la “Sea Org”, une organisation avancée de la secte – pour y signer un contrat qui la lie à l’Eglise de Scientologie pour “le prochain milliard d’année”… Ce qui impliquerait un déménagement en direction de “Clearwater” en Floride – autre haut-lieu scientologue – et une rupture quasi-définitive avec sa famille et ses proches.

A son retour de Copenhague, Gloria Lopez tombe peu à peu dans la dépression. Son séjour au Danemark ne s’est pas passé comme prévu et elle commence à douter de son engagement dans la secte. Au mois d’octobre, deux mois seulement avant sa mort, ses amis scientologues lui conseillent de retourner à Copenhague pour “se soigner”, une idée qu’elle abandonne sur les conseils de ses proches.

C’est la première fois que j’ai eu vraiment peur pour elle, peur de ne plus jamais la revoir. Je suis allé voir mon père en lui disant : ‘je crois que là, on va vraiment la perdre'”, se rappelle son fils Gwenn, aujourd’hui âgé de 26 ans, contacté par “l’Obs”.

Trois femmes, connues, mais “introuvables”

Pour les deux enfants, la responsabilité de la Scientologie dans le suicide ne fait aucun doute. Les conclusions de l’instruction sont moins affirmatives.

“Le volet financier de l’enquête a vraiment été bien mené. Mais pour le reste, on a l’impression que la police ne fait pas le poids face à la Scientologie”, résume Gwenn. “Preuve”, selon lui, de ce combat inégal entre la secte et et les autorités françaises : l’incapacité des enquêteurs à mettre la main sur trois femmes, toutes scientologues de niveau élevé et suspectées d’avoir joué un rôle-clé dans le destin tragique de Gloria Lopez.

Le vrai problème, c’est le crédit qui a été accordé aux scientologues interrogés pendant l’enquête. C’était pourtant évident qu’aucun d’entre eux n’allait collaborer pour que puissent être entendus les trois membres de la Scientologie recherchés par les enquêteurs”, déplore l’avocat des enfants de Gloria Lopez.

Contrairement aux déclarations des scientologues face aux enquêteurs, l’une de ces trois femmes, au moins – la conseillère financière -, continueraient d’entretenir des liens plus qu’étroits avec la secte. En effet, la seule adresse qu’elle a laissé sur son Facebook correspond à un des ports d’attache du “Freewinds”, le bateau de croisière appartenant à la Scientologie sur lequel elle pourrait avoir trouvé refuge. Pour autant, aucun mandat d’amener n’a été émis par la justice à son encontre.

{{Bien que confiée à la Caimades – cellule spécialisée en matière de dérives sectaires dépendant de l’OCRVP-, les perquisitions menées pendant l’enquête n’ont pas été plus efficaces.}}

En 2009, au cours d’une perquisition dans les locaux parisiens de la Scientologie, les policiers de l’OCRVP, qui souhaitent obtenir le dossier de Gloria Lopez, sont conduits au mauvais endroit et obligés de patienter dans un local pendant près d’une demi-heure. Arrivés trop tard – “problème de clés” prétextera le personnel scientologue des lieux -, il ne reste presque rien concernant Gloria Lopez dans les ordinateurs, où tourne encore un “logiciel d’effacement de données”.

Parmi les quelques documents trouvés ce jour là au “Celebrity Center” – le siège parisien de la secte – les enquêteurs découvrent la mention “suppressive” accolée au nom de Gloria Lopez. Pour les scientologues, les “suppressifs” sont considérés comme les ennemis de la secte, les individus souhaitant “faire du mal” à l’Eglise et sont de fait, mis au ban de l’organisation.

Selon les enfants de Gloria Lopez, cette mention est la preuve que les relations avec la secte s’étaient détériorées à son retour du Danemark. Elle pourrait aussi constituer une raison supplémentaire de se suicider pour leur mère, étant donné son investissement moral et financier dans la secte pendant de nombreuses années.

Cela a du être une désillusion totale. C’est sa vie entière qui était remise en question”, explique sa fille Mathilde.

{{Menaces et “visite”}}

Inquiétante également, l’attitude de membres de la secte, quelques jours après le suicide de Gloria Lopez. “Après la mort de ma mère, j’avais rapidement suspecté un lien entre son suicide et la Scientologie. J’ai appelé le Celebrity Center pour en avoir le cœur net”, raconte son fils Gwenn.

On nous a immédiatement proposé une importante somme d’argent. Nous avons refusé bien sûr et cela nous a conforté dans l’idée de porter plainte.”

Selon “Libération”, la lecture de certaines pièces du dossier laisse apparaître la “visite” d’un membre de la secte au domicile de Gloria Lopez le 22 décembre 2006, soit le lendemain de sa mort. Suspecté par ses enfants d’être venu faire “le ménage” dans l’appartement de Colombes pour le compte de la secte, l’homme n’a jamais été interrogé par les policiers.

Idem pour l’auteur présumé des tentatives d’intimidation à l’encontre de proches de Gloria Lopez. Cet autre homme, scientologue revendiqué et dont l’identité est parfaitement connue des services de police, avait tenté de soutirer des informations aux élèves de l’ancien mari de Gloria Lopez, alors professeur d’histoire-géographie dans un lycée près d’Evreux. Le scientologue – acteur dans “Plus belle la vie” sur France 3 – avait même laissé sa carte aux lycéens.

{{“Le combat continuera jusqu’au bout”}}

Les “trous” dans l’enquête et le non-lieu qui se profile n’entament pas pour autant la détermination des enfants de Gloria Lopez.

Tant qu’il sera possible de faire quelque chose, on le fera. C’est de plus en plus frustrant, au fur et à mesure que les années défilent et qu’il ne se passe rien… Mais le combat continuera jusqu’au bout”, confirme sa fille Mathilde.

La décision du juge, pourrait n’intervenir qu’à la fin de l’année, mais déjà, les proches de Gloria Lopez et leur avocat ont annoncé vouloir faire appel en cas de non-lieu. Une expertise des écrits personnels de la défunte – à disposition de la justice – pour établir l’assujettissement de la victime et la manipulation mentale, pourrait notamment être demandée.

Lucas Burel pour l’OBS.fr