CLICANOO.COM | Publié le 18 mai 2009

{{ {Gérard Thélahire, le papa du petit Alexandre, enlevé deux fois par le gourou Juliano Verbard et ses adeptes, est de passage à la Réunion. Pour ses affaires personnelles, et raconter comment sa famille a vécu l’évasion et l’arrestation de leur bourreau, qui sera jugé aux assises en 2010.} }}

{{IR : Racontez-nous votre arrivé à la Réunion…}}

Gérard Télahire : En 2006, nous sommes arrivés dans l’île. Avec mon épouse Catherine, on avait travaillé 20 ans en métropole. Originaire de Hell-Bourg, j’avais envie de revenir ici, de retrouver mes racines. Alors on a retrouvé ce petit commerce, un bar-brasserie-PMU, le Petit Vincennes, au croisement de la rue Félix-Guyon et de la rue Juliette-Dodu, à Saint-Denis. Alexandre et Corentin, nos deux fils, étaient très contents, ils venaient chaque été à la Réunion. Dès notre arrivée, nous avons travaillé pour développer notre commerce. Pendant ce temps, nos deux enfants étaient logés dans le cirque de Salazie, dans ma famille. C’est là qu’ils ont croisé la route de Guillaume Maillot. Un bon gars, on n’a su que plus tard qu’il faisait partie de cette secte. Et dire qu’on m’a même reproché fut un temps de faire partie de cette secte. C’est n’importe quoi. Comme si j’avais du temps pour ça, avec ma famille et mon travail.

{{Pourquoi avoir quitté l’île ?}}

Après les deux enlèvements, nous avions peur des représailles. Notre adresse était censée rester secrète, et pourtant, la secte nous avait retrouvés lors du deuxième enlèvement. Nous n’étions plus en sécurité. La Réunion, ce n’est pas la métropole, tout le monde se connaît. Quand je pense que des journalistes ont réussi à nous retrouver à notre retour en métropole, alors n’importe quel membre de la secte pouvait en faire autant.

{{Comment s’est passé votre retour ?}}

Nous sommes repartis en octobre 2007. J’ai repris mon ancien travail en novembre, comme dragueur de plan d’eau. Après 24 ans de service dans la même entreprise, mon patron m’a repris sans problème. Lui, comme mes collègues savaient ce qui nous était arrivé. Mais ils ne m’en ont pas parlé. Ils savent que je ne suis pas un bavard. Je préférais d’ailleurs qu’ils ne m’en parlent pas. Je voulais oublier tout ça et passer à autre chose.

{{Avez-vous vu un psychologue pour tenter de passer à autre chose ?}}

Mon psy, c’est ma famille. Mes gamins, par contre, sont suivis, tout comme mon épouse. On a eu du mal à digérer. Catherine a aussi repris son travail en tant que secrétaire commerciale.

{{Reparlez-vous entre vous des enlèvements et de toutes ces aventures ?}}

À la maison, on n’en parle pas trop. Les enfants en causent, des fois. Quand Juliano Verbard s’est évadé, ils en ont reparlé.

{{Comment Alexandre a-t-il réagi quand ils ont appris la nouvelle de l’évasion de leur bourreau présumé ?}}

Il est sorti dans le jardin, et a éclaté en sanglots. Dans les jours qui ont suivi, toutes ses phobies sont réapparues. Il avait pourtant arrêté de faire des cauchemars. Il avait fait un bon travail avec son psy, et tout a été fichu en l’air. Il avait réussi à partir à l’école, prendre le bus, quitter la maison à pieds, sans crainte. Ce n’était pas gagné. Alexandre a été très soutenu par ses amis.

{{Alexandre est aujourd’hui un collégien de 15 ans, scolarisé en 3e. Quel genre d’adolescent est-il ?}}

C’est un bosseur, quand il y a des trucs à faire à la maison, ce n’est pas le dernier à donner un coup de main. Quand il y a du bois à faire, c’est lui qui le fait (rires). L’école, c’est un peu moins son truc. C’est un garçon très gentil, très serviable, il aime s’habiller, il joue au foot. Il commence même à avoir des petites copines ! Son petit frère Corentin a beaucoup souffert des événements. Aujourd’hui en classe de 6e, il est passé de premier à dernier de la classe.

{{Comment se passe l’attente durant les neuf jours de cavale de Juliano Verbard et de ses co-évadés ?}}

On attend d’abord qu’il soit repris. Je savais qu’il ne pouvait pas si vite revenir en métropole pour chercher Alexandre. Nous avons vite prévenu la gendarmerie, là où nous habitons. Une patrouille nous suivait en permanence, ça nous a rassurés. À l’école, les amis et les professeurs d’Alexandre savaient, mais ils ne lui ont pas posé trop de questions, ils l’ont laissé tranquille. Puis, nous avons reçu un coup de fil nous prévenant de l’arrestation des évadés. Alexandre n’a pas sauté de joie pour autant. Car il a été marqué par cette histoire.

{{Cette évasion et cette cavale ont-elles laissé des traces ?}}

Tu as toujours un petit doute. Il s’est évadé deux fois. Pourquoi pas trois ? Quand on me dit qu’il y a des membres de sa secte en métropole, ça ne me rassure pas. Mais avec cet événement, nous nous sommes rendus compte de la grande solidarité des réunionnais avec nous.

{{Pourquoi vouloir parler aujourd’hui, et pourquoi revenir temporairement à la Réunion ?}}

Pour ne pas se retrouver ruiné à la fin du mois. Aujourd’hui, nous pouvons, mon épouse et moi nous retrouver interdit bancaire et de gestion à la fin du mois, par la faute de quelques-uns. Cet hiver, en métropole, nous nous chauffions à la cheminée, il faisait 12° degrés dans les chambres, nous n’avions pas assez d’argent pour le chauffage… Au moment de notre départ, en octobre, nous avons laissé notre commerce en gérance à notre ancien employé et à son père, dans la précipitation. Mon épouse et mes amis m’ont poussé à revenir quelques jours dans l’île pour faire valoir mes droits. Les gérants nous doivent 6 mois de loyers impayés. En tout, il y en a pour 31 000 euros. À chaque fois que nous essayons de les joindre, nous tombons sur le répondeur de leur téléphone, ou bien ils nous disent qu’ils n’ont pas le temps. Ils nous mènent en bateau et se foutent de nous. Une procédure est en cours. Me Michel, huissier de justice à Saint-Denis va lancer cette semaine une mesure de sommation de payer. C’est urgent, car nous devons régler le propriétaire des murs du Petit Vincennes. Et pourtant, c’est un commerce qui est rentable… Nous ne nous laisserons pas faire.

I{{maginez-vous revenir vous installer ici ?}}

Pour les enfants, c’est impossible. Même si j’ai de la famille et des amis à qui je tiens

Propos recueillis par Julien Balboni

{{Alexandre : “Le voir les yeux dans les yeux”}}

{Gérard Télahire a téléphoné à sa famille durant l’entretien et a permis au JIR de converser avec le petit Alexandre. Catherine, la maman, raconte elle aussi cette attente. Quelques minutes au téléphone, le temps de donner quelques nouvelles qui font plaisir. Alexandre Télahire, deux fois victime d’enlèvement par le groupe de Juliano Verbard, vit aujourd’hui en métropole, dans un endroit tenu secret par ses proches. La voix fluette de l’enfant traumatisé a laissé la place au timbre plus assuré d’un adolescent en pleine mue. Il prend date et donne rendez-vous à Juliano Verbard, au premier semestre 2010. “Je me prépare au procès. Je n’ai pas forcément hâte d’y être. Mais j’ai quand même envie de le voir pour le regarder en face, les yeux dans les yeux. Ca me permettra de passer un cap”, explique-t-il. Ce désormais jeune homme qui veut devenir infographiste, “mais pas au JIR ni à la Réunion”, a douloureusement vécu l’évasion du gourou. “J’ai recommencé à faire des cauchemars. J’ai rêvé que je me faisais enlever une troisième fois”, poursuit-il. Puis, Catherine Télahire, la maman, s’empare du téléphone pour quelques mots. “On a hâte d’être au procès, pour en finir avec cette histoire. Affronter les accusés sera une épreuve. Être confronté à ceux qui ont voulu notre malheur, ça fait mal. Mais nous allons faire face. Ce sera une forme de thérapie”, affirme-t-elle.}