Un double meurtre, en février à Soweto, témoigne de la propagation du phénomène chez les adolescents, influencés par les clips de Lady Gaga et d’autres stars américaines de la chanson

Dans un stade de Soweto, des hommes et des femmes, qui portent la collerette des pasteurs, appellent à chasser le diable. Ils terminent par un hymne religieux, repris en chœur par quelques centaines de lycéens venus assister aux funérailles de Thandeka Moganetsi, 15 ans, et Chwayita Rathazwayo, 16 ans. Les deux amies ont été poignardées, le 18 février, par deux élèves de leur classe adeptes du satanisme.

Thiko et Tumelo ont été arrêtés dès le lendemain. Ils sont détenus dans un centre de jeunes à Krugersdorp, à l’ouest de Johannesburg. Dans la salle des visiteurs, des panneaux encouragent les pensionnaires à «se débarrasser de leur colère». La famille de Thiko, surnommé «Big Boy», lui a apporté une bible et des friandises. Les deux garçons relatent, sans émotion apparente, l’enchaînement de cette après-midi fatale. «A l’école, on était les chefs du satanisme, raconte Thiko. Thandeka et Chwayita voulaient être initiées pour devenir des stars comme Beyoncé.»

Après la classe, les quatre jeunes se sont retrouvés sur un terrain vague. «On a placé des bougies rouges et noires en triangle sur le sol et les filles se sont entaillé les bras, poursuit Thiko. Avec leur sang, elles devaient signer un pacte avec Satan. Mais Chwayita a eu peur et elle a refusé. Alors, on s’est fâchés. Après, on ne se souvient plus. Nous étions possédés par le diable. Quand on a repris nos esprits, il y avait du sang partout. On a été pris de panique. On a brûlé nos t-shirts et on est rentrés chez nous. Je me sentais comme un démon.» Les garçons ont oublié une bougie et des lames de rasoir sur place. Big Boy avait enterré la jupe de Chwayita derrière sa maison. La police a retrouvé une bible satanique sous son matelas.

Après les Etats-Unis, l’Afrique du Sud est le pays où le satanisme fait le plus de ravages. «Ils ont en commun un niveau élevé de violence, des Eglises chrétiennes fondamentalistes très puissantes, d’énormes inégalités sociales et une société qui consacre la réussite matérielle, explique Nicky Falkof, enseignante à l’Université Wits de Johannesburg. Le satanisme s’est d’abord propagé dans les années 1980 chez les Afrikaners, rendus anxieux par la fin de l’apartheid. Depuis quelques années, il se répand à nouveau. Il n’est plus l’apanage des Blancs. Dans les townships, le satanisme se marie avec les croyances occultes africaines. Mais il n’y a pas d’Eglise organisée. C’est une pratique d’adolescents, souvent une stratégie de résistance face à une situation malheureuse.» Les clips de Lady Gaga, Rihanna et Kesha ont popularisé les symboles associés à l’Illuminati (une prétendue organisation sécrète diabolique qui chercherait à contrôler le monde, selon les théories fumeuses d’évangéliques américains). Les gestes, bijoux et tatouages reprenant des signes cabalistiques, triangle, œil, couleurs noire et rouge associées au diable, font fureur parmi les ados sud-africains.

Thandeka, l’une des victimes, en portait un. Selon l’inspecteur de police Hennie de Jager, qui a enregistré 48 cas de satanisme en trois mois à Johannesburg et Pretoria, «on fait croire aux garçons et aux filles qu’ils deviendront riches et célèbres». Régulièrement, des cas sordides font la une des médias, comme la mort de Kirsty Theologo, 18 ans, brûlée vive en 2011 par six amis, au sud de Johannesburg. L’an dernier à Soweto, un jeune a tué quatre membres de sa famille.

Tumelo a découvert «Seth» (Satan) lors d’un concert de musique. «On m’a dit qu’il donnait des pouvoirs et j’ai fait des recherches sur Internet.» Les yeux en amende dans un visage souriant, on lui donnerait pourtant le bon Dieu sans confession. «Je voulais me venger de mon père, qui nous bat quand il revient de la mine. J’espérais que le diable le pousse à boire jusqu’à en mourir.» Le garçon montre une marque noire sur sa paume. Comme une scarification du Christ. «Chaque fois que je faisais du bien, elle me donnait des démangeaisons.» Tumelo a initié Big Boy. «On fumait des joints, on lisait la bible satanique et on buvait du sang, raconte Big Boy, en vous fixant de son regard tantôt tragique, tantôt effrayant. On a sacrifié des rats, une poule. L’esprit nous parlait d’une voix grave. Il nous a même ordonné de tuer nos parents mais on a refusé.» Depuis le décès de son père, emporté par le sida en 2008, Big Boy était dépressif. «Il était taiseux et il avait des accès de colère», raconte sa mère. Malade elle aussi, d’une maigreur effroyable, elle dit n’avoir rien deviné de la dérive de son fils.

«Rien qu’avec mon regard, je pouvais mettre le chaos dans ma classe ou provoquer un accident, poursuit le garçon. On voulait créer un royaume et devenir riches. Mais on a été trop loin. Le curé m’a dit de prier Dieu quand je me sens dépressif. Maintenant, je voudrais devenir un enfant de chœur pour pouvoir identifier les bons esprits.»

source : par Valérie Hirsch
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/46fa794e-adff-11e3-ae93-6dabe775afc9/Recrudescence_du_satanisme