« Non, Aleister Crowley ne prônait pas les sacrifices de bébés. Il a simplement plaisanté en disant que chaque fois qu’il se masturbait, il tuait 150 000 enfants… Non, il n’était pas sataniste… Et non Aleister Crowley n’est pas le grand-père de George W. Bush ! » L’éditeur belge Stéphane Hoebeeck n’a toujours pas digéré la campagne délirante de la presse anglaise sur le mage britannique dont la regrettée Peaches Geldof avait eu l’audace de s’enticher. Mais rien de bien nouveau dans cette chasse au sorcier : « C’est la tête de turc parfaite. C’était un dandy, quelqu’un qui adorait épater le bourgeois. Il a usé et abusé de la provocation au cours de sa vie. Les tabloïds anglais perpétuent cette tradition vieille de plus d’un siècle consistant à taper sur Aleister Crowley. »

Ce goût du scandale dans l’Angleterre victorienne corsetée est à la source d’innombrables malentendus, savamment cultivés par ceux qui ne l’ont jamais lu : « On le présente comme un apologiste de la drogue avec son livre titré en français ‘Journal d’un drogué. Voyage au pays de Cocaïne’ » corrige Or, il raconte en réalité comment il s’est débarrassé de son addiction. A l’instar de milliers d’autres personnes, il avait été soigné à la cocaïne, prescrit comme médicament à l’époque, et était devenu accro. »

De même, il n’est en aucun cas l’inspirateur de Ron Hubbard, le fondateur de l’église de scientologie. « C’est l’un de ses élèves qui les a mis en rapport dans les années 40. Mais Crowley était l’anti-gourou par excellence. Il prônait une absolue liberté de penser et certainement pas la soumission à un maître » souligne Stephan Hoebeeck. D’autant que, contrairement au sinistre inventeur de la prodigieuse machine à fric qu’est la scientologie, Crowley avait un rapport très distant avec l’argent : « Dans la première partie de sa vie, il a dépensé sans compter en voyages à travers le monde grâce à la petite fortune que lui avait laissée son père. Il le disait lui-même : ‘Mon rapport à l’argent consiste à signer des chèques’. » Malgré une existence de panier percé, Crowley n’est pas mort dans la misère noire comme on le prétend parfois. « Il avait revendu les droits de ses œuvres à l’OTO en échange d’une petite rente. »

La pire calomnie ressassée sur le compte de Crowley est l’accusation de sympathies nazies : « Rien n’est plus faux. Francophile, il a écrit pendant la guerre une chanson en hommage à la résistance française, « La Gauloise » » rappelle l’éditeur du mage. De plus, ajoute Philippe Pissier, on a maintenant la confirmation que c’est lui qui a inventé le « V » de la victoire, popularisé par la BBC et relayé par Churchill. Il cherchait un symbole fort pour contrer le salut nazi. »

A l’origine de cette calomnie, l’un des plus célèbres -et des moins sympathiques- disciples de Crowley, John Frederick Charles Fuller, stratège militaire anglais et fasciste convaincu. Ses idées novatrices sur le rôle décisif des chars blindés ont été reprises avec le succès que l’on sait par les nazis. Fuller a même assisté en 1935 aux premières grandes manœuvres des panzerdivisions.

ALEISTER CROWLEY SE VOYAIT COMME « L’HÉRITIER DE LA SAGESSE ANTIQUE »

Stephan Hoebeeck enfonce le clou : « Crowley abhorrait Hitler et était à mille lieues de toute forme de racisme. Quant à en faire un suppôt de Satan, là encore c’est grotesque : il ne croyait ni au principe du bien, ni au principe du mal. On ne peut pas adorer quelque chose auquel on ne croit pas ! Il n’était même pas anti-chrétien à proprement parler. C’était plutôt un laïc radical, de plus en plus radical à mesure qu’il s’en prenait plein la tronche. Des trois grands monothéismes, il considérait que l’Islam était la religion la plus avancée. Il était aussi fasciné par les grands mystiques du christianisme et citait souvent saint Augustin. »

Aleister Crowley a été très marqué par son père, riche brasseur d’un puritanisme ultra-rigide qui prospérait sur les vices de ses contemporains. Le jeune Aleister était écoeuré par cette hypocrisie. « Aujourd’hui, il serait sans doute dans une opposition radicale à la société marchande » suppute Stephan Hoebeeck. « Dans les années 40, la télévision n’en était qu’à ses balbutiements mais il pressentait déjà qu’elle allait devenir un outil d’abrutissement des masses très efficace. »

Au-delà de ses excentricités et de ses provocations, Aleister Crowley se voyait comme « l’héritier de la sagesse antique », grecque, chrétienne, alchimique, mais aussi et surtout égyptienne. Son œuvre porte la marque de ces influences incroyablement diverses, mélange d’une érudition traditionnelle forgée à la lecture des philosophes néo-platoniciens, des penseurs mystiques et d’ésotéristes fameux comme le Français Eliphas Levi et de sources que la raison littéraire réprouve telle cette entité, Aiwass, qui lui aurait dicté en 1904, en Egypte, son « Livre de la Lo