Quand Steve Jobs, le génial fondateur d’Apple, a appris qu’il était atteint d’une forme localisée de cancer du pancréas, en 2003, il a d’abord refusé la chirurgie qui s’imposait. Pendant neuf mois, il a suivi les conseils de «spiritualistes» et cru se soigner avec des plantes, des jus de carotte et l’acupuncture.

En 2004, lorsqu’il s’est enfin résolu à se faire opérer, la partie était jouée, le cancer étendu, et Jobs décédera finalement de son cancer en dépit de la chimiothérapie et d’une transplantation hépatique. Non sans avoir exprimé ses regrets, au cours des entretiens tenus avec son biographe, Walter Isaacson, d’avoir refusé le traitement initial qui lui était proposé. Une triste histoire qui montre que tout malade, aussi intelligent, riche et fortuné soit-il, devient une proie potentielle pour les charlatans dès lors qu’il est malade.

«Les médecines alternatives sont une menace de l’ombre, nous lançons un cri d’alerte»

Laure Telo, présidente du Centre contre les manipulations mentales

«Nous voyons des patients présentant des cancers avancés après avoir essayé initialement des médicaments alternatifs lorsque leurs cancers étaient dans un stade plus curable», expliquait cet été au Figaro le Pr Skyler Johnson, auteur avec des collègues de l’université de Yale (États-Unis) d’une étude sur la survie dans quatre cancers: colorectal, sein, poumon, et prostate. Quatre ans plus tôt c’est l’Académie française de médecine, dans un rapport sur le sujet, qui tapait du poing sur la table par la voix du Pr Daniel Bontoux: «Pour nous, il n’y a qu’une seule médecine, la médecine scientifique.»

Mais ce glissement pernicieux de la science à la croyance n’inquiète pas seulement les professionnels de santé, il préoccupe aussi les spécialistes des dérives sectaires ou autres pratiques aliénantes. Car il ne s’agit pas seulement de détourner des malades de la médecine fondée sur les preuves, mais aussi d’instrumentaliser la maladie à des fins mercantiles.

Exercice illégal de la médecine

«Les médecines alternatives sont une menace de l’ombre, nous lançons un cri d’alerte», expliquait ainsi le 12 octobre dernier, Laure Telo, présidente du Centre contre les manipulations mentales (CCMM) d’Île-de-France, lors d’un colloque consacré aux dérives des médecines alternatives. Et d’ajouter: «Le père d’une jeune femme atteinte de cancer a raconté comment le kinésithérapeute de sa fille lui avait dit d’arrêter son traitement et lui avait conseillé de voir un guérisseur qui organisait un voyage curatif aux Philippines. Elle y a été “opérée à mains nues”»! Elle est morte trois mois plus tard.

En France, chacun est libre de croire en ce qu’il veut et même de préférer des cristaux, la prière ou des fleurs de Bach à la chirurgie cancérologique pour se soigner. Résultat: «Il suffit de parcourir Internet pour voir le nombre de pseudo-praticiens qui exercent en dehors de tout cadre réglementé, se désole Laure Telo. Ils touchent les moins bien informés, les plus vulnérables, à qui ils ôtent tout discernement en promettant des traitements miraculeux.»

«Aujourd’hui, personne n’est capable de dire combien il y a de pseudo-thérapeutes en France»

Samir Khal­faoui, conseiller auprès de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires)

«Il ne se passe pas une semaine sans que l’ordre des médecins ne porte plainte pour exercice illégal de la médecine», confie au Figaro le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de l’ordre des médecins. Car si chacun est libre de croire ce qu’il veut, seul les médecins peuvent établir des diagnostics et des traitements. Ou plus exactement les docteurs en médecine inscrits à l’Ordre des médecins le peuvent. Ceux qui ne le sont pas ou ont été radiés, n’en ont pas le droit, sous peine de poursuites pour exercice illégal de la médecine.

«Toute dérive thérapeutique n’est pas forcément sectaire, précise Samir Khalfaoui, conseiller auprès de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), et si vous allez voir quelqu’un qui fait du reiki, ça n’est pas forcément un gourou. Malheureusement, ça peut dériver s’il essaie de vous faire adhérer à un nouveau mode de pensée, une croyance, ou vous suggère d’acheter une machine à 1000 euros pour vous débarrasser des mauvaises ondes.»

«Aujourd’hui, personne n’est capable de dire combien il y a de pseudo-thérapeutes en France, souligne Samir Khalfaoui, on n’a pas encore pris dans ce pays la mesure du danger que représentent ces pratiques de soins non conventionnelles. À ce terme employé par le ministère de la Santé, nous, on préfère parler de dérives thérapeutiques.» Il est vrai que la Miviludes n’ignore pas le problème: elle traite entre 2500 et 3000 signalements par an. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

source : http://sante.lefigaro.fr/article/alerte-aux-escrocs-de-la-medecine/ Par  Damien Mascret  Mis à jour le 20/10/2017 à 08:40  Publié le 19/10/2017 à 18:31