Le Point: On croyait notre espèce menacée par l’apocalypse, les désastres écologiques, notre activité industrielle. Selon vous, c’est une autre menace
qui pèse sur nous?


Gérald Bronner : Je ne nie pas ces menaces, mais je montre qu’il n’est pas de plus grand risque que de ne pas en prendre. S’il est vrai que, dans certains mondes possibles, l’humanité disparaît en raison de son action technologique inconséquente, il est plus vrai encore qu’elle disparaît de tous les mondes possibles sans solution technologique trouvée pour sa survie. Cette idéologie de la peur qu’on cherche à nous insuffler est comme un étouffoir. Or, bâillonner le présent, c’est désespérer le futur.

N’exagérez-vous pas en parlant
d’une idéologie?


Non. Il s’agit bien d’un système de représentation cohérent, qui cherche à imposer une nouvelle hiérarchie morale avec au sommet une nature quelque peu déifiée que certains nomment même Gaïa; un mal identifié: l’homme industriel moderne, et même une fin des temps terrifiante, celle qui est narrée, par exemple, à longueur de films catastrophes décrivant comment mère nature finira par se venger des méchants humains. Notre imaginaire est traversé par cette idéologie qui ne nous propose pas seulement d’aménager nos façons de vivre, mais bel et bien de changer de civilisation.

Les personnalités tenant un tel discours se comptent sur les doigts d’une main. Ne cédez-vous pas à votre tour à la théorie du complot ?

Elles sont minoritaires. Mais j’ai pu montrer comment des groupes marginaux parvenaient progressivement à imposer leurs vues sur le marché des idées. Les mouvements anti-vaccins, par exemple, sont groupusculaires, pourtant leurs croyances ont essaimé dangereusement et contribuent à réduire la couverture vaccinale. Ainsi, en France, alors que 8,5 % des Français étaient défavorables à la vaccination en 2000, ils sont à présent 38,2 % !

L’une des figures emblématiques du courant de pensée que vous dénoncez est Pierre Rabhi, un adorable paysan qui milite pour la décroissance. A qui allez-vous faire croire qu’il menace l’espèce humaine?

Rabhi est peut-être adorable, mais, lorsqu’il affirme que ses techniques agricoles pourraient nourrir la planète, il trompe nos concitoyens. Sa ferme ne survit que parce qu’elle peut compter sur le travail de 150 bénévoles ! Ils n’arrivent même pas à gérer les doryphores, qu’ils sont obligés de retirer à la main. Et que dire du fait qu’ils clouent sur les murs des intestins de cerf pour bénéficier des « influences cosmiques » ? Rabhi est donc apprécié parce qu’il énonce des banalités du genre « il y a une vie avant la mort » avec un sourire télégénique, mais si l’on prenait au sérieux ses propositions et celles de ceux qui partagent son idéologie, nous précipiterions la population mondiale vers de graves problèmes de sous-nutrition.

Et Matthieu Ricard ? C’est un crime de défendre
 les animaux?

Bien sûr, nous avons des devoirs envers les animaux, qui sont des êtres sensibles. Mais, dès lors que l’on cherche à les parer des attributs de l’humanité, toute atteinte à l’intégrité de ces créatures, dont on fait en quelque sorte nos enfants, suscite des réactions irrationnelles. Ce que je crois, c’est que cette représentation naïve des animaux – mais je ne vise pas Ricard – trahit parfois une haine des êtres humains. C’est un des aspects de ce que je nomme l’anthropophobie.

Vous voulez « réenchanter le risque ». Pourquoi cette notion de risque est-elle devenue
à ce point une source d’angoisse et de peur?

Nous avons pris conscience, étape nécessaire, que notre action pouvait avoir un impact négatif sur notre environnement. Mais cette crainte a été instrumentalisée et est devenue une telle obsession que nous n’envisageons plus les conséquences de notre inaction, qui, elles aussi, peuvent être cataclysmiques. Dompter cette crainte passe en effet par un réenchantement du risque.


Si l’on ne prend plus de risques, ce sera notre fin?

Oui. Cette idéologie, qui met en examen nos explorations technologiques pour attirer notre attention sur les conséquences négatives possibles qu’elles pourraient avoir sur nous ou les générations futures, menace sans cesse d’interrompre l’arborescence de la recherche. Or, qui peut dire laquelle des explorations d’aujourd’hui sera le lointain marchepied de la sauvegarde technologique de demain? Que ferons-nous si une météorite de grande envergure vient percuter la Terre, par exemple, ce qui est déjà arrivé ? Aujourd’hui, nous ne sommes pas prêts à répondre technologiquement à cette menace qui pourrait éradiquer toute vie sur notre planète.

Votre vision du progrès fleure bon le XIXe siècle…

Pas vraiment. Je suis progressiste et humaniste, je ne le nie pas (c’est assez drôle d’avoir à s’en excuser), mais cet espoir, doit être allégé des naïvetés des temps passés. Nous devons reconnaître que la technologie n’est pas sans risque et doit être encadrée. La technologie n’est qu’une excroissance de la capacité humaine à explorer le possible. La craindre sans discernement, c’est nier ce qui fait notre spécificité en tant qu’espèce. Nous sommes des animaux, oui, mais pas tout à fait comme les autres, car la connectivité de notre cerveau en fait un des objets les plus complexes de l’univers.

Les anthropophobes sont-ils les vrais réactionnaires de notre temps?

Les promoteurs de cette idéologie de la peur n’aiment pas qu’on leur rappelle qu’ils sont réactionnaires. Pourtant, il est difficile d’imaginer une pensée qui le soit plus que celle qui vise fondamentalement à interrompre le processus de division de la connaissance par les mesures qu’elle préconise. Ainsi, par exemple, derrière les idées d’autoproduction, de décentralisation et de vie en communauté que certains promeuvent, il y a celle d’un individu polyvalent qui cultiverait son jardin, etc. C’est une façon de remettre en question la division du travail. Or, tout progrès de la connaissance ne peut être fondé que sur cette division. C’est notre spécialisation, notamment dans les domaines intellectuels, qui permet de concevoir un cumul collectif des connaissances.

Nos politiques sont-ils déjà acquis à cette idéologie?

Les politiques, dans les sociétés où le marché de l’information est dérégulé, sont de plus en plus sensibles aux mouvements erratiques de l’opinion publique. Or, si cette idéologie se diffuse mal sous sa forme complète et cohérente, elle essaime ses idées un peu partout. Le monde médical, celui des hôpitaux, le monde industriel… croulent sous la masse des normes décidées par les politiques qui n’existent que pour traquer le risque. Ces normes ont bien entendu un coût économique, mais elles désespèrent aussi certains chercheurs et, c’est encore plus grave, entraînent des dégâts sanitaires.

Selon vous, nous faisons fausse route. Ce n’est pas le Terrien qu’il faut défendre, mais l’humain…

Il y a une forme de coquetterie morale à se détester soi-même, les Occidentaux sont passés champions dans cet exercice. Celui-ci n’est possible que si l’on considère que la Terre doit passer avant l’Homme, ce que les anthropophobes n’hésitent pas à faire. Cette proposition n’est pas insensée dans la mesure où nous vivons sur cette planète. Cependant, c’est oublier que, hélas, la vie ne sera un jour plus possible sur Terre en
raison de l’activité solaire. Cet horizon est très lointain, mais
il n’en demeure pas moins que, si les humains existent encore, ils devront se poser la question d’un exode et, dès lors ils ne pourront faire autrement que de se connaître humains avant d’être terriens.
PROPOS RECUEILLIS PAR SEBASTIEN LE FOL

Pierre Rabhi : « Ce qui nous aliène, c’est le superflu»

Ce livre est un vaste galimatias ! C’est le délire d’un type qui n’a rien compris, cela peut même être dangereux si des gens fragiles le lisent et ; le croient… La question qu’il faut se poser maintenant est absolument radicale et impossible à éluder : est-ce que nous avons besoin de la nature ? La réponse est oui. Est-ce que la nature a besoin de nous? La réponse est non.
Le problème des êtres humains, c’est qu’ils s’entre-égorgent pour des idées, des idéologies, des croyances. Si les extraterrestres nous observaient,
ils diraient: ils sont doués, mais tellement stupides, puisqu’ils portent atteinte à ce à quoi ils doivent la vie! Si je mets des produits chimiques dans
la terre, je les retrouve dans mon corps. Ces produits ont été présentés comme éléments de progrès
alors qu’ils ont nié les mécanismes de la vie ; c’est 
une régression terrible. Il n’est pas possible de survivre sur Terre sans la coopération avec la vie. Qu’on le veuille ou non, nous avons une nourriture qui véhicule des substances chimiques. Plutôt que de souhaiter « bon appétit » avant de se mettre à table, maintenant il faudrait dire «bonne chance ! ».
Mais nos craintes concernant la nourriture ou l’air qu’on respire sont secondaires, contrairement à ce que dit ce mon- sieur quand il parle des « promoteurs de l’heuristique de la peur ». La peur pour l’être humain est initiale ; elle commence avec la conscience de la mort. Cette angoisse de la finitude est la source de cette peur fondamentale. Pour contrer ça, on est en quête de sécurité dans le monde immatériel et dans le monde matériel. L’argent pourrait nous préserver de la mort ? Il faut que ce monsieur arrête de délirer. C’est incroyable que des gens en soient à une telle primarité, c’est presque infantile… Si aujourd’hui le monde est convulsé, c’est surtout par la peur de l’autre. Ce sont les croyances qui sont sources de divisions, je le sais pour avoir eu une double culture, musulmane et chrétienne.
Quant au bonheur, dans les pays dits riches, il y a l’abondance et la surabondance, mais il y a aussi une consommation extraordinaire d’anxiolytiques. En Afrique, dans les villages pauvres, les gens sont gais, ils n’arrêtent pas de chanter, pourtant ils sont réduits au minimum. Donc, la joie et le bonheur ne dépendent pas de la richesse ou de la non-richesse. Cela me rappelle l’histoire de Diogène dans son tonneau qui dit à Alexandre le Grand: «Ote-toi de mon soleil!»
Moi, je préconise la sobriété, car elle est libératrice. Le libéralisme, c’est le capitalisme concentrationnaire. Nous sommes dans un système féodal déguisé où une majorité œuvre, travaille, donne son énergie pour enrichir une minorité. C’est pourquoi nous sommes dans une forme d’aliénation. Et ce qui nous aliène, c’est le superflu. Alors que nos besoins réels, qui sont les fondements du bonheur, sont : manger à sa faim, être vêtu, avoir un toit sur sa tête et être soigné quand on est malade. Le bonheur n’a rien à voir avec la matière. Il y a des milliardaires profondément malheureux !
Humains ou Terriens? Les religions monothéistes ont fait de l’humain la cerise sur le gâteau alors qu’en fait nous sommes des gens violents, destructeurs, tueurs… La planète est un champ de bataille, d’égorgements. Et je me demande si la planète ne regrette pas de nous avoir enfantés.
PROPOS RECUEILLIS PAR EMILIE TREVERT

Source : Le Point, 18 septembre 2014 relayé par le CIPPAD

{{Note du CIPPAD : il convient de préciser que M. Pierre Rabhi se réclame du mouvement anthroposophique et de son maître-à-penser Rudolf Steiner, ainsi qu’il l’écrit lui même dans son ouvrage « Du Sahara aux Cévennes », publié en 1983 et réédité en 2002.}}

D’autre part, le Centre d’information et de conseil des nouvelles spiritualités (CICNS), association qui s’en prend très explicitement à la vigilance française en matière de dérives sectaires et, au premier chef à la Miviludes, porte un projet de création d’un Observatoire indépendant des minorités spirituelles en France.

M. Pierre Rabhi fait partie des principaux soutiens à ce projet.

Le texte du CICNS présentant cet observatoire remet en cause, non seulement le travail réalisé par la Miviludes, mais aussi celui d’associations de prévention du phénomène sectaire, reconnues d’utilité publique, comme l’UNADFI et le CCMM, et l’on peut y lire,
par exemple : « L’instrumentalisation des pouvoirs publics par ces associations a considérablement déséquilibré le débat en privilégiant une approche victimaire outrancière (uniquement basée sur le témoignage des « sortants de sectes » ou « apostats ») et en généralisant une politique de la rumeur et du « lieu commun ». Ces associations prennent, petit à petit et sans aucune véritable compétence, la place des sociologues des religions pour porter un regard sur les croyances, ainsi que celle des parlementaires pour établir des listes de personnes classées comme dangereuses. La façon dont ces associations se sont intégrées dans l’arsenal de lutte antisectes des pouvoirs publics français est un phénomène unique parmi les pays démocratiques ; ».

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