« Repenti », Grégoire Perra est devenu un farouche critique de cette mouvance en plein essor, à l’origine des écoles Steiner ou encore de la biodynamie.
C’est une galaxie ésotérique en plein essor. Une mouvance dans laquelle on retrouve les écoles Steiner-Waldorf (encore récemment pointées du doigt pour être des foyers de rougeole), la biodynamie et ses boyaux de cerf cosmique, les produits Weleda, Pierre Rabhi ou une ancienne ministre de la Culture. Fondée au début du XXe par l’Autrichien Rudolf Steiner, l’anthroposophie rayonne sans que les consommateurs ne soient très souvent au courant de ses fondements pseudo-scientifiques. Ancien élève puis professeur de philosophie en école Steiner-Waldorf, Grégoire Perra est devenu en France le plus farouche critique de ce courant occultiste à travers son blog, La vérité sur les écoles Steiner-Waldorf. Ce qui lui vaut deux plaintes récentes qu’il assimile à de l’acharnement judiciaire pour le faire taire. Grégoire Perra a d’ailleurs lancé un appel aux dons. Ce « repenti » raconte au Point son parcours et décrypte l’abracadabrantesque cosmologie développée par Rudolf Steiner, pionnier du New Age. Une remise en cause magico-naturaliste de la modernité aujourd’hui bien dans l’air du temps. Entretien.
Le Point : Quand êtes-vous entré dans une école Steiner-Waldorf ?
Grégoire Perra : Mes parents étaient en recherche d’une pédagogie parallèle. Ils n’étaient pas du tout intéressés par l’anthroposophie, la théorie ésotérique développée par Rudolf Steiner dans les années 1900-1920. Mes parents recherchaient juste une pédagogie qui respecte l’individu, la personnalité de l’enfant. Ils auraient pu opter pour la pédagogie Freinet ou Montessori, mais c’est tombé sur Steiner. J’y suis entré à neuf ans, et j’y ai effectué toute ma scolarité jusqu’au bac. Mon analyse de mon vécu au sein de cette pédagogie m’a conduit à penser qu’il s’agit en fait de structures où se produit un processus d’endoctrinement insidieux. Cependant, d’autres élèves contestent ce point de vue. Ils en ont le droit, tout comme j’estime avoir celui de témoigner du mien.
Rudolf Steiner explique clairement, dans certains textes, que ces écoles sont le moyen pour diffuser l’anthroposophie, afin qu’elle devienne un grand mouvement. Pour ça, au sein de ces établissements, il y a une transmission de la doctrine, mais faite selon moi de façon très pernicieuse, difficile à détecter, sous forme d’allusions. Par exemple, les anthroposophes croient à l’existence de l’Atlantide, un continent avec des êtres humains cartilagineux aux membres extensibles. Si on leur coupait le bras, ils pouvaient les faire repousser par la force de leur volonté. Pour l’anthroposophie, le système solaire se réincarne aussi (nous en sommes à quatre incarnations déjà). Le cosmos s’arrêterait à Saturne, les esprits des éléments feraient pousser les plantes, le Christ serait descendu du Soleil et maintenant vivrait dans la Terre. Mars serait une planète liquide, une grosse bulle d’eau. C’est toute une cosmologie composée d’affirmations que contredisent les données de la science moderne.
Ce sont aussi des pratiques et des modes de vie qui s’insèrent jusqu’aux détails de la vie quotidienne. Par exemple, les femmes ne doivent pas se couper les cheveux trop courts, car ça développerait leur agressivité. Le lundi, il est recommandé de manger du riz, car cette céréale serait en relation avec la Lune, et lundi est le jour consacré à cet astre, tandis que d’autres céréales sont préconisées pour chacun des autres jours de la semaine. Il est recommandé d’être végétarien, car manger de la viande empêcherait d’avoir des perceptions spirituelles. Le menu des cantines des écoles Steiner-Waldorf est d’ailleurs établi en fonction de ces principes. Les taches de rousseur seraient le signe que vous avez été un idiot dans votre vie antérieure. Les athées auraient tous des organes malades, car cette opinion serait contre nature. Tricoter donnerait de bonnes dents. L’anthroposophie telle que présentée par Steiner est aussi une doctrine raciste : les Noirs seraient soumis à leurs pulsions instinctives, car ils penseraient avec leur cerveau arrière, les Asiatiques (les « Jaunes ») penseraient avec leur cerveau central, ce qui les soumettait à leurs émotions. Seuls les Blancs raisonneraient correctement, car ils pensent avec leur cerveau frontal.
« Le but de cette pédagogie n’est pas d’enseigner, mais de sauver l’âme des enfants »
Mais cette cosmologie singulière se retrouve-t-elle dans l’enseignement des écoles Steiner-Waldorf ?
Ils procèdent de façon subtile. Évidemment, si ces choses étaient dites telles quelles, elles seraient vite repérées, ne serait-ce que par les inspecteurs de l’Éducation nationale. Ils inculquent donc aux élèves les prémices de leur doctrine, ne parlant pas des Atlantes qui se refont pousser les membres à volonté, mais en disant simplement : « Vous savez les enfants, un philosophe nommé Platon a évoqué l’Atlantide. » Cela va par petites touches, et s’étend jusque dans les cours d’art. Pour les anthroposophes, ce n’est pas l’homme qui a un ancêtre commun avec les singes, mais les animaux qui descendent de l’homme en se séparant de lui. Les animaux sont des dégénérescences des parties du corps humain qui ont pris leur autonomie. Les escargots sont ainsi des oreilles qui se baladent toutes seules. Les parties génitales ont débouché sur les mollusques, les éléphants sont des nez géants sur pattes, les kangourous des cuisses hypertrophiées, les tortues des voûtes crâniennes autonomes, etc. Aux élèves, ils vont ainsi faire sculpter un être humain vertical. Puis ils vont leur demander de le courber et le faire devenir un singe, signalant ainsi que les singes sont des êtres humains qui ont dégénéré. Pour les anthroposophes, la planète Terre est un crâne humain qui flotte dans l’espace, et les continents sont comme des plaques crâniennes qui se soudent et se dessoudent. Dans les cours sur la tectonique des plaques, un enseignant va glisser : « Vous vous souvenez ce que nous avions vu sur le crâne humain avec les os qui se soudent chez l’enfant ? Cela ne vous rappelle pas quelque chose ? » Ces parallèles sont faits sans trop en dire, pour infuser les éléments d’une pseudo-science. J’ai raconté tout cela en 2011, dans un article intitulé « L’endoctrinement des élèves à l’Anthroposophie dans les écoles Steiner-Waldorf ». Cela m’a valu un premier procès en diffamation, que j’ai gagné en mai 2013, car la 17e chambre correctionnelle de Paris a reconnu ma bonne foi et que mon témoignage était « le fruit d’une réflexion philosophique sur l’anthroposophie et ses modes de diffusion ». C’est à partir de cet article que j’ai compris que c’était un système organisé. Je tiens cependant à dire que tout ceci n’est pas fait consciemment ni dans un but malveillant. Les pédagogues des écoles Steiner-Waldorf sont souvent des gens profondément dévoués à leurs tâches et à leurs élèves. Mais ils reproduisent des pratiques et suivent des conseils qui leur ont été divulgués par Rudolf Steiner, lesquels ont pour finalité la transmission et la perpétuation de la doctrine anthroposophique. J’ai été un professeur Steiner-Waldorf, et j’ai aussi pratiqué cet endoctrinement sans en avoir conscience. Le but de cette pédagogie n’est pas d’enseigner, mais de sauver l’âme des enfants, qui doivent rencontrer le Christ éthérique et ne pas finir dans la race des méchants, car d’ici quelques millénaires s’esquissera une séparation de l’humanité en deux races, les bons et les méchants. On fait ça en toute bonne foi quand on est un professeur Steiner-Waldorf, on ne cherche pas à faire du mal ni à endoctriner. Car pour eux il n’y a pas de « doctrine anthroposophique ». Il y a seulement les « vérités » qui sont sorties de la bouche de Steiner et que tout le monde devrait connaître, pour son salut.
Vous parlez d’une « secte douce » sur votre blog…
Ce n’est pas un embrigadement dur, mais l’atteinte à la raison est, à mon avis, grave. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il s’agit d’un endoctrinement élastique. Vous avez des gens qui sont totalement dans la doctrine anthroposophique et qui changent leur comportement, jusqu’à leur manière de s’habiller, de faire l’amour et de ne plus se fréquenter qu’entre eux. Mais vous avez aussi beaucoup de personnes qui sont simplement touchées par ces idées, sans rentrer à fond au cœur de la sphère. L’anthroposophie rayonne de manière très large : tous les gens qui consomment de la biodynamie ou qui ont leur compte en banque à la NEF [une banque coopérative, NDLR] ne sont pas endoctrinés et, pour eux, ce n’est bien sûr pas contraignant.
« Pour Rudolf Steiner, la maladie était le résultat d’un processus karmique. L’empêcher en utilisant des vaccins était susceptible de contrarier notre destinée »
Comment vous êtes-vous personnellement affranchi de ces croyances ?
J’ai été professeur de philosophie au sein des écoles Steiner-Waldorf jusqu’à ma 37e année. Mais déjà à l’intérieur, j’avais entamé un processus de réflexion et de critiques. J’avais des doutes, et, à un moment, j’ai choisi de les écouter. Mon premier doute, c’est que l’anthroposophie est une méthode censée permettre à ses adeptes de devenir des clairvoyants capables de percevoir le monde invisible. Moi, depuis l’âge de mes neuf ans, je n’avais jamais rencontré un seul anthroposophe ayant ces dons. Une autre question qui me taraudait concernait les comportements des adeptes qui, assez systématiquement, avaient un rapport compliqué à la loi. Dans les écoles, j’ai été témoin de tricheries avec les inspections académiques. On masquait aussi parfois des faits qui, s’ils s’étaient ébruités dans la société civile, auraient pu porter préjudice à l’école et la faire fermer. Quand j’ai commencé à enseigner en parallèle dans l’Éducation nationale, j’ai pu faire des comparaisons et j’ai pris conscience que ce n’était pas normal. J’ai aussi trouvé des textes un peu secrets de Steiner où il donne des conseils très clairs sur le mensonge. Je cite : « Vous devez parler aux gens et intérieurement les duper. » Rudolf Steiner était un homme avec un charisme énorme sur les gens qui l’entouraient. Les anthroposophes allaient jusqu’à l’imiter lorsqu’il boitait. C’est donc lui qui a transmis ces comportements et ces valeurs aux dirigeants de l’anthroposophie. J’ai été un ponte du mouvement, je rédigeais des articles dans les revues anthroposophiques dans lesquelles j’exprimais de plus en plus mes critiques. Finalement, j’ai démissionné en 2009. J’ai créé mon blog La vérité sur les écoles Steiner-Waldorf en 2013. Il est de plus en plus fréquenté, avec 200 000 visites par an, car il y a un vrai défaut d’information sur le sujet.
Récemment, les écoles Steiner ont été une nouvelle fois pointées du doigt pour être, comme d’autres écoles hors contrat, des foyers de rougeole…
Steiner a dit lui-même textuellement qu’un jour on inventera un vaccin pour annihiler le spirituel dans l’être humain. L’autre raison de leur positionnement contre les vaccins est qu’ils jugent les maladies infantiles bonnes, car favorisant notre karma et notre prochaine réincarnation. Aux yeux des anthroposophes, la rougeole permet aux enfants de se libérer de leur hérédité pour que leur « moi cosmique » s’incarne mieux dans leur corps. Un article suisse a raconté il y a quelques jours comment, par le passé, des écoles Steiner ont organisé des « fêtes » lorsqu’un enfant était malade, pour que les autres élèves soient eux aussi infectés. Un responsable a assuré que cela ne se faisait plus à sa connaissance, mais il est permis d’en douter lorsque l’on sait que les pratiques sont généralement immuables dans ce mouvement. Officiellement d’ailleurs, les anthroposophes disent qu’ils ne sont pas contre les vaccins. Mais pour Rudolf Steiner, la maladie était le résultat d’un processus karmique. L’empêcher en utilisant des vaccins était susceptible de contrarier notre destinée.
« La biodynamie, ce sont des produits qui ont été élaborés avec des pratiques magico-religieuses »
De plus en plus de personnes consomment de la biodynamie, mais peu en connaissent les origines. Quels en sont les fondements ?
Examinons déjà le mot. « Bio » c’est la vie. « Dynamie » vient de « dynamis », ce qui dans la cosmologie de Steiner désigne une race de dieux du cosmos. Il y a les anges, les archanges, les archées. Au-dessus d’eux, il y a les « exusiaï », les « kyriotétès » et les « dynamis ». Les dynamis sont la race des dieux qui s’occupent des forces formatrices de l’univers. La « biodynamie » se réfère donc – mais on ne le sait que quand on est dans la doctrine – à la capacité d’entrer en communion avec ces êtres sublimes, pour mettre des forces vitales dans les pratiques de l’agriculture, en reliant la Terre aux dimensions cosmiques.
Concrètement, cela se passe comment ?
Les rituels sont nombreux, comme l’utilisation de vessies de cerf. Le blogueur Jean-Pierre Cambier, un autre repenti de l’anthroposophie, les décrit avec précision dans ses articles. Pour Steiner, le cosmos a la forme d’une vessie de cerf. Quand on place les préparations biodynamiques dans ces organes, on les met ainsi en relation avec l’ensemble des forces cosmiques. Il y a aussi les cornes de vache, qui sont des sortes d’antennes pour capter les forces cosmiques, et qu’on place dans les sols avec les préparations.
On peut se dire que ce n’est que du folklore inoffensif…
Est-ce que la biodynamie apporte quelque chose de plus au produit bio ? Toutes les études sérieuses montrent qu’il n’y a aucun apport. La biodynamie, c’est du bio, avec des gens qui passent beaucoup de temps à effectuer des travaux manuels. Le désherbage se fait par exemple à la main. Mais il y a selon moi une tromperie sur le produit. C’est comme si vous vendiez des poulets abattus selon un rituel vaudou ou de l’eau bénite sans le mentionner. La biodynamie, ce sont des produits qui ont été élaborés avec des pratiques magico-religieuses. Il faut le préciser. Très peu de gens le savent parce que l’information est peu disponible. Qui le dit à part les milieux rationalistes ? Michel Onfray a consacré un chapitre à la biodynamie dans « Cosmos », expliquant ses fondements ésotériques. La question n’est pas d’y croire ou pas, mais que les consommateurs soient au courant.
Quels sont les liens entre Pierre Rabhi, promoteur de la biodynamie et l’anthroposophie ?
Rabhi est très proche de l’anthroposophie, mais sans le dire clairement, depuis les années 1980 au moins. À l’école Steiner, on m’a fait lire très tôt son premier livre Du Sahara aux Cévennes, dans lequel Rabhi parle de sa pratique de la biodynamie. L’anthroposophie a toujours fonctionné avec un certain nombre de relais dans la société civile. Il y avait Jean-Marie Pelt et Albert Jacquard. Il y a Nancy Huston, éditée par Actes Sud, la maison d’édition de Françoise Nyssen. Je repère dans ses livres des éléments de la doctrine de Steiner, mais avec un autre vocabulaire. Edgar Morin a fait un colloque avec Françoise Nyssen et des dirigeants internationaux de l’anthroposophie, et il est un conseiller de la Fédération des écoles Steiner-Waldorf. Pour en revenir à Rabhi, il a très bien lu les écrits politiques de Steiner. Dans le projet de société de Rabhi, il y a la « tripartition sociale », mais sous un autre nom. Après la Première Guerre mondiale, Steiner a voulu imposer cette tripartition en Allemagne. C’était un projet politique assez effrayant, dans le sens où les syndicats sont par exemple considérés comme une maladie sociale. On peut également se poser des questions sur ce que deviendraient les libertés individuelles avec un tel projet. Pour résumer, Steiner se réfère à la devise de la Révolution française. La liberté, c’est la liberté dans le domaine culturel et éducatif, où on peut faire ce que veut, sans que l’État n’intervienne. L’égalité, c’est pour les droits. Et la fraternité, c’est pour le domaine économique, ce qui veut dire qu’il n’y a pas d’intervention de l’État dans ce domaine. Les rapports entre producteurs et consommateurs doivent s’autoréguler. L’universitaire Peter Staudenmaier a étudié les racines historiques et idéologiques de cette doctrine. Sa thèse « Between Occultism and Nazism » montre les liens profonds entre l’anthroposophie et le nazisme sur la politique et l’écologie. Contrairement à une fable répandue par les anthroposophes, ces derniers n’ont pas été victimes du nazisme, mais se sont révélés être très proches de cette idéologie. Pour les anthroposophes de l’époque, il fallait aussi que la race juive disparaisse, car celle-ci avait refusé le Christ. Cependant, cette disparition ne devait pas résulter d’une extermination, mais d’une extinction : pour Steiner, les Juifs devaient disparaître en tant que peuple et culture pour s’assimiler à la population mondiale.
« Le mouvement est en pleine expansion, c’est phénoménal »
Françoise Nyssen, ancienne ministre de la Culture, a créé à Arles une école, le Domaine du possible, sous inspiration Steiner, avant de prendre ses distances à la suite de la parution d’une enquête du Monde diplomatique l’été dernier…
L’ancien directeur de l’école, Henri Dahan, est un ponte du milieu anthroposophique, ancien secrétaire général de la Fédération des écoles Steiner-Waldorf. Et son épouse, Praxède, est membre du Comité directeur de la Société anthroposophique en France. Pour le Domaine du possible, ils avaient recruté de nombreux profs anthroposophes. Je le sais, car je les connais. Françoise Nyssen a connu un drame personnel avec la perte de son fils. Il faut savoir que certains anthroposophes se livrent à des pratiques de spiritisme anthroposophique consistant a fait parler les morts à l’aide de l’eurythmie (l’art gestuel sacré des anthroposophes). Au sein du Domaine du possible, une cérémonie anthroposophique nommée Spirale de l’Avent a été organisée avec les enfants, sans l’accord des parents. Je me fiche des croyances. Les gens ont le droit de croire au Christ cosmique ou au Bouddha réincarné sur Mars. Pourquoi pas ? Ce qui est grave, et que je dénonce, c’est qu’on diffuse une doctrine, qu’on fasse participer des élèves à ce genre de cérémonies, sans le dire. Et cette spirale de l’Avent n’est que l’une des cérémonies durant l’année.
Internet permet la diffusion des informations, comme on a pu le constater avec la scientologie qui a perdu énormément d’adeptes depuis les années 1990. Y a-t-il un effet sur la galaxie anthroposophique ?
Effectivement, Internet a permis de dénoncer les dérives de l’anthroposophie. Il y avait plein des problèmes à travers le monde, mais personne ne faisait vraiment de liens avant : des foyers épidémiques, mais aussi des affaires d’abus sexuels ou d’agressions où les professeurs anthroposophes estimaient qu’ils ne devaient pas intervenir, car cela leur aurait fait courir le risque d’interférer avec le karma des élèves. Dan Dugan, aux États-Unis, a été le premier à faire ce travail critique sur Internet. Aujourd’hui, une vingtaine de sites ont vu le jour. Mais l’anthroposophie a aussi une stratégie de double langage extrêmement bien rodé. Cela va jusqu’à une modification du vocabulaire. Dans les écoles Steiner, on vous fait ainsi répéter des mantras de Rudolf Steiner. Je les connais encore par cœur. « Je regarde le monde, où brille le soleil, scintillent les étoiles, reposent les pierres… » Cela commence comme une poésie, mais c’est en fait une véritable prière, un condensé de la doctrine anthroposophique. Sauf que Steiner avait précisé à ses premiers pédagogues : « Ne dites jamais prières, dites paroles d’ouverture de l’école ». Les anthroposophes vous font dire ces mantras à tous les moments de la journée. Il y a une prière le matin, au repas, en début d’après-midi, le lundi, à la fin du trimestre… Vous passez votre temps à écouter des mantras de Steiner, sans qu’on dise jamais qui en est l’auteur.
Votre blog est ravageur pour l’anthroposophie…
J’ai un devoir de témoignage. Tous les mois, j’ai une victime de Steiner qui me contacte via mon blog. Ils ont été dans un truc tellement aberrant, que ça leur prend un temps fou pour comprendre ce qui leur est arrivé. Ils ont vécu un truc tellement spécial que la relation avec « le monde extérieur » est difficile à reconstruire ensuite. J’ai pu me désendoctriner, car je connais bien la doctrine anthroposophique et que j’avais fait de la philosophie, ce qui m’a permis de prendre du recul. Encore dernièrement, une maman m’a dit : « On ne se connaît pas et sur votre blog vous décrivez exactement ce qui m’est arrivé. » Parce que ça se passe comme ça dans toutes les écoles Steiner ! Mais je précise que je n’attaque pas les personnes ni même les institutions. Je remets en question une doctrine, mise en place par Rudolf Steiner, et qui produit des effets délétères. D’autant plus que le mouvement est en pleine expansion, c’est phénoménal. Ils ont réussi à nommer une ministre en France, ce qui aurait été impensable il y a vingt ans. L’ancienne présidente de l’Unafdi, la principale association de la lutte anti-secte, Janine Tavernier, avait elle-même ses petits enfants scolarisés dans les écoles Steiner ! Quand, en 1999, le rapport de la Commission parlementaire sur les sectes a cité l’anthroposophie, elle s’en est offusquée. Et Jack Lang, alors ministre de l’Éducation, avait sa nièce professeure dans une école Steiner. Tout s’est donc arrêté. Depuis, les produits Weleda sont dans toutes les pharmacies avec leurs « produits anthroposophiques ». On parle tous les jours de vins biodynamiques. La NEF est vue comme une banque éthique. L’anthroposophie propose un véritable projet de contre-société avec son éducation, sa banque, son programme économique, ses pratiques sexuelles. C’est une civilisation alternative complète.
Vous avez dit pratiques sexuelles ?
Dans son livre La Sexualité et l’avenir de l’humanité, Athys Floride développe un Kamasutra anthroposophe. Pour résumer, il est impératif d’avoir un entretien avant et après l’acte avec son partenaire. Pas un simple échange, mais un entretien ! Si on veut des enfants, il faut pendant l’acte essayer de contrer l’influence de Lucifer et Ahriman, les deux dieux du Mal. Pendant que vous faites l’amour, il est recommandé d’avoir dans l’esprit de belles images, par exemple la Sainte Vierge, ou Michael terrassant le dragon. Jésus a été conçu de cette façon, parce que Marie et Joseph étaient tous les deux endormis artificiellement dans un temple, ce qui veut dire que Lucifer et Ahriman n’ont pas pu s’approcher lors de la conception. Tout ça, c’est dans les textes… Le dogme numéro un de l’anthroposophie est qu’il ne s’agit pas pas d’une religion, mais d’une science spirituelle. Quelqu’un qui est au sein d’une religion sait qu’il a un point de vue particulier sur le monde, qui n’est pas partagé par tous. Les anthroposophes, eux, ne se voient pas ainsi. C’est pour cela qu’ils prennent aussi mal les discours critiques. Mais les approches critiques se développent partout dans le monde. J’étais le seul en France, on est maintenant trois ou quatre sur Internet. Ils ne vont pas pouvoir cacher la vérité éternellement.
Propos recueillis par Thomas Mahler