Samedi se tient la Journée mondiale pour la fin du spécisme alors que ces derniers mois, en réaction à certaines opérations militantes virulentes, professionnels et autorités durcissent leur position.

Abattoirs, élevages, boucheries, cirques ou zones de chasse sont devenus autant de terrains de tensions et d’accrochages qui se multiplient entre «pro» et «anti» spécistes. Ce samedi 24 août, c’est la Journée mondiale pour la fin du spécisme. En Amérique du sud, au Canada, aux Etats-Unis, en Inde, en Allemagne, mais aussi en France, à Paris, Marseille, Lille, Albi, Besançon ou Saint-Nazaire, des rassemblements et des actions sont prévus pour dénoncer toute discrimination à l’endroit des animaux et exiger une véritable prise en compte de leurs intérêts. Les antispécistes contestent toute hiérarchie entre les espèces et donc la supériorité de l’être humain. Cette «vision du monde», comme la nomme l’association Peta, gagne du terrain au-delà de la sphère des défenseurs de la cause animale et des promoteurs du véganisme.

«Show-business végan»

Mais face à elle, la résistance s’organise : chez les agriculteurs, les acteurs de la«filière viande», les fédérations de chasseurs ou encore les défenseurs de la corrida, les poils se hérissent à la simple évocation de l’antispécisme… Et entre les deux camps, le ton monte. «Pour sauver un paysan, mangez un végan» : ce slogan, qui claque comme un coup de bottes, s’étale fièrement sur une page internet de la Coordination rurale. Ce qui a provoqué la colère de ce syndicat agricole, c’est l’invitation, ce vendredi, d’Aymeric Caron, figure de proue de l’antispécisme, aux journées d’été d’Europe Ecologie-les Verts, qui se tiennent actuellement à Toulouse. Les agriculteurs accusent EE-LV de participer au «show-business végan» et de «pactiser avec les antispécistes», ces «bobos-écolos extrémistes». Pire : Brigitte Gothière, cofondatrice de l’association L214, bête noire des éleveurs, est elle aussi invitée. Employant un ton légèrement menaçant, la Coordination rurale a averti qu’elle ferait «le déplacement» pour défendre ses «valeurs». Ces tensions entre «animalistes» et pourfendeurs de «l’agribashing» n’ont plus rien d’anecdotiques… «Ça va mal finir», avertit le responsable de la section viande à la Coordination rurale. «Chaque jour, je reçois des coups de fil d’éleveurs excédés face à de nouvelles vidéos diffusées par les antispécistes ou à des intrusions dans les élevages. Oui, les relations se tendent.»

Les agriculteurs vivent en effet très mal la médiatisation de ces enquêtes visant à dénoncer les conditions de vie des animaux d’élevage, d’autant que ces images sont «volées» par des militants qui s’introduisent dans les exploitations, ou tournées de l’intérieur par des employés. A elle seule, L214 diffuse environ une enquête par mois. Plus modeste mais très active, l’association DxE s’inscrit dans la même veine : ses militants n’hésitent pas à pousser les portes des élevages, caméra au poing. En mai, DxE propose même au député LFI Bastien Lachaud de voir par lui-même la réalité des exploitations industrielles, et l’emmène «visiter» un élevage porcin. L’élu accepte. La vidéo de cette intrusion sera mise en ligne peu après. La FNSEA (principal syndicat agricole) ne tardera pas à réagir. Dans un communiqué daté du 24 mai, elle évoque «un climat de tensions extrêmes» : «Après les épisodes de stigmatisation de nos pratiques, après les intrusions dans les élevages et les violences contre les éleveurs […] c’est un député de la République qui a franchi la ligne rouge…»

Les abattoirs semblent ciblés par des militants plus radicaux. En septembre 2018, dans l’Ain, un abattoir est partiellement ravagé par un incendie, revendiqué plus tard par des militants anonymes ; une enquête est toujours en cours. Idem en Seine-et-Marne, en janvier, où un incendie se déclare dans un abattoir de Jossigny : dans ce dossier, six personnes seront mises en examen. Les abattoirs sont aussi le théâtre d’actions pacifiques, comme ces «Nuits debout» organisées par l’association 269 Libération animale.

Ces mises en scène silencieuses ont le don d’attiser la colère des agriculteurs : ceux-ci s’invitent parfois sur place, armés de leurs saucisses et de leur barbecue… Mais selon Amadeus, qui milite depuis de longues années dans tous les champs de la cause animale, le terrain d’affrontement le plus violent ne concerne pas l’élevage : «C’est dans les manifestations contre les cirques exploitant des animaux que j’ai vu le plus de tensions», dit-il. Amandine Sanvisens, présidente de Paris Animaux Zoopolis, en sait quelque chose : insultée, harcelée, elle cristallise depuis des mois la haine des circassiens. Un directeur, qui l’a menacée de mort, sera jugé en février. «Le climat est encore plus tendu qu’auparavant, constate-t-elle. Les plaintes contre les circassiens pour violences ou insultes s’accumulent. Si nos manifestations ne sont pas protégées par les forces de l’ordre, nous préférons les annuler.»

«C’est la guerre»

Les relations sont tout aussi électriques autour de la chasse à courre : les dernières saisons ont été émaillées d’accrochages et d’incidents, opposant les veneurs aux membres du collectif Abolissons la vénerie aujourd’hui (Ava). En février, en forêt de Paimpont (Ille-et-Vilaine), une femme a été jetée dans un fossé par des chasseurs et sa tête maintenue sous l’eau tandis qu’un autre militant était roué de coups. Les cinq auteurs de ces violences ont été condamnés à de la prison avec sursis le 1er août par le tribunal correctionnel de Rennes. Mais l’affrontement se poursuit sur les réseaux sociaux, où la vénerie cloue au pilori les «antispécistes radicalisés» et autres «activistes sectaires, violents et anarchistes». De son côté, nul doute que le collectif Ava continuera à harceler ces chasseurs.

Dans les Pyrénées, ce sont les pro et les anti-ours qui sortent les griffes. Dernier épisode en date, cette affiche trouvée mi-août au départ d’un sentier en Ariège : «Randonneurs, touristes, ne vous aventurez pas dans la montagne […]. Chasse à l’ours. C’est la révolution ! C’est la guerre !» Le tract, qui «invite» les promeneurs à se méfier des balles perdues, est signé par d’obscurs «défenseurs de la montagne». «La présence de l’ours crispe les éleveurs pyrénéens, résume Baptiste Gatouillat, vice-président des Jeunes Agriculteurs. Ils ne se sentent pas écoutés et ont face à eux des opposants bien organisés. Ils sont à cran.» A cran aussi, les lanceurs de pavés dans les vitrines de boucheries : durant le printemps et l’été 2018, cette vague de vandalisme aurait touché des dizaines de commerces, comme dans les Hauts-de-France et en région parisienne. Brigitte Gothière condamne ces actes mais comprend leur origine : «Le gouvernement a rejeté les propositions raisonnables que nous avions formulées, et toutes les avancées possibles en matière de bien-être animal. Chez certains défenseurs des animaux, le sentiment de frustration est à son comble.» Dans les deux camps, chacun redoute qu’un accrochage finisse vraiment mal.

source : liberation.fr

https://www.liberation.fr/france/2019/08/22/antispecisme-la-petite-bete-qui-monte_1746733
par  Sarah Finger