Pour empêcher les départs de Français vers la Syrie, la nouvelle loi antiterroriste rendrait possible la saisie du passeport d’une personne considérée à risque.

Presque une formalité. Approuvée par l’Assemblée nationale, puis par le Sénat, la nouvelle loi anti-terroriste retourne aujourd’hui devant les députés pour être définitivement adoptée, avant un ultime examen par les sénateurs le 4 novembre. A l’exception des communistes et des écologistes, sceptiques, la gauche comme la droite l’ont soutenue. Dans un contexte de tension, le texte envisage de renforcer un certain nombre de mesures. C’est ainsi qu’il prévoit la création d’un nouveau délit d’entreprise individuelle de terrorisme ou le blocage de sites Internet faisant l’apologie du terrorisme.

Afin de freiner les départs croissants de jeunes Français vers la Syrie ou l’Irak, l’article 1 créé une autre disposition : la possibilité pour le ministère de l’Intérieur de saisir le passeport ou la carte nationale d’identité d’une personne considérée à risque, c’est-à-dire « dès lors qu’il existe des raisons sérieuses de croire qu’il projette des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes […] ou sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes ». Mais cette interdiction de sortie de territoire, notamment réclamée par plusieurs familles de jeunes aspirés par le jihad, fait débat car elle touche à une liberté fondamentale, la liberté de circulation.

De l’avis du rapporteur du texte à l’Assemblée, le député (PS) Sébastien Pietrasanta, la disposition est suffisamment encadrée. « Le préfet se prononcera sur la base d’un rapport de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). La décision sera valable six mois mais pour une durée maximale de deux ans, précise le parlementaire. Il faut bien préciser que cette décision pourra être contestée dans le cadre d’un référé-liberté devant le tribunal administratif. La personne visée pourra avoir accès au document de la DGSI qui fonde les suspicions. Et ce rapport devra contenir des éléments matériels précis (échanges d’e-mail, achat de billets d’avions, etc.) ».

Dans un avis rendu public le 26 septembre, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu un avis nuancé sur le texte, précisant que la lutte contre le terrorisme — une intention « louable » — « n’autorise pas tout ». La Commission émet notamment des réserves sur cette fameuse interdiction de sortie de territoire. Elle recommande « une définition claire et précise de critères objectifs justifiant » cette interdiction, et considère qu’une telle mesure « ne peut être fondée sur des appréciations exclusivement subjectives des services » du ministère de l’Intérieur. La CNCDH préconise donc « un réexamen de la situation de l’intéressé tous les trois mois » et souligne que le retrait des pièces d’identité « porte atteinte […] au principe de proportionnalité, au principe de non-discrimination et au droit au respect de la vie privée et familiale ».

Le Conseil constitutionnel pourrait être amené à se pencher sur cette disposition. « Je ne pense pas que le Conseil estimera que c’est une loi liberticide, avance Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à l’IEP de Bordeaux. En soi, il s’agit effectivement de la privation de la liberté de circuler. Mais on parle d’une décision motivée par des nécessités de protection de l’ordre public. Or la jurisprudence du conseil est claire : elle valide le principe selon lequel la première des libertés, c’est la sécurité. » Un point de vue que ne partage pas Carolina Cerda-Guzman, professeur de droit public à l’université Paul-Valéry de Montpellier. « La Constitution stipule que c’est l’autorité judiciaire qui est gardienne de la liberté d’aller et venir. Pour moi, les Sages pourraient tout à fait retoquer cette disposition. »

source : le parisien.fr
par Timothée Boutry (avec Thibault Raisse)