Mardi 22 octobre 2013 Permalien vers cet article L’affaire Baby-Loup n’est pas close1, mais la CNCDH (commission nationale consultative des droits de l’homme) et l’OL (observatoire de la laïcité) ont déjà assuré qu’une loi pour conforter le droit à la neutralité religieuse des structures d’accueil de la petite enfance n’était ni nécessaire, ni souhaitable. Avis devançant manifestement les désirs du Chef de l’État… Mais, sur le fond, que penser des arguments pour ou contre une loi ?
Un contexte faussé par une politisation intéressée
Juridiquement, les analyses de la CNCDH et de l’OL sont certes parfaitement verrouillées : il existe déjà des possibilités de limiter l’expression religieuse des salariés dans le Code du travail. De même, l’arrêt de la Cour de cassation dit justement que le principe constitutionnel de laïcité s’applique uniquement dans la sphère publique (incluant les services publics).
Néanmoins, politiquement, on retrouve exactement la ligne officielle du pouvoir : prôner « l’apaisement » pour ne pas créer un nouveau sujet de tension, et éviter de « faire le jeu » du Front national (après lui avoir laissé la laïcité en cadeau). La récupération politique de la laïcité, ou de son apaisement, se nourrissent mutuellement. Les clivages « pour » ou « contre » une loi risquent bien de se révéler trompeurs !
Les conclusions du Parquet près la Cour d’Appel de Paris, sur l’affaire Baby-Loup, esquissent un certain nombre de pistes, visant incontestablement à confirmer la crèche dans son bon droit. Il n’est sûr, ni qu’elles soient toutes bonnes, ni qu’elles prospèrent également devant la juridiction. De quoi la laïcité a-t-elle vraiment besoin ?

Surtout pas la dangereuse proposition sénatoriale Laborde / Alain Richard !2
Cette proposition de loi adoptée par le Sénat le 17 janvier 2012, citée dans les conclusions du Parquet sur l’affaire Baby-Loup, comporte trois dispositions particulièrement pernicieuses introduites par Alain Richard : la possibilité pour les collectivités publiques de subventionner des crèches confessionnelles ; l’extension à ces crèches confessionnelles de la notion de « caractère propre », principe réservé à l’enseignement scolaire, permettant de justifier le subventionnement public de l’enseignement privé confessionnel sous contrat ; la présomption de neutralité religieuse pour les nourrices privées (manifestement peu libérale).
La proposition, visant explicitement à étendre le « principe de laïcité » hors de la sphère publique, serait de toute façon contraire à la Constitution (cf. rappel de la Cour de cassation).

Une approche par « nature d’activité » risque d’accoucher d’un monstre législatif
Faut-il dès lors modifier le code du travail en introduisant des dispositions permettant de limiter l’expression religieuse des salariés en raison de « la nature de la tâche à accomplir » ? Mais se pose alors la redoutable question du champ d’application de la loi.
Pourquoi se limiter aux seules crèches, alors que bien des tâches à caractère éducatif, culturel, social, voire sportif ou récréatif paraissent justifier une option de « neutralité religieuse » pour les personnels salariés, à l’instar du service public scolaire, et pour les mêmes raisons ? Ne faut-il pas aussi retenir la notion de l’encadrement des « personnes vulnérables », et étendre le champ au secteur social, sanitaire, et médico-social ?
Et pourquoi ne pas permettre non seulement aux entreprises de services, mais à toutes les autres, de réglementer l’expression religieuse en leur sein (comme le demandait le Haut Conseil à l’Intégration – organisme dont le gouvernement vient de décider la disparition) ?
On le voit, toute énumération étant limitative, mais toute généralisation interdite, l’approche matérielle par « la tâche » paraît soit inutilement restrictive, soit dangereusement extensive.

SÉCURISER JURIDIQUEMENT LES ORGANISMES « LAÏQUES » OU « NON-CONFESSIONNELS » !
Dès son communiqué du 20 mars 2013, l’UFAL avait relevé le problème : « (…) une entreprise ou une association doit pouvoir légalement imposer à ses salariés de respecter son orientation de neutralité religieuse, puisque les entreprises “de tendance” confessionnelle sont admises à le faire. »
Certes (cf. avis de l’OL), le « principe de laïcité » ne peut être assimilé à une « tendance », puisqu’il est opposable à tous, quelles que soient leurs croyances, et entraîne la neutralité des pouvoirs publics. Mais l’adjectif « laïque » ne saurait en aucun cas se voir limité à ce principe constitutionnel « exclusif ». Ainsi, « l’enseignement laïque », principe également constitutionnel, définit bien une orientation en matière d’éducation (la neutralité des personnels – loi Goblet 1886 —, des programmes, et de l’ordre public scolaire – loi du 15 mars 2004) : il existe à côté un « enseignement confessionnel », admis par la Constitution.
Rappelons en outre que les « organisations non-confessionnelles » sont consacrées par le Traité de Lisbonne (supérieur à la loi), dont l’article 17- 23 dispose : « L’Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles. » Le droit national français, c’est notamment la loi de 1901, qui n’interdit en rien une orientation « laïque » ou « non-confessionnelle ».

Des centaines d’associations « laïques » existent en France depuis plus d’un siècle – et l’UFAL
en fait partie. Peuvent-elles du jour au lendemain se voir contraintes, en totale opposition avec leurs valeurs, et au risque de se couper de leurs adhérents, d’admettre le port de signes religieux par leurs salariés ? L’arrêt de la cour de cassation a fait apparaître un véritable risque juridique.

S’il faut recourir à la loi, c’est bien pour éviter ce risque. Pourrait être ajouté à l’article L. 1321-3 du code du travail une phrase de ce type :
« Ne constitue pas une discrimination le fait, pour une entreprise ou association de services affichant dans ses statuts une orientation laïque ou non-confessionnelle en rapport avec les services fournis, d’exiger de ses salariés, par voie de règlement intérieur, un comportement et une tenue conformes à cette orientation. »

Les producteurs de bien ne sont pas visés, car on voit mal ce qui justifierait l’orientation non-confessionnelle. Cette orientation doit en outre être « en rapport avec les services fournis » : ce peut être le cas d’un club de sport, mais sans doute pas d’une entreprise de nettoyage.

Sans attendre l’épilogue définitif de l’affaire Baby-Loup, voilà ce qu’il convient de préciser juridiquement. Non pas en faisant des organismes laïques des « entreprises de tendance », mais en reconnaissant la légitimité du choix de la neutralité confessionnelle, dès lors qu’elle est justifiée par la nature des services rendus.

1.En cas de confirmation du licenciement le 27 novembre par la Cour d’appel, il y aurait sans doute un nouveau pourvoi, la Cour de Cassation siégeant alors en assemblée plénière, puis éventuellement (si la Cour validait un arrêt de licenciement de la Cour d’appel), saisine de la Cour européenne des droits de l’homme… [↩]
2.Voir l’article Le Sénat se prononce pour le financement public des crèches confessionnelles privées ! [↩]
3.Article justement décrié par les laïques, puisqu’instaurant un dialogue « permanent et régulier » de l’UE avec les églises (les « organisations non confessionnelles », fausse symétrie, étant en réalité fort maltraitées à Bruxelles). [↩]

source :UFAL Par Charles Arambourou
{ufal.fr}