LE MONDE | Article paru dans l’édition du 05.06.09

Arnaud Esquerre est sociologue à l’Ecole des hautes en sciences sociales (EHESS), auteur de La manipulation mentale. Sociologie des sectes en France (Fayard, 376 pages).

L’Eglise de scientologie est poursuivie pour escroquerie. Mais en toile de fond du procès apparaît aussi la question de la manipulation mentale. Devant la justice, ce phénomène est rarement poursuivi. Pourquoi ?

Historiquement, les sectes étaient définies par rapport à une Eglise, en l’occurrence l’Eglise catholique, qui jugeait en fonction de ses propres critères. A partir des années 1970, des associations de défense de victimes se sont créées et ont cherché de nouveaux points d’appui pour définir ce qu’est une secte. La manipulation mentale s’est imposée et de nouveaux mouvements, en dehors de la religion, ont été assimilés à des organisations sectaires, notamment des mouvements liés à la psychothérapie.

Dans ce contexte est née l’idée de créer un délit spécifique de manipulation mentale. Mais ce délit aurait été d’une portée si large que dans la loi About-Picard de 2001, on a seulement modifié l’article du code pénal portant sur “l’abus de faiblesse”, dans lequel on a introduit la notion de “sujétion psychologique”.

Cette notion est peu employée par la justice, précisément parce qu’elle est difficile d’utilisation et introduit de l’arbitraire. Lorsqu’elle est utilisée, ce n’est pas forcément dans le cas de sectes, mais plutôt dans des affaires de captation d’héritage.

En axant les actions de lutte contre les sectes sur le terrain de la manipulation mentale, un concept fragile et fluctuant, on s’expose à des difficultés pratiques et l’on se rend compte que la frontière des mouvements englobés, qui peuvent être spirituels, politiques, philosophiques ou psychothérapeutiques, est compliquée à tracer. Vouloir lier la notion de secte à un état psychique m’amène à rappeler qu’à la fin du XIXe siècle on parlait des anarchistes comme d’une secte, en s’appuyant sur le concept de “suggestion”. Aujourd’hui, cette approche par le psychisme conduit l’Etat à vouloir réglementer le titre de psychothérapeute. Mais cela ne résoudra pas le problème des sectes car de nouvelles appellations apparaîtront.

{{Dans le cas de la scientologie, peut-on parler de manipulation mentale ?}}

La scientologie a comme caractéristique de se placer elle-même sur le terrain du psychisme en proposant un test psychologique et une amélioration de son existence par un travail sur soi-même. Elle traduit dans son langage propre des dérivés de principes psychologiques. L’autre élément spécifique à la scientologie concerne l’argent. Dans le procès actuel et dans celui de 1996, on constate que des gens aux revenus moyens perdent tout leur argent ou s’endettent pour la scientologie ; le coût financier redouble alors le coût psychique de leur engagement. Mais si la scientologie a déjà été condamnée pour escroquerie, elle ne l’a pas été pour abus sur personne en état de faiblesse.

{{Comment empêcher que des personnes soient manipulées ?}}

L’information est essentielle. Le consentement éclairé, la liberté individuelle ne peuvent s’exercer qu’à condition d’être bien informés. C’est un des buts du rapport annuel de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) que d’informer sur des groupes qui sont mouvants. Parallèlement, des outils juridiques existent pour poursuivre les escroqueries, les viols ou tout acte répréhensible avéré.

Propos recueillis par Stéphanie Le Bars