{{COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME}}

785

6.11.2008

Communiqué du Greffier

Arrêts de chambre concernant
l’Allemagne, la Bulgarie, la Grèce, « l’ex-République yougoslave de Macédoine »
la Russie, la Suisse, et l’Ukraine

La Cour européenne des droits de l’homme a communiqué aujourd’hui par écrit les 24 arrêts de chambre suivants, dont aucun n’est définitif1.

Les affaires répétitives2, ainsi que les affaires de durée de procédure où est indiquée la conclusion principale de la Cour, figurent à la fin du communiqué de presse.

Violation de l’article 6 § 1 (durée)

Non-violation de l’article 9

Leela Förderkreis e.V. et autres c. Allemagne (requête no 58911/00)

Les requérantes sont, notamment, trois associations de droit allemand, Leela Förderkreis e.V., Wies Rajneesh Zentrum für spirituelle Therapie und Meditation e.V. et Osho Uta Lotus Commune e.V. Il s’agit d’associations religieuses ou de méditation appartenant au mouvement Osho, anciennement connu sous le nom de Shree Rajneesh, ou encore mouvement Bhagwan. Ce mouvement se développa en Allemagne dans les années 60 et 70.

En 1979, le gouvernement allemand lança une campagne destinée à appeler l’attention du public sur le danger potentiel des mouvements de ce type, et les qualifia de « sectes », « sectes de jeunes », « religions des jeunes » et « psycho-sectes ». Il émit des avertissements indiquant que les associations de ce genre étaient « destructrices » et « pseudo-religieuses » et qu’elles « manipul[ai]ent leurs membres ». En octobre 1984, les associations requérantes intentèrent une procédure dans le cadre de laquelle elles demandèrent au Gouvernement de cesser de les décrire en des termes si négatifs. Les juridictions internes ayant rejeté leurs actions, elles introduisirent une plainte constitutionnelle. En juin 2002, la Cour constitutionnelle fédérale interdit l’usage des expressions « destructrices », « pseudo-religieuses » et « manipulent leurs membres » mais, considérant que le Gouvernement pouvait communiquer au public des informations appropriées sur ces associations, autorisa l’usage des autres termes.

Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable) de la Convention européenne des droits de l’homme, les associations requérantes se plaignaient de la durée selon elles excessive de la procédure civile. Elles alléguaient également que le Gouvernement avait manqué à son devoir de neutralité religieuse et s’était engagé dans une campagne de répression et de diffamation à leur encontre, en violation des articles 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion), 10 (liberté d’expression) et 14 (interdiction de la discrimination).

La Cour européenne des droits de l’homme note que la procédure a duré au total 18 ans et un mois, dont plus de 11 années devant la Cour constitutionnelle fédérale. Même dans le contexte très particulier de la réunification allemande, elle considère que cette durée est excessive et conclut donc, à l’unanimité, à la violation de l’article 6 § 1.

La Cour estime que la campagne d’information du Gouvernement a constitué une ingérence dans le droit des requérantes de manifester leur religion ou leur conviction. En vertu de la Loi fondamentale, cette ingérence était « prévue par la loi » et poursuivait le « but légitime » de communiquer des informations sur les dangers des groupes communément dénommés sectes.

La campagne d’information visait à traiter un sujet d’intérêt général extrêmement important au moment des faits en avertissant les citoyens d’un phénomène considéré comme perturbant, à savoir l’émergence de nouveaux mouvements religieux et l’attrait qu’ils représentaient pour les jeunes ; mais elle n’interdisait aucunement aux associations requérantes de manifester librement leur religion ou leur conviction. La Cour constitutionnelle a même posé certaines limites quant aux termes pouvant être utilisés pour désigner ces associations. Les expressions autorisées (« sectes », « sectes de jeunes », « religions des jeunes » et « psycho-sectes »), bien que quelque peu péjoratives, étaient, au moment des faits, utilisées sans distinction pour désigner toutes sortes de religions non traditionnelles. La Cour note également que les pouvoirs publics ont cessé d’utiliser le mot « secte » dans leurs campagnes d’information à la suite de recommandations d’experts formulées en 1998. Elle estime donc que les expressions utilisées par le Gouvernement, telles que les a délimitées la Cour constitutionnelle, n’ont pas outrepassé ce qu’un Etat démocratique pouvait considérer comme relevant de l’intérêt public. Partant, l’ingérence dans le droit des associations requérantes de manifester leur religion ou leur conviction était justifiée et proportionnée au but poursuivi, et la Cour conclut, par cinq voix contre deux, à l’absence de violation de l’article 9. Elle conclut en outre à l’unanimité qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 14 combiné avec les articles 9 et 10. Les trois associations requérantes se voient octroyer 4 000 euros (EUR) pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

CASE OF LEELA FÖRDERKREIS E.V. AND OTHERS
v. GERMANY

European Court of Human Rights

06/11/08