Selon un sondage réalisé deux semaines après les attentats survenus à Paris les 7,8 et janvier derniers, 30% des Français ne souscrivent pas à la version officielle, 2% étant même convaincus d’une manipulation. Dans certains établissements scolaires, défiance et provocations se sont mêlées à ces théories du complot entretenues dans les cours d’école et sur le web. “Un jeune sur cinq adhère aux théories du complot”, déclarait Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’Éducation nationale, peu après les événements.

Contre le poison du doute qui s’insinue jusque dans les classes, deux enseignants de Saint-Denis ont décidé de “prendre au sérieux” les théories du complot pour mieux les démonter. Leur objectif, développer l’esprit critique des élèves pour qu’ils ne soient plus la proie de manipulateurs de l’ombre.

Très vite après l’attentat contre Charlie, les élèves de cette classe de seconde du lycée Paul-Eluard à Saint-Denis ont émis des doutes sur la réalité de ce qui s’était passé le 7 janvier. “On a eu des confusions à cause d’internet qui transmettait de mauvaises informations ou qui donnait d’autres idées, qui nous faisait douter, explique Hanane, rencontrée dans le lycée par une journaliste de l’AFP. Il y a en qui disent que c’était un complot, que le policier à l’entrée de Charlie Hebdo, il n’a pas été tué”.

“C’est souvent la dernière idée lue ou entendue qui l’emporte”

“Des sites parlent de complots, avec des preuves plus ou moins fiables, disait un élève du même lycée en janvier, cité par Le Monde dans un autre reportage. On nous dit une chose à l’école, une autre sur Internet, une à droite, une à gauche, on ne sait plus qui croire. Et c’est souvent la dernière idée lue ou entendue qui l’emporte”.

Face à ces discours, “les leçons de morale ne servent à rien: il faut partir des discours des élèves, de leur pratique des réseaux sociaux”, explique Guillaume Gicquel, professeur d’histoire-géo dans ce lycée de Seine-Saint-Denis. Avec Anne Pellegrini, sa collègue de français, il a donc proposé aux élèves de montrer en classe des vidéos trouvées sur internet ou Facebook. L’une d’elle est diffusée et analysée en classe.

“A quoi a-t-on affaire? Allez, je vous aide: c’est comme au théâtre. Une mise en scène, exactement. Que remarquez-vous d’autre? Quel est le temps utilisé? Le conditionnel. Et quelle expression est répétée souvent? ‘Soi-disant’. Quel est le but? Quel est l’intérêt de poser une série de questions sans donner la réponse?”, interroge le professeur.

Réponse de Sélène: “pour nous mettre le doute, mais quand il parle là, il me remet le doute!” Réaction de la prof: “Donc, c’est très efficace!”.

Tout est passé au crible avec méthode: l’anonymat du locuteur, l’effet de dramatisation suscité par la musique, la focalisation sur des détails… Anne Pellegrini prend soin de faire le lien avec des études de texte récentes qui ont permis aux élèves de se familiariser avec la rhétorique, la différence entre “conviction” et “persuasion”, les structures narratives, etc.

“L’illusion qu’on ‘pense par soi-même'”

Comme le reconnaît une élève, si le discours complotiste est aussi efficace, c’est qu’il donne l’illusion qu’on “pense par soi-même”. Et à un âge où l’on conteste volontiers la parole des adultes, il est porteur d’une charge transgressive. “Il y a le discours scolaire mais, pour les élèves, la vérité est ailleurs”, souligne Anne Pellegrini. “C’est pourquoi il m’est apparu important de prendre au sérieux les théories du complot”, ajoute-t-elle, convaincue que l’école ne doit pas être “séparée de la vie”.

Gilbert a lui déniché une vidéo, réalisée par le quotidien 20 Minutes, qui démonte point par point les arguments complotistes. L’occasion de faire de “l’éducation aux médias, d’expliquer en quoi consiste le travail des journalistes, le croisement des sources, la vérification”. Un travail qui sera prolongé par la création d’un blog, pour sensibiliser les élèves aux contraintes et responsabilités -y compris juridiques- attachées à une “écriture publique”.

Regardez la première vidéo mise en ligne par 20 Minutes (et cliquez ici pour voir la seconde) :

Après la pause, une autre vidéo est projetée qui met en cause, cette fois, l’authenticité d’une conversation téléphonique, diffusée par BFMTV, entre un journaliste et Chérif Kouachi, un des tueurs de Charlie Hebdo. Malgré le travail de mise à distance accompli, beaucoup d’élèves expriment des doutes. “Comment peut-on être sûr que c’est bien Kouachi au bout du fil?”, s’interrogent-ils. Et les enseignants de recommencer…

Pour Guillaume Gicquel, “l’esprit critique, ça se travaille tout le temps”. Avec une pointe de découragement, il décrit des élèves aux opinions versatiles, “tiraillés entre les multiples discours qu’ils peuvent entendre”. “Aujourd’hui, la crédibilité de l’enseignant, elle se gagne, notamment par la confiance”, confirme Anne Pelligrini. Qui renvoie la société à sa responsabilité: “Ce travail, il est à faire partout, pas seulement à l’école”.

La sonnerie retentit. Les élèves quittent la salle. La journaliste de l’AFP s’attarde à discuter avec les professeurs. Une demi-heure plus tard, dans le couloir, une jeune fille nous attend: “Madame, comment on devient journaliste?”.

“Comment mieux aider les professeurs désemparés face à la réaction de certains élèves ?”, interrogeait Libération peu après les attentats, rappelant que le ministère de l’Éducation nationale met en ligne “des outils pédagogiques pour débattre avec les élèves, des ateliers sur la liberté de la presse et la liberté d’expression, ou encore une liste de livres pouvant nourrir cette réflexion, ainsi que des fiches adaptées aux cours d’allemand, anglais, histoire-géo…

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source : Le HuffPost avec AFP
http://www.huffingtonpost.fr/2015/02/09/theorie-complot-charlie-hebdo-pari-enseignants_n_6647116.html