“Notre premier principe, c’est l’intégration”. Preben Bertelsen, professeur à l’université d’Aarhus, a contribué à la création du centre de réhabilitation des djihadistes dans cette ville du Danemark. Dans le magazine Newsweek, il décrit le principe du “modèle Aarhus” :

“Nous ne les [les djihadistes] stigmatisons pas, nous ne les excluons pas. Au lieu de cela, nous leur expliquons que nous pouvons les aider à reprendre leurs études, trouver un travail, se réintégrer à la société.”

De l’aide pour les djihadistes

Le Danemark est l’un des pays qui a fourni, ces deux dernières années, le plus grand nombre de djihadistes par rapport à sa population. Depuis 2013, dans la deuxième ville la plus peuplée du pays, un centre propose de l’aide à ceux qui reviennent de Syrie. Les services de santé collaborent avec la police pour tenter de “déradicaliser” ces jeunes. En premier lieu, un suivi psychologique et médical est offert à ceux qui le souhaitent. Mais le “modèle Aarhus” repose aussi sur la réinsertion sociale à travers les études ou le travail. Dans une interview accordée à Vice News, Allan Aarslev, leader de la section “prévention et extrémisme” de la police de Jutland, région danoise où se trouve Aarhus, décrit les méthodes de ce centre.

“En premier lieu, nous donnons des conseils aux jeunes qui envisagent de partir en Syrie.”

Ils tentent avant tout de les dissuader de partir, en discutant avec eux, mais aussi avec leurs parents, souligne Allan Aarslev :

“Les parents sont beaucoup plus réceptifs à nos messages. Si nous les informons bien, ils sauront guider leurs enfants bien mieux que nous pourrions le faire.”

Tout au long du parcours de ces jeunes, qu’ils partent en Syrie ou non, le centre d’Aarhus tente de rester en contact avec leurs parents. Parfois, lorsque leurs enfants reviennent du djihad, ces parents font directement appel au centre. Psychologues et autres médecins interviennent alors autour de ces jeunes.

“S’adapter au motif de la radicalisation”

“Notre approche est fondée sur le dialogue”, résume Allan Aarslev. Pour Samir Amghar, sociologue spécialiste de l’Islam, auteur de L’Islam militant en Europe (éditions Infolio), pour déradicaliser ces jeunes, l’important est de “s’adapter aux motifs de leur radicalisation” :

“Si un jeune a décidé de partir en Syrie suite à la rencontre avec un imam qui l’a convaincu, il faudra expliquer à ce jeune que le djihad ne relève pas de l’islam, ni même d’une logique de religion.”

Comme autre exemple, Samir Amghar prend le cas d’un jeune qui voudrait partir en Syrie parce qu’il trouve injuste la façon dont agit le régime de Bachar el-Assad. On peut alors lui proposer une autre façon d’agir là-bas, via l’humanitaire notamment. “C’est ce que propose le Royaume-Uni”, décrit Samir Amghar. A la conception que les Etats ont de la radicalisation, ils proposent une solution de “déradicalisation”. A Aarhus, on tente à la fois de réhabiliter ces jeunes, et de leur prouver en quoi le djihad est une “lecture étriquée” du Coran.

Un complément à la répression

Les anciens djihadistes qui arrivent à Aarhus ne sont pas traités comme des terroristes, comme ça peut être le cas dans d’autres pays d’Europe (Royaume-Uni ou Belgique notamment), mais plus comme des “rebelles”, explique le Washington Post. La réponse apportée par le “modèle Aarhus” n’est pas centrée sur la répression, constate Samir Amghar :

“Le système répressif a montré ses limites. Ces programmes de déradicalisation apparaissent comme un complément à la répression.”

Un “complément” et pas seulement une alternative, dans la mesure où si des preuves sont apportées, les djihadistes danois de retour de Syrie seront jugés. Néanmoins, il demeure très difficile de savoir exactement quel rôle ils ont joué là-bas, reconnaît Allan Arslev : “Ils ne nous disent pas toute la vérité”.

A Aarhus, on agit aussi selon une logique de prévention, dans la mesure où les collègues d’Allan Arslev interviennent aussi en amont. “L’objectif est alors d’orienter les jeunes tentés par le djihad vers des structures de prise en charge”, détaille Samir Amghar.

Un programme “pas assez sévère”?

Le “modèle Aarhus” a été déployé dans d’autres villes du Danemark, notamment Copenhague, révèle Newsweek. D’autres pays scandinaves étudient la possibilité de l’adopter aussi. Pourtant les critiques se font entendre. Au sein-même du Danemark, certains politiciens déplorent cette méthode, à l’instar de Marie Krarup, députée du Parti Populaire Danois, citée par le Washington Post :

“Ils ne sont pas assez sévères [à Aarhus], et ils n’arrivent pas à voir le problème.”

Pourtant, quand en 2013 trente jeunes danois étaient partis en Syrie, cette année, un seul s’y est rendu. Le centre de réhabilitation n’est peut-être pas la seule raison de ce recul, mais les médecins qui y travaillent croient en leur contribution. Si Samir Amghar émet quelques réserves, il voit le “modèle Aarhus” comme une bonne solution :

“Ça peut fonctionner. Cela permet de déradicaliser une partie des djihadistes. Mais pas le noyau dur.”

Preben Bertelsen, qui travaille à Aarhus, dit comprendre les inquiétudes des autorités. Mais pour lui, ce centre de réhabilitation permet à la fois de dissuader les jeunes de partir en Syrie, mais aussi d’y retourner. Enfin, proposer une alternative à la répression peut encourager des jeunes qui hésitent à revenir au Danemark de le faire. Sinon, “où peuvent-ils aller ?”, s’interroge-t-il dans Newsweek :

“J’ai peur que l’on finisse avec des groupes de jeunes nomades qui n’ont pas d’autre opportunité que s’enterrer dans la criminalité et une destruction violente. Si on ne les aide pas à se réintégrer, ils chercheront probablement un nouveau groupe, encore plus agressif.”

sources : http://www.lesinrocks.com/2014/10/29/actualite/centres-rehabilitation-aider-les-djihadistes-11532680/

http://www.lesinrocks.com/wp-content/thumbnails/uploads/2014/10/djihad-tt-width-604-height-400.jpg

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par Camille Jourdan

le 29 octobre 2014 à 12h21