Une décennie après, le traumatisme est toujours là. Pourtant, les « nouvelles religions » continuent de recruter, au-delà même de l’archipel, comme le confirme le rapport annuel de la Miviludes publié le 22 mars.
Un disciple du gourou Shoko Asahara de la secte Aum en méditation en 1999 à Tokyo. / TORU YAMANAKA/AFP
Il est vers huit heures du matin ce 20 mars 1995 quand une attaque au gaz sarin touche le métro de Tokyo, sur cinq rames bondées. Treize personnes décèdent et un millier d’autres sont blessées. À l’origine de cet attentat, le plus grave au Japon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : la secte japonaise Aum Shinrikyo.
Vingt-trois ans après, le chef de cette organisation – considérée comme terroriste par l’Union européenne et les États-Unis – attend dans le couloir de la mort avec douze autres membres.
Dans l’archipel, cette attaque a profondément marqué les esprits. L’« Aum » qui comptait alors plusieurs milliers d’adhérents au Japon et en Russie a été l’objet de nombreuses arrestations. Dans cette atmosphère de psychose collective, le pays a renforcé ses mesures de sécurité, en multipliant les caméras de surveillance dans les réseaux ferroviaires notamment. Un article du Times of Japan daté du 19 mars 2018 révèle que « si la peur est encore présente, c’est parce qu’il y a beaucoup de questions encore en suspens autour de cette attaque ».
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De nouvelles résurgences sectaires
Pourtant, le culte d’Aum a survécu à la répression via de nouvelles résurgences sectaires. Fondée en 1984 sur la base d’un syncrétisme entre des préceptes hindouistes et bouddhistes, Aum a trouvé un relais dans le groupe « Aleph » qui compte désormais 1 650 membres au Japon.
D’autres groupes dissidents ont aussi émergé dans le pays. Malgré le traumatisme, les Japonais restent attirés par des mouvances religieuses que l’on appelle « nouvelles religions » : Sôka Gakkai, Reiyûkai, Tenrikyô, Sekai mahikari bunmei-kyôdan, Sûkyô mahikari…
Cette ambiguïté dans le rapport qu’ont les Nippons à la spiritualité est entretenue par une culture religieuse protéiforme, fondée sur le syncrétisme. « Le mot religion est occidental et le fait d’appartenir à une religion ou à un mouvement religieux circonscrit est une notion qui n’est pas japonaise », explique Régis Anouilh, ancien rédacteur en chef d’Églises d’Asie.
Une efflorescence de mouvements religieux
D’après les statistiques officielles, parmi les 126 millions d’habitants au Japon, il y a 95 ou 100 millions de bouddhistes et 85 millions de shintoïstes, les deux courants religieux majoritaires. « Tout simplement parce qu’il n’y a pas un sentiment d’appartenance à une religion unique chez la plupart des gens. Dans cette culture japonaise, on naît dans le monde shintoïste, on meurt dans le monde bouddhiste, et éventuellement on peut se marier dans l’univers chrétien », développe Régis Anouilh.
Cette efflorescence de mouvements religieux aurait aussi des raisons fiscales. L’État japonais se désengage des religions pour éviter de revenir au statut de religion officielle avec le shintoïsme, qui a perduré jusqu’en 1945. Par conséquent, l’État reconnaît comme religion tout ce qui prétend l’être. « Vous pouvez créer un mouvement, une association, une entreprise : se déclarer religion permet des exemptions fiscales assez importantes », précise Régis Anouilh.
La contrepartie de ce système assez libre, c’est la difficulté pour l’État d’entretenir une surveillance globale sur l’ensemble de ces mouvements multiples. « L’exemple du gaz sarin a montré que ce domaine-là était encore mal contrôlé », poursuit-il.
Des groupuscules religieux qui émergent en France
« Certains groupuscules religieux sont tellement anciens que les Japonais ne les considèrent même plus comme des sectes », analyse Jean-Pierre Berthon, chercheur au CNRS, spécialiste des « nouvelles religions » japonaises. Les plus populaires utilisent les nouveaux moyens de communication modernes pour attirer le plus d’adeptes, notamment des jeunes qui n’ont pas connu les actes criminels d’Aum Shinrikyo. « Puisque le paradis n’arrive pas, elles prétendent qu’on va le fabriquer sur terre », décrit le chercheur.
Très influentes sur Internet, elles se sont exportées. En France, et comme le confirme le rapport annuel de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) publié jeudi 22 mars, certaines d’entre elles sont dans le viseur de plusieurs rapports parlementaires. C’est le cas de Reiyukai ou de la très influente Sôka Gakkai, présente à Paris ou Marseille et qui recrute principalement dans les milieux universitaires. « On les appelle les témoins de Jéhovah de l’Orient », souligne Didier Pachoud, président du GEMPPI (Groupement d’études des mouvements de pensée en vue de la protection de l’individu, association de lutte contre les sectes).
Leurs caractéristiques ? L’enfermement, l’entre-soi, la phobie de l’impureté, les rituels thérapeutiques, via des offrandes « payantes »… « Si ces mouvements religieux ont trouvé de nouveaux sympathisants dans l’Hexagone c’est parce qu’ils se présentent comme bouddhistes et qu’il y a eu une sorte d’engouement pour le bouddhisme en France », complète Didier Pachoud.
En France, ces mouvements mobilisent plusieurs centaines de personnes avec un discours légèrement plus adouci et une image plus édulcorée qu’au Japon.