Les lavements au café, c’est tellement 2013! Les cliniques prédatrices vendent aujourd’hui l’immunothérapie aux patients atteints de cancer comme s’il s’agissait de traitements naturels.

 

z_wei / Getty Images ; montage : L’actualité

L’auteur est communicateur scientifique pour l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill. Il est titulaire d’un baccalauréat en biochimie et d’une maîtrise en biologie moléculaire. En plus d’écrire de nombreux articles, il coanime le balado The Body of Evidence.

Le désespoir est une puissante source de motivation. Alors que la plupart des gens se rendent au Mexique pour le plaisir et la détente, certaines personnes y sont poussées par la détresse. Si l’on vous a diagnostiqué un cancer de stade 4 et que vos médecins sont à court de solutions, mais que vous entendez dire qu’une clinique de pointe au Mexique peut vous aider là où les traitements conventionnels ont échoué, pourquoi ne pas vous payer le voyage ? Après tout, qu’avez-vous à perdre ?

Ce type d’établissements, souvent appelés « cliniques de charlatans » pour des raisons qui deviendront évidentes, prospèrent dans des pays comme le Mexique, la Chine et l’Argentine. Non pas parce que leur personnel et leur technologie sont en avance sur ceux du Canada et des États-Unis, mais en raison d’une surveillance moins stricte. Les patients ne bénéficient pas des mêmes protections, ce qui permet aux professionnels de la santé de ces pays de proposer des interventions expérimentales sans réglementation limitant les risques excessifs.

Les fausses offres de ces cliniques de charlatans étaient auparavant plus faciles à reconnaître. Si vous voyez les mots « antinéoplastons », « lavements au café » ou « laétrile », fuyez. Ces traitements non conventionnels, concoctés par des pseudo-Galilée, ont été soigneusement démystifiés, car ils ne présentent aucun avantage et comportent des risques majeurs. Mais les cliniques douteuses s’approprient de plus en plus des traitements réellement prometteurs, et la frontière entre l’avant-garde et la fraude devient floue.

Ces lieux misent dorénavant sur l’immunothérapie, sautant des étapes nécessaires pour proposer aujourd’hui les traitements de demain. En adoptant des thérapies basées sur le système immunitaire du patient, ils légitiment également une valeur importante au cœur de l’industrie du bien-être.

Des histoires sans fin

L’idée de recevoir un traitement révolutionnaire dans une destination ensoleillée est indéniablement attrayante, et les patients désespérés sont souvent attirés par les témoignages. Ceux-ci sont publiés sur les sites Web des cliniques, où on y souligne par exemple que les patients étaient atteints d’un cancer de stade 4 (il n’y a pas de stade 5). Ils apparaissent dans de longs appels au sociofinancement. De manière assez insidieuse, ils font également leur chemin jusque dans les journaux et sur les chaînes d’information, où les journalistes les traitent comme des histoires d’intérêt humain. Les segments s’écrivent d’eux-mêmes : un mari anéanti se voit diagnostiquer une maladie en phase terminale, il est abandonné par le corps médical, mais sa famille aimante et sa communauté se mobilisent autour de lui pour financer un voyage salutaire au Mexique afin qu’il reçoive le type de soins qui pourraient lui sauver la vie.

Le problème, c’est que ce cadre, qui ne peut vérifier si les traitements proposés reposent sur des bases scientifiques solides, ne permet pas non plus d’assurer le suivi nécessaire. Lorsque Michael Marshall, directeur de projet pour la Good Thinking Society, a fait des recherches sur 206 personnes qui avaient collecté des fonds pour se rendre dans une clinique douteuse en Allemagne, il a découvert qu’au moins 71 d’entre elles étaient décédées depuis leur appel au sociofinancement. Ce détail important n’est jamais mentionné dans les médias.

Les témoignages sont également incomplets. Les traitements anticancéreux éprouvés, tels que la chimiothérapie et la radiothérapie, engendrent des effets secondaires. Le patient qui décide de les abandonner et de se rendre dans une clinique proposant de l’acupuncture et des smoothies à base de plantes se sentira mieux simplement parce qu’il a cessé les traitements lourds. Mais le sentiment du patient n’est pas une indication de l’état de la tumeur. Dans le cas du cancer du cerveau, par exemple, il existe un phénomène connu sous le nom de « pseudoprogression ». Les tumeurs cérébrales peuvent temporairement gonfler lorsqu’elles sont traitées, en raison de l’inflammation. L’arrêt du traitement et la consultation dans une clinique charlatanesque donnent ainsi l’impression que la tumeur diminue et que les nouvelles interventions fonctionnent, alors qu’il s’agit en fait de la disparition de l’inflammation et du retour de la tumeur à sa taille d’origine.

L’attrait qu’exercent ces cliniques sur les patients désespérés provient également du langage qu’elles utilisent dans leur matériel promotionnel. En examinant leurs sites Web, j’ai vu que leurs traitements étaient qualifiés de « révolutionnaires », « non toxiques » et « indolores ». Leurs interventions sont dites « réussies » et « éprouvées ». Leur personnel parle anglais et une navette vient vous chercher à l’aéroport. Vous êtes traité « comme un membre de la famille ». Un grand centre régurgite tous les vieux poncifs de la médecine non conventionnelle : on traite l’individu, pas seulement la maladie ; on traite la cause profonde, pas seulement les symptômes ; on vous respecte en tant qu’être humain, pas en tant que statistique. C’est tout ce qu’une personne désemparée, frappée par une terrible maladie, veut entendre.

Comment ne pas se faire prendre? Recherchez les signaux d’alarme pour évaluer la légitimité d’une clinique à l’étranger. Méfiez-vous des établissements dirigés par des chiropraticiens (désignés par D.C. ou d’autres lettres, selon le pays), des naturopathes (ND,NMD ou même D.N. en français) ou des praticiens de la médecine dite fonctionnelle. Cette dernière est particulièrement embêtante, car elle sonne comme une branche de la médecine, mais repose sur des tests de laboratoire inutiles et sur la prescription d’une multitude de suppléments alimentaires tout aussi inutiles.

Attention aux traitements qui étaient populaires dans les années 1980 et 1990 et qui ont été dénoncés comme n’étant guère plus que des vœux pieux. Nombre d’entre eux ont été classés sous le terme générique de « thérapies métaboliques ». Elles comprennent la désintoxication par le jeûne et le nettoyage des intestins, le renforcement du système immunitaire par la consommation de suppléments et l’attaque du cancer à l’aide de produits chimiques soi-disant naturels tels que l’urée, le chlorure de césium et le sulfate d’hydrazine. Parmi les traitements charlatanesques du cancer les plus répandus figurent les injections de peroxyde d’hydrogène, les doses massives de vitamines, l’utilisation de diméthylsulfoxyde (DMSO), les régimes spéciaux, les lavements et le laétrile, une substance dérivée des noyaux d’abricot qui peut provoquer un empoisonnement au cyanure.

Ces méthodes reposent sur l’idée que le cancer est causé par une accumulation de substances toxiques dans l’organisme. Si on élimine les toxines, le corps sera en mesure de se guérir par lui-même. Ce raisonnement médical simpliste relève de la pensée religieuse, cette idée usée selon laquelle quelque chose de maléfique a corrompu le corps et qu’il faut faire appel à un exorciste. Une fois les démons chassés, le corps doit être nourri d’aliments purs et sacrés afin de guérir divinement. Le cancer est en fait la croissance non maîtrisée de cellules dans le corps, parfois en raison de mutations génétiques héritées, parfois en raison de l’exposition à des substances et à des radiations qui provoquent des mutations, et souvent en raison de causes imprécises. L’histoire des toxines vendue par les cliniques de charlatans est peut-être facile à comprendre, mais elle s’avère superficielle et la plupart du temps erronée.

Il est facile de mettre en garde les gens contre la thérapie Gerson et les cocktails Manner — des interventions discréditées proposées aux patients à la recherche d’un salut de dernière minute. De nombreuses cliniques douteuses se sont toutefois tournées récemment vers des traitements à consonance beaucoup plus scientifique, comme l’immunothérapie.

Les traitements anticancéreux de demain

Vous risquez de voir encore l’ozonothérapie et les régimes de désintoxication sur les sites Web de cliniques charlatanesques mexicaines de traitement du cancer, mais ils côtoient désormais des noms beaucoup plus crédibles et pourtant opaques.

Thérapie de modulation des cellules T. Thérapie cellulaire. Immunothérapie par cellules dendritiques. Certains régimes bio-immunothérapeutiques ont même des noms de marque déposée qui semblent tout droit sortis de la dernière offre de Toyota.

Toutes ces immunothérapies reposent sur l’idée que notre propre système immunitaire peut combattre le cancer, à condition d’être entraîné correctement. Le cancer peut se cacher de nos cellules immunitaires derrière un voile. Et si nous pouvions entraîner nos cellules à voir à travers ce voile et à reconnaître l’ennemi ? Les promesses de l’immunothérapie ont permis aux charlatans qui aiment faire appel à la nature d’avoir le beurre et l’argent du beurre. Puisque l’immunothérapie consiste à entraîner notre corps à faire ce qu’il fait naturellement, mais mieux, elle peut être vendue par les cliniques de charlatans comme étant plus en accord avec la biologie et les processus naturels, donc plus sûre. Et comme l’immunothérapie s’appuie sur de véritables recherches, elle peut également séduire les personnes qui ne veulent pas de réalignements de chakras pour combattre leur cancer, mais de la vraie science. L’immunothérapie est un moyen de faire en sorte que le corps se guérisse par lui-même, une expression adoptée par les promoteurs de la pseudo-science.

L’immunothérapie est née de l’observation, dans les années 1800, du fait que certaines tumeurs cancéreuses régressaient naturellement lorsque le patient attrapait une infection bactérienne particulière. William Coley, le père de l’immunothérapie anticancéreuse, a ensuite essayé de traiter des patients atteints de cancer avec un extrait de bactéries inactivées, afin de renforcer leur système immunitaire. Cette tentative s’est heurtée à des difficultés, et ses « toxines » ont rapidement été supplantées par la chimiothérapie et la radiothérapie. Nous avons appris plus tard que notre système immunitaire fait constamment la guerre aux cellules cancéreuses naissantes, maîtrisant les tumeurs potentielles jusqu’à ce que, dans certains cas, il perde la partie et que le cancer s’installe solidement.

Il y a eu de véritables avancées, très appréciées, en immunothérapie, notamment l’utilisation de l’ipilimumab pour le traitement des mélanomes et d’autres thérapies par inhibition de point de contrôle, ainsi que la thérapie CAR-T, où certaines cellules immunitaires de l’organisme sont reprogrammées pour mieux détecter le cancer. Mais l’immunothérapie anticancéreuse, qui n’en est encore qu’à ses débuts, n’est pas le remède doux et sans effets secondaires souvent promis par les cliniques de charlatans. Les « toxicités immunitaires », comme on les appelle, sont bien réelles, et leur degré de gravité va des symptômes grippaux à la défaillance de plusieurs organes, laquelle peut mettre en danger la vie du patient. Lorsque des cliniques de charlatans proposent ces interventions et d’autres variations expérimentales en dehors du cadre d’un véritable essai clinique, promettant la lune dans leur matériel promotionnel, je doute qu’elles aient à cœur l’intérêt de leurs patients et je me demande quel type de responsabilité elles assument quand les choses tournent mal.

L’immunothérapie n’est pas la seule technologie que s’approprient des cliniques douteuses qui cherchent à faire passer la science de pointe pour de la science naturelle. Dans leurs mains, les cellules souches sont une panacée prête à l’emploi et le microbiome peut être rétabli comme une montre suisse confiée à un expert. Cette attitude donne l’impression que nos hôpitaux sont à la traîne. J’ai vu un slogan d’une clinique de Cancún proclamant que les patients cancéreux d’aujourd’hui recherchaient le traitement du cancer de demain, et que cette clinique était en fait une machine à voyager dans le temps qui les emmènerait dans le futur.

Ce genre de battage publicitaire n’est malheureusement pas inoffensif.

Quels sont les dommages ?

De nombreuses cliniques de charlatans bénéficient de l’appui de célébrités, mais ces témoignages peuvent se retourner contre elles quand les dommages que ces cliniques voraces risquent de causer sont révélés au grand jour. La leader des droits civils Coretta Scott King, épouse de Martin Luther King Jr., est décédée alors qu’elle séjournait dans l’une de ces cliniques, au sud de Tijuana, pour tenter de guérir d’un accident vasculaire cérébral et d’un cancer de l’ovaire. L’établissement, qui était dirigé par un chiropraticien et naturopathe, a été rapidement fermé.

Les cellules souches « miraculeuses » souvent utilisées par ces cliniques peuvent également avoir des conséquences débilitantes. Le cas de Jim Gass a été largement médiatisé. Il a dépensé 300 000 dollars pour des traitements à base de cellules souches et des voyages au Mexique, en Chine et en Argentine, et il s’est retrouvé avec des masses dans la colonne vertébrale. Comme le dit le Dr David Gorski dans Science-Based Medicine, « Jim Gass, victime d’un accident vasculaire cérébral, est passé d’une canne et d’une attelle pour marcher à un fauteuil roulant, grâce à des traitements douteux à base de cellules souches ». Ce chiffre de 300 000 dollars mérite également d’être examiné. On fait souvent appel au sociofinancement, parce que ces traitements douteux coûtent cher. Dans le cadre d’un essai clinique légitime, un patient ne devrait pas avoir à payer pour le traitement. Or, les cliniques de charlatans facturent, sinon le traitement, du moins la « gestion de cas » et d’autres dépenses exorbitantes. Lorsque le patient décède, sa famille en deuil peut se retrouver sans le sou ou, pire, endettée.

Les cliniques prédatrices qui prétendent offrir aujourd’hui les thérapies de demain n’existent pas seulement au Mexique. Dans le cas des interventions à base de cellules souches non éprouvées, les cartes du Canada, des États-Unis, de l’Australie, du Japon, de l’Allemagne et du Royaume-Uni sont déjà parsemées d’établissements qui vendent ce séduisant pseudo-remède. C’est vraiment un cas de consommateur averti : les personnes atteintes d’une maladie avancée auraient tout avantage à vérifier sur des sites tels que Science-Based MedicineQuackwatchCancer Research UK et Good Thinking Society les affirmations qu’elles trouvent en ligne.

Nous devrions visiter les pays tropicaux pour nous détendre, pas pour nous faire escroquer.

Message à retenir :

– De nombreuses cliniques au Mexique et ailleurs à l’étranger proposent des traitements aux vertus exagérées à des patients cancéreux désespérés, assurant qu’ils sont non toxiques et indolores.

– Ces traitements sont souvent des formes d’immunothérapie, un type prometteur de traitement du cancer, mais ils sont vendus dans ces établissements à un prix élevé, sont administrés sans les protections qu’offre un véritable essai clinique, et peuvent provoquer de graves effets secondaires malgré la promesse qu’ils sont sûrs et bénins.

La version originale (en anglais) de cet article a été publiée sur le site de l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill.

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