De nombreux mineurs font indirectement les frais de la lutte antiterroriste menée par les États de la zone sahélienne avec le soutien des pays occidentaux. Au Nigeria, notamment, l’armée détient, selon HRW, des milliers d’enfants dans des conditions inhumaines en raison de leur appartenance présumée à Boko Haram. Au Tchad, au Mali et au Niger, ils ne seraient pas violentés, mais sont traités comme des adultes.

C’est une des facettes les moins médiatisées de la guerre que se livrent les groupes djihadistes sahéliens et les États d’Afrique de l’Ouest depuis une dizaine d’années : le prix qu’en payent les enfants.

Certes, il a été dit et écrit que les groupes djihadistes, et plus particulièrement Boko Haram, ne se privent pas de les recruter pour en faire des combattants, voire des kamikazes, ou pour s’en servir comme des poseurs de mines ou des indics. Est également régulièrement évoqué le fait que dans les zones les plus touchées par la menace djihadiste, des centaines de milliers de jeunes sont privés d’école.

Selon l’ONU, rien qu’au Mali, près de 1 000 écoles étaient fermées dans le nord et le centre du pays en mai dernier, et plus de 250 000 enfants étaient privés de cours. L’Unicef estime pour sa part à 1,9 million le nombre d’enfants « chassés de leur école en Afrique de l’Ouest et centrale » en raison des violences armées.

Après une attaque attribuée à Boko Haram, à Dalori, au Nigeria, le 1er novembre 2018. © Reuters

Très peu de gens savent en revanche que les enfants sont également des victimes directes de la lutte antiterroriste menée par les armées sahéliennes avec le soutien des pays occidentaux, dont la France. Outre ceux qui perdent la vie lors de batailles, de bombardements ou d’opérations militaires, ou lorsque leur véhicule roule sur une mine, un grand nombre d’enfants passent des semaines, des mois, voire des années en prison.Dans un rapport publié le 10 septembre, Human Rights Watch (HRW) met en lumière la situation des enfants emprisonnés dans les geôles nigérianes. « L’armée nigériane détient des milliers d’enfants dans des conditions inhumaines et dégradantes en raison de leur appartenance présumée au groupe armé islamiste Boko Haram, dénonce l’ONG. Ils sont nombreux à être emprisonnés sans inculpation pendant des mois ou des années, dans des baraquements sordides et très surpeuplés, sans aucun contact avec le monde extérieur. »

D’après l’ONU, ces six dernières années, les forces armées nigérianes ont placé en détention plus de 3 600 enfants, dont 1 600 filles. HRW a recueilli plusieurs témoignages d’enfants qui disent avoir été maltraités, battus et privés de leurs droits élémentaires, notamment dans l’épouvantable caserne militaire de Giwa, située à Maiduguri. Sur les 32 enfants interrogés par l’ONG, tous affirment n’avoir jamais été présentés à un juge. Un enfant sur trois assure avoir été frappé lors de l’interrogatoire suivant son arrestation. « Le traitement cruel que leur réservent les autorités ajoute à leur souffrance et ils se voient infliger en quelque sorte une double peine », estime Jo Becker, chargé du plaidoyer chez Human Rights Watch. La plupart, en effet, avaient été victimes d’une attaque de Boko Haram contre leur village avant d’être arrêtés par l’armée.

L’ONG dénonce en outre les conditions de détention à la prison de Giwa. Confinés dans des cellules d’environ 10 mètres sur 10 avec 300 autres détenus, parfois avec des adultes, les enfants ont été contraints d’y dormir sur le côté, serrés les uns contre les autres, dans une chaleur accablante et une puanteur écrasante. Ils ont assisté à l’évacuation de cadavres des cellules par les soldats et ont subi les brimades d’autres détenus.

Human Rights Watch n’évoque pas seulement de grands adolescents dans son rapport. L’un de ces enfants, Ibrahim, a été détenu alors qu’il n’avait que cinq ans. Durant sa détention, c’est son frère de 15 ans, également arrêté, qui s’est occupé de lui. Plusieurs témoins affirment avoir vu des dizaines d’enfants âgés de moins de dix ans dans la caserne de Giwa. Cité par HRW, Musa a pour sa part été arrêté alors qu’il avait 13 ans. Accusé de vendre des ignames à Boko Haram, il a été emprisonné durant près de trois ans.

Après la publication de ce rapport, les autorités nigérianes ont nié détenir des enfants en prison. Dans un communiqué, l’armée indique que les mineurs arrêtés sont traités comme des victimes de guerre et non comme des suspects. HRW n’est pourtant pas la première ONG à dénoncer ces violations. Dans une enquête publiée il y a quelques mois, Amnesty International avait révélé que des agents de sécurité et des détenus avaient infligé des violences sexuelles à des femmes et des enfants dans certaines prisons de l’État de Borno (nord-est du Nigeria), notamment celle de Giwa.

L’armée nigériane est connue pour ses nombreuses exactions. Mais elle n’est pas la seule, dans la région, à traiter les enfants comme des adultes. Des centaines de mineurs arrêtés en tant que « djihadistes » fréquentent les prisons tchadiennes, maliennes et nigériennes. S’ils ne sont pas violentés, ils subissent le même régime que les adultes.

Au Niger, plusieurs ONG qui ont eu accès aux ex-membres de Boko Haram arrêtés et emprisonnés se sont retrouvées en présence de nombreux enfants. En novembre 2017, une enquête confidentielle, à laquelle Mediapart a eu accès, a été menée dans un camp situé au sud-est du pays : sur 168 membres présumés de Boko Haram, le quart étaient des enfants de moins de 10 ans. Il y avait là 12 filles et 28 garçons. La plupart ne faisaient qu’accompagner leur mère. Certains, une vingtaine, avaient affirmé avoir été « associés » aux opérations de Boko Haram en tant que « petites mains » (éclaireur, informateur, etc.). Mais tous étaient considérés par les autorités comme des « repentis » à part entière…

Au Mali aussi, il est fréquent de tomber sur des enfants dans les cellules où l’on place les présumés djihadistes. « La plupart ne restent que quelques jours. Mais durant ce laps de temps, ils ne bénéficient d’aucun régime particulier : ils sont placés avec les adultes dans des geôles surpeuplées et surchauffées, or ces prisons sont de véritables mouroirs », explique un défenseur des droits humains qui visite régulièrement des prisons.

Rencontrés en juin 2018 à Bamako, Hamidou et Mohamed (prénoms d’emprunt) venaient tout juste de sortir du Camp 1 de la gendarmerie. Le premier disait avoir 15 ans – il en faisait trois de moins –, le second 17 ans. Tous deux semblaient avoir du mal à se remettre de leur calvaire. Hagards, ils disaient avoir du mal à dormir. Arrêtés avec une quinzaine d’adultes quelques jours plus tôt dans le centre du pays, ils avaient d’abord été incarcérés dans la prison de Nara. Sur le procès-verbal d’audition qu’ils avaient sur eux, il est écrit que Mohamed a 20 ans, et Hamidou, 17 ans, et qu’ils sont suspectés d’avoir transmis la position de l’armée aux djihadistes. Après leur interrogatoire, ils ont passé plusieurs jours dans une cellule, puis ils ont été envoyés à la prison de Segou, et enfin à Bamako. Dans la capitale, un juge du pôle antiterroriste les a entendus, puis les a envoyés au Camp 1 de la gendarmerie, où ils ont passé quelques jours avec des dizaines d’adultes, dans des conditions déplorables.Selon un fonctionnaire onusien en charge des droits humains à Bamako, l’armée malienne arrête régulièrement des mineurs. « Longtemps, il a fallu se battre pour les sortir des prisons, explique notre source. Cela a été très compliqué au début. Mais aujourd’hui, les autorités font preuve de compréhension. Désormais, dès qu’un enfant arrive à Bamako, il est libéré et remis à l’Unicef. »

Au Nigeria aussi, les autorités ont pris conscience du problème. Ces derniers mois, 2 200 enfants ont été libérés selon HRW (presque tous sans aucune inculpation). Au Tchad, un programme de déradicalisation est actuellement mené en direction de mineurs qui ont été contraints de vivre dans les camps de Boko Haram. « Il y a une réelle prise de conscience des dirigeants politiques, des magistrats et des fonctionnaires, poursuit notre source onusienne. Mais sur le terrain, les militaires ne réfléchissent pas

source : mediapart.fr

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