« Je n’ai aucune idée de ce que j’ai fait », raconte-t-elle à l’issue de cette cérémonie de cinq heures dans un temple privé de Hanoi, pendant laquelle elle a changé au moins quinze fois de costume, revêtant notamment une robe rouge richement brodée. « Je ne peux pas croire que j’ai fumé comme un pompier et bu comme un trou », ajoute la quinquagénaire qui normalement ne boit pas. « Est-ce que vous pouvez me dire ce que je vous ai dit ? » demande à ses amis cette chamane amateur, qui ne pratique ces rituels que lorsqu’elle sent l’appel des esprits.
Le Len Dong est une tradition spirituelle pratiquée au Vietnam depuis des siècles, lors de laquelle les esprits des morts viennent prendre possession du médium. Ses disciples, praticiens ou spectateurs, ont généralement recours à cet ancien rituel pour évacuer le stress ou parce qu’ils espèrent que les esprits les aideront à résoudre un problème amoureux ou professionnel.

Vu d’un mauvais œil
Il y a six ans, Hoa a commencé à souffrir d’insomnie, de perte d’appétit et de fatigue, et les médecins n’ont pas pu l’aider. Sur les conseils d’un ami, elle a alors rendu visite à un chaman qui lui a conseillé de pratiquer elle-même les rituels de possession. « À ma grande surprise, ma santé s’est améliorée d’un coup », explique-t-elle, et elle a commencé à voir aussi des améliorations dans sa vie professionnelle.
Pendant la cérémonie, dont la date est soigneusement choisie pour avoir lieu sous les bons auspices, des musiciens jouent des chansons traditionnelles pendant que le chaman, parfois en transe, alterne chant, psalmodie et danse, au rythme minimaliste de la musique.
« Ce n’est pas seulement une danse folle de gens qui ont perdu leur dignité », observe Ngo Duc Thinh, un professeur de renom spécialiste de la culture vietnamienne dans un institut public. Le rituel peut aider les personnes souffrant de stress intense ou de problèmes psychologiques légers, selon lui. « Ils pratiquent le Len Dong pour se débarrasser de leurs problèmes et reprendre une vie normale, ajoute-t-il. Avec le développement de la société, les pressions sur les individus augmentent. Le stress devient plus fort et on a davantage besoin du Len Dong. »
Hoa y a recours au moins deux fois par an. « Je n’ose pas en parler à ma mère parce qu’elle penserait que je suis folle », lâche la fonctionnaire âgée de 52 ans, qui dépense 40 millions de dongs (environ 1 400 euros) pour chaque performance. Ses collègues de travail, principalement des membres du Parti communiste au pouvoir, ne sont pas non plus au courant : le rituel a parfois été considéré comme une hérésie.

Charlatans ?
Même s’il était pratiqué en secret, il a été interdit pendant des décennies, d’abord par les colonisateurs français, puis par le régime communiste. Grâce à une certaine tolérance depuis les années 1980, le Len Dong connaît une deuxième jeunesse, même si encore aujourd’hui, ses adeptes encourent une amende d’environ 180 euros, pour décourager surtout ceux tentés d’en faire commerce. « J’ai reçu des mises en garde de la police me demandant d’arrêter », raconte un professionnel du Len Dong, sous le couvert de l’anonymat. « Le gouvernement a essayé de l’interdire, mais ils ont échoué. C’est impossible de l’interdire », souligne Thinh.
Mais certains experts plaident pour sa réglementation alors que certains Vietnamiens aisés sont prêts à payer des dizaines de milliers d’euros pour une cérémonie de Len Dong. Pour certains, cela devient un commerce florissant. Le problème est qu’il est difficile pour la population de faire la différence entre de véritables chamans du Len Dong et des charlatans. « Plusieurs praticiens (…) l’ont utilisé pour tromper des gens pour de l’argent, indique un praticien. Cela perturbe les gens, ils ne savent plus différencier le vrai du faux Len Dong. »
(Source : AFP)

http://www.lorientlejour.com/article/871713/stresses-consultez-un-chaman-.html