Face à l’enlèvement par la secte islamiste Boko Haram de plus de 220 jeunes filles au nord du Nigeria, le 14 avril puis dans la nuit du 5 au 6 mai, Lakshmi Puri, sous-secrétaire générale des Nations unies et directrice adjointe de l’agence ONU Femmes, a dit au Monde sa « colère » et sa « tristesse ».

« Je suis terriblement choquée. Il est impensable que les extrémistes islamistes de Boko Haram puissent dénier le droit à l’éducation aux jeunes filles, puissent enlever des êtres humains et vouloir les vendre. Ces exactions bafouent leurs droits humains car elles ne peuvent pas choisir leur avenir, et menacent leur vie », dénonce Mme Puri, venue rencontrer les ministres du développement des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), réunis à Paris à l’occasion du Forum 2014, les 5 et 6 mai.
La numéro deux d’ONU Femmes, agence des Nations unies créée en juillet 2010, se félicite de la mobilisation internationale pour aider le gouvernement nigérian à retrouver les captives. « Il est impératif que les coupables de ces exactions soient traduits en justice, estime Lakshmi Puri. Il faudra s’assurer qu’aucune impunité n’existe nulle part pour eux. Ces crimes ne doivent pas se reproduire. Les droits humains des femmes et des jeunes filles doivent être affirmés, protégés et respectés partout. Aucune idéologie ne peut cautionner cela : ces actes politiques et religieux – avec une interprétation totalement erronée de l’islam – représentent les pires formes de discrimination, de négation des droits des femmes. » Certaines des jeunes filles enlevées avaient rejoint le lycée de Chibok pour y passer un examen, car leur école avait été fermée à la suite des menaces de Boko Haram.

« PRISE DE CONSCIENCE »

Ces exactions commises par la secte islamiste radicale illustrent la nécessité, pour ONU Femmes, de continuer le combat pour ces droits. Mais le drame peut avoir, espère Mme Puri, des conséquences positives. « Il peut permettre une plus grande prise de conscience, à l’échelle de la région et internationalement, dit-elle. Nous avions déjà vu en Afghanistan un mouvement international à l’occasion de l’offensive des religieux contre la scolarisation des filles, ou de leur engagement dans les forces de police. Il faut continuer à se battre. »

Cette violence extrême est aussi la preuve, selon cette ancienne diplomate et membre du gouvernement indien, des avancées sur le terrain : « La situation des femmes s’améliore dans le monde. Et c’est sûrement à cause de ces avancées, de leur autonomie plus importante, que les réactions se font plus violentes. »

L’école où les jeunes filles ont été enlevées. | AFP/STR

Pour autant, Mme Puri insiste sur le long chemin qui reste à parcourir. « Il faut que les femmes aient un accès égal aux terres, à l’agriculture, aux financements, dans les pays en développement, cela est essentiel pour leur autonomie », dit-elle.

Si plusieurs Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) – égalité des sexes, santé maternelle, mortalité des enfants – concernent directement le statut des femmes, l’agence sait que la bataille se joue sur d’autres fronts. « A l’occasion de la réunion, mi-mars à New York, de la Commission du statut des femmes des Nations unies, d’autres OMD, comme ceux sur l’éducation ou l’éradication de la pauvreté, ont été étudiés sous l’angle de leur apport à l’égalité des sexes et de ce qu’ils pouvaient changer dans la vie des femmes, dit Lakshmi Puri. L’absence de reconnaissance de cette dimension par la communauté internationale explique le retard dans l’atteinte des objectifs. »

« VRAIE CRÉATION DE VALEUR »

Les choix économiques et les politiques d’austérité l’inquiètent aussi. « Nous avons étudié l’impact de la crise et des politiques d’austérité sur la situation des femmes, explique Mme Puri. Dans les économies occidentales comme dans les pays en développement, les femmes et les jeunes filles sont les premières victimes des coupes dans les budgets sociaux, l’éducation, la santé. Elles ont du mal à assurer leur autonomie, notamment celles qui élèvent seules leurs enfants. »

Mme Puri propose la prise en compte, dans le calcul du produit intérieur brut, du travail effectué par les femmes dans le cadre familial, notamment le soin porté aux enfants. « C’est une vraie création de valeur, une richesse que l’on ne peut ignorer, de même que la libération du potentiel de la main-d’œuvre féminine ferait progresser les économies de nombreux pays. »

Entre l’urgence nigériane et les stratégies au long cours pour les OMD, trois priorités demeurent pour ONU Femmes : « Il faut que cessent les violences faites aux femmes en Afrique et en Asie, mais aussi dans les pays développés ; leur sécurité et leur intégrité doivent être assurées, avance Lakshmi Puri. Tout comme un égal accès aux ressources et aux moyens. Enfin, elles doivent pouvoir parler d’une voix égale, participer autant que les hommes aux décisions, dans les instances publiques comme dans les entreprises privées. »

source : LE MONDE par Rémi Barroux
http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/05/09/aucune-impunite-pour-les-ravisseurs-de-la-secte-islamiste-boko-haram_4414078_3244.html