Des pasteurs célèbrent des cultes illégalement, d’autres soignent via la télévision. Des évangéliques s’opposent aux autorités et à la science, persuadés que Dieu les sauvera de la pandémie de Covid-19.
La Nouvelle-Orléans (États-Unis), correspondance.– Drapeau américain à la main, le pasteur Tony Spell exhorte ses fidèles : « Il faut soigner notre pays, revenir à nos valeurs de liberté. » Puis, il montre à ses ouailles le bracelet électronique entourant sa cheville droite : « Ils essayent de me pendre. Ils essayent de me faire taire. Mais je ne vais pas m’arrêter de prêcher. Le monde entier compte sur moi. »
En ce dimanche 3 mai, le pasteur Spell célèbre son septième culte de manière illégale depuis l’instauration du confinement en Louisiane qui proscrit les rassemblements de plus de 10 personnes. Ce jour-là, une centaine de fidèles garnissent les bancs de l’immense Life Tabernacle Church située dans la banlieue de Baton Rouge, la capitale administrative de l’État.
Personne ne porte de masques, ni de gants. La distanciation sociale est inexistante. Debout sur un banc, Tony Spell nargue même les autorités locales. John Bel Edwards, le gouverneur de Louisiane, et la police locale en prennent pour leur grade : « Je n’ai pas peur d’eux, de leur harcèlement et de leur intimidation. » Ce pasteur de l’Église pentecôtiste unie fait référence aux deux arrestations dont il a déjà été l’objet.
La première pour non-respect de l’interdiction de rassemblement et la seconde pour avoir menacé un contradicteur en lui fonçant dessus avec un bus de son église. À chaque fois, il est sorti rapidement de prison après le paiement d’une caution. Depuis, il fait l’objet d’une assignation à résidence qu’il continue de violer allègrement. Une attitude qu’il justifie en faisant un parallèle entre son action et celles de Rosa Parks et Martin Luther King à l’époque de la ségrégation raciale. Une référence qui a de quoi surprendre. « Pour ce pasteur, les autorités, ce sont les forces du mal. Lui se pense chargé d’une mission divine. Il ne doit obéir qu’à Dieu. Il est dans un complexe de persécution », décrypte André Gagné, professeur agrégé d’études théologiques à l’université Concordia située à Montréal.
Même si la grande majorité des évangéliques aux États-Unis ont accepté l’idée de culte en ligne, le cas du pasteur Spell n’est pas unique. Alors pourquoi ces derniers font-ils de la résistance ? « Il y a une question d’image. Tony Spell n’était pas très connu. Depuis, il a pris du galon, gagné en popularité. Ces pasteurs sont aussi souvent des pentecôtistes charismatiques qui considèrent le fait d’avoir des expériences spirituelles et sensorielles en commun comme un service essentiel pour aider les gens », répond André Gagné.
L’argent est aussi un argument non négligeable pour des pasteurs dont le train de vie et l’entretien des immenses églises sous leur coupe dépendent beaucoup des dons des fidèles. « Une récente étude démontre que 9 % des églises évangéliques aux États-Unis ont vu une diminution de 75 % des dons qu’elles reçoivent en raison du coronavirus », ajoute le chercheur, spécialiste du fondamentalisme américain.
Les sommes en jeu ne sont pas négligeables. Ainsi, la Life Tabernacle Church que mène Tony Spell affiche un budget de deux millions de dollars par an. Mi-avril, le pasteur a même lancé un mouvement pour récolter les 1 200 dollars versés par l’administration Trump à chaque Américain pour faire face à la pandémie actuelle. Plus de 200 personnes auraient déjà fait une telle donation selon le pasteur Spell, qui refuse de divulguer le montant exact de la somme récoltée.
En ce 3 mai, le prêche du pasteur Spell est aussi très orienté guérison et protection divine. « Dans cette église, nous avons soigné des cancers, des maladies cardiaques. Face à ce virus, nous sommes forts et Dieu nous protège », assène-t-il. Un discours loin d’être isolé.
Ainsi, Kenneth Copeland, l’un des plus célèbres pasteurs charismatiques aux États-Unis, a organisé le 19 mars dernier une séance de guérison à travers les écrans de télévision. « Ces pasteurs pensent que Dieu va les guérir ainsi que leurs fidèles. Jésus est un vaccin pour eux », analyse André Gagné. S’appuyant sur des passages de la Bible, ces pasteurs comparent souvent le Covid-19 à un démon que seule la foi peut exorciser. Face aux mises en garde des scientifiques, « ils portent un discours triomphaliste qui peut être une menace quant à la propagation du virus », résume le chercheur.
Des pasteurs de la droite évangélique donnent aussi une teinte plus politique aux origines du coronavirus. Mi-mars, le pasteur Perry Stone constatait que les États américains les plus touchés étaient majoritairement démocrates. Les lois autorisant le mariage homosexuel ou l’avortement sont aussi dénoncées comme ayant suscité le châtiment de Dieu. Kenneth Copeland a quant à lui une autre explication. Ce prédicateur multimillionnaire considère que c’est la haine contre Donald Trump qui a détruit la protection divine entourant les États-Unis.
Un discours qui montre le lien fort qui unit les évangéliques blancs au président américain. Ces derniers ont voté à plus de 80 % pour lui en 2016 et semblent prêts à le refaire pour la présidentielle de novembre prochain. Le 5 janvier dernier, une campagne intitulée « Evangelicals for Trump » a même été lancée à Miami en présence du candidat républicain. Ce jour-là, le milliardaire était accompagné de Paula White-Cain, pasteur évangélique et surtout conseillère spirituelle de la Maison Blanche.« Pour la première fois, les évangéliques ont une mainmise sur le pouvoir américain. Donald Trump est conscient que c’est une base électorale forte pour lui. Il est donc tenté de les écouter et satisfaire leurs préoccupations », argue André Gagné. Pas étonnant alors d’entendre, début avril, Donald Trump insister pour rouvrir les États-Unis rapidement et voir les églises pleines pour Pâques. Un souhait qui n’a pas été exaucé en raison de la forte propagation du coronavirus qui, depuis, faiblit lentement.
Ce qui se passe outre-Atlantique est regardé avec méfiance par les évangélistes français. « Très vite, nous avons encouragé nos membres à respecter l’interdiction de rassemblement et à mettre en place des cultes en ligne. Nous n’avons constaté aucun cas de résistance », assure Romain Choisnet, le directeur de la communication du Conseil national des évangéliques de France (Cnef). Pour lui, ce qui se passe aux États-Unis est « le fruit d’une dérive théologique qui se fait au détriment de fidèles naïfs et de personnes vulnérables ».
source : Par Julien Chaillou
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