Fondé par des créationnistes, il présente une histoire du monde calquée sur la Bible.
Par Thomas Devry
LIBERATION  : samedi 7 juillet 2007

Pour une raison inconnue, les petits Américains passent un temps considérable à ingurgiter tout ce qu’ils peuvent sur les dinosaures. Il n’est donc pas étonnant qu’un musée qui cherche à modeler l’esprit des enfants déploie quantité de triceratops, diplodocus et autres stégosaures, en plastique ou animés tels des robots. Des institutions fort sérieuses, comme le Smithonian Museum à Washington, sont passées par là.

Mais voilà, à Petersburg, au cœur des collines du Kentucky, les tyrannosaures et quelques vélocirapteurs batifolent en parfaite harmonie aux côtés d’enfants souriants (en plastique aux aussi). Ce tableau, propre à effrayer tout spectateur de Jurassic Park, a le don de hérisser le poil de n’importe quel naturaliste qui sait que les dinosaures et les humains ont raté leur rendez-vous de 60 millions d’années. Pas ici, car nous sommes au musée de la Création, fondé sur la parole littérale de la Bible (Ancien et Nouveau Testament), qui fait remonter l’âge de notre bonne vieille planète Terre à 6 000 années maximum. Alors, T-Rex et Cro-Mag partenaires de jeu, pas de problème.

Il fallait bien que ça arrive un jour. Vexés de s’être fait ridiculiser en 1925 lors d’un des procès les plus célèbres du XXe siècle, les créationnistes américains n’ont eu, depuis, de cesse de reprendre pied dans les écoles du pays. Après la tentative, une nouvelle fois avortée l’an passé, de faire valider l’apprentissage de la «conception intelligente» («intelligent design») de l’univers par «un être supérieur»,

ils ont choisi une autre forme d’enseignement : la muséologie. Imaginé par Ken Ham, un évangéliste australien, le Creation Museum, qui a ouvert ses portes fin mai après 27 millions de dollars d’investissement, ambitionne, selon son fondateur, «de démontrer que tout ce qui est contenu dans la Bible peut être défendu par la science moderne». Sans oublier les dinosaures, bien sûr, car, d’après Ken Ham, «ils font un tabac avec les enfants». Un des concepteurs des parcs Universal Studios en Floride a même été recruté pour cette sainte croisade.

Caméléons.  La visite commence par un spectacle au planétarium : une démonstration étourdissante de la taille et des mystères de l’univers, que les «scientifiques laïques peinent à expliquer». Mais, si l’on admet que Dieu est à l’origine de tout cela, pas de souci, on peut poursuivre la visite en sirotant son Coca. En avant donc pour la vidéo d’un gentil paléontologue barbu qui nous explique que, bien que ses «collègues athées» estiment que les fossiles de dinosaures remontent à une centaine de millions d’années, il ­pense, lui, que les os ont été enfouis sous les sédiments à l’époque du Déluge, il y a précisément 4 300 ans. La datation au carbone 14 n’est apparemment pas validée par les Evangiles.

On apprend aussi que les caméléons ne changent pas de couleur pour échapper à leurs prédateurs, mais pour «attirer les femelles et se rafraîchir».

Un peu plus loin, on nous explique que la Bible a commencé à perdre de son influence à cause d’une foison de libres-penseurs, méchamment dénoncés sur un mur du déshonneur : Bacon, Descartes, Laplace, Buffon, Darwin. On passe ensuite aux explications «scientifiques». Dieu a certainement créé l’ADN. Examinons le cas de l’œil : l’œil est vraiment très complexe, bien plus qu’une caméra vidéo. C’est donc la preuve qu’il a fallu un créateur omnipotent et omniscient pour inventer cette merveille. Pas convaincus par la science ? Repartons un peu vers des choses plus amusantes : des tableaux grandeur nature du jardin d’Eden, avec Adam, Eve, le serpent, les animaux (et les dinos). Il a beau être écrit dans Genèse 2:25, «Or tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre», ici, les cheveux d’Eve couvrent toujours sa poitrine, et Adam dissimule habilement son entrejambe.

Après la Chute, le héros, c’est Noé. Il est représenté en figurine animée qui parle anglais avec l’accent de Yasser Arafat, avec son arche qui contenait les dinosaures. Tout d’un coup, l’esprit sceptique émet une objection : «Mais comment toutes les paires de ­diplodocus et de brachiosaures (40 mètres de haut, 80 tonnes) sont-elles rentrées dans le paquebot en bois aux côtés des autres ­bestiaux ?» Comme le musée est bien fait, la réponse est ­couchée noir sur blanc : « Dans sa grande intelli­gen­ce, Dieu a choisi des bébés». C’était évident.

Étourdi par tant d’informations, il ne reste plus, près de la sortie, qu’à visionner un film qui suggère que les dragons des légendes européennes et chinoises du Moyen-Age ne sont rien d’autres que des dinosaures qui ont survécu un peu plus longtemps qu’on ne le croyait. Au sortir de cette présentation, deux professeurs d’un lycée local, venus observer «quelles âneries nos élèves vont bientôt nous sortir», grommellent. Une mère de famille les entend et s’approche d’eux : «Ayez l’esprit ouvert ! Pourquoi refusez-vous d’envisager une autre explication ?» Les deux profs battent en retraite, peu désireux de dialoguer.

«Existence de Dieu».  En ce jour de la mi-juin, les visiteurs affluent, certains venant de très loin, comme en témoignent les plaques d’immatriculation sur un parking presque plein. Comme la plupart d’entre eux, Mary-Ann Walter recherche «une théorie alternative de la création de notre planète, conforme à notre croyance en Dieu». David, un adolescent en short venu avec sa chorale pastorale, hésite encore : «Je ne sais pas si ce qui est présenté dans ce musée est vrai ou pas, mais cela me plaît davantage que le darwinisme, qui ne prend pas en compte l’existence de Dieu.» Confusion apparemment partagée par une majorité d’Américains, puisqu’un récent sondage ( USA Today) offre ce curieux résultat : 66 % estiment que Dieu a créé l’homme tel qu’il est aujourd’hui, et 53 % penchent pour la théorie de l’Evolution.