{François Hauter, notre envoyé spécial à Yulin (Shaanxi)
04/08/2008}

Aux confins du désert de Gobi et du plateau de lœss chinois, la nature n’a rien d’accueillant : les plantes rampent sur le sable, tant le vent souffle fort, et sous la lumière blanche d’un ciel écrasant, la petite ville de Yulin (300 000 habitants) a des airs de Far West. N’étaient des mines de charbon et des gisements de gaz, Yulin ne serait pas la ville champignon, réputée pour ses vingt restaurants servant des plats de chiens, qu’elle est aujourd’hui.

À quarante kilomètres de là, c’est encore un autre monde : dans le village de Yuxing, la misère règne. La campagne est ravinée, le maïs pousse vaille que vaille sur les maigres lopins de terre. Des slogans sont peints en rouge sur les murs en terre : «Les filles sont aussi bien que les garçons ! » ou «Moins d’enfants, c’est la fortune plus rapidement». Mais pour Hua, une paysanne de 40 ans qui en paraît vingt de plus et qui vit dans une ferme troglodyte, la seule réalité de ce monde, c’est «Mentu», la troisième réincarnation du Christ. Elle s’adresse à lui matin et soir, nous explique-t-elle, avec ferveur.

Car ce «Mentu», selon Hua, guérit toutes les maladies dès que l’on croit en lui. Il offre également de bonnes récoltes, sans utiliser d’engrais, et protège le bétail. La femme et ses amies ne croient en rien d’autre qu’en ce prophète. Elles ignorent que le fondateur de leur secte, un paysan nommé Ji, originaire du village de Yaoxian, a été tué en 1997 dans un accident de voiture ; que son successeur Wei Shiqiang est mort en 2001 d’un cancer ; et que la «troisième réincarnation» de «Mentu», Chen Chirong, est en prison…

Ces sectes n’ont rien d’anodin en Chine. «Mentu» aurait 350 000 disciples dans 15 provinces, mais la seule région du Shanxi en compterait une trentaine d’autres. Parmi elles, celle du «Dieu Éclair» annonce des catastrophes pour la Chine, l’arrivée d’une femme messie, et évidemment l’inutilité de toute médecine. Comme ces sectes fondent leur recrutement sur le mécontentement des paysans ou des chômeurs, elles annoncent que leurs membres se doivent de «renverser le parti mafieux»(le Parti communiste chinois, NDLR) ou d’abattre le «gros méchant dragon rouge». Dans ces sectes, les affaires d’escroqueries et de viols sont monnaie courante. Les malades décédant parce qu’ils refusent d’être soignés se comptent en milliers chaque année, à Yulin et aux alentours.

{{500 millions de personnes à déplacer}}

Hua, sur son lit, prie sous l’affiche portant une croix rouge (le crucifix est rouge, en Chine), mais n’a aucune notion de ce qu’est le christianisme, le catholicisme ou le protestantisme. Elle reçoit, à l’égal des autres adhérents de «Mentu», la visite impromptue d’autres paysans, payés pour recruter et colporter la fable de prétendus «miracles».

Pékin a créé le «bureau 610» pour lutter contre les sectes, après l’avènement du Falungong en 1999. Mais depuis cette époque où la répression fut féroce, la stratégie de l’État se veut plus fine et intelligente : le gouvernement investit massivement dans les campagnes. Une belle route goudronnée conduit depuis peu au village de Yulin jusqu’à Yaoxian. Le bureau de la police a été renforcé, les paysans n’y paient plus l’impôt sur le revenu comme partout ailleurs en Chine. Depuis peu, ils sont les bénéficiaires d’une assurance-maladie. Le chef local de la police nous l’assure : à Yaoxian, «les sectes c’est du passé».

C’est malheureusement faux, et les pasteurs des églises chrétiennes officielles de Yulin sont les premiers à le déplorer : «La progression des sectes est foudroyante», assure l’un d’eux. Les cibles de ces groupes d’illuminés restent toujours les mêmes populations : les paysans pauvres, malades et mécontents, les employés des petites villes de province, tout juste arrivés de leurs villages. Des femmes principalement.

Dans l’histoire chinoise, les sectes et les sociétés secrètes ont toujours joué un rôle capital dans le processus de renversement des dynasties, excitant paysans et citadins contre un ordre établi défaillant. L’État chinois affronte en la matière une période difficile. Aujourd’hui, la Chine a une population composée de 58 % de ruraux. Les paysans ne devront plus représenter que 20 % des habitants d’ici à 2033. Soit 500 millions de personnes à déplacer vers les villes. «Si vous ne sentez pas assez finement les besoins de ces migrants, vous ne sentez pas les crises et les révolutions qui se préparent», nous explique un haut fonctionnaire du Conseil des affaires d’État (l’équivalent de notre gouvernement).

Les dizaines de milliers de caméras déployées à Pékin pendant ces JO surveilleront en priorité ces dizaines de milliers de Chinois anonymes, qui tous peuvent être des sectaires illuminés à la recherche d’une publicité inespérée.

Le Figaro